La lutte pour l’inclusion financière en Afrique de l’Ouest, constitue, selon leurs déclarations, une priorité pour les autorités de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). A travers, un document-cadre, ficelé en 2016, l’Uemoa à travers la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) se donne cinq ans pour amener le taux d’inclusion à un taux de 75%. Mais les déclarations de bonnes intentions ne se reflètent pas sur les réalités du terrain.
Pour mieux comprendre les enjeux et les défis autour de cette question complexe, Ouestaf News a interrogé Boubacar Diallo, Conseiller Afrique au Centre d’inclusion financière (basé aux Etats-Unis). Dans la première partie de cet entretien exclusif il nous fait le point sur quelques uns des obstacles en matière d’inclusion financière sur le continent.
(La deuxième partie de l’interview)
Ouestafnews -Vous travaillez dans une organisation qui se bat pour «l’inclusion financière», que faut-il entendre par ce concept ?
Boubacar Diallo – Dans nos pays, il y a un nombre important de personnes qui restent exclues du système bancaire classique, j’allais même dire du secteur financier formel. Par inclusion financière, on entend, la proportion de personnes qui ont accès à des services financiers formels que cela soit à travers les banques, à travers les institutions de microfinance, à travers les assurances, que cela soit à travers d’autres dispositifs financiers. L’inclusion financière a plusieurs composantes. Les experts en identifient au moins trois.
Il y a la composante «accès», c’est -à-dire, la disponibilité des services financiers en termes de nombre de guichets, de points de services. Il y a ensuite l’usage car vous pouvez avoir accès aux services financiers et ne pas être capable de les utiliser.
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Et la troisième composante que vous n’entendez pas souvent et qui est à mon avis très importante, c’est la qualité. Vous pouvez avoir accès aux services financiers et pouvoir les utiliser mais vous pouvez être confronté à des problèmes de prix élevés, de traitement non équitable, ou encore à des services de mauvaise qualité. C’est justement sur cette composante qualité que notre campagne, la « smart campaign » qui est liée au centre d’inclusion financière, met le focus. On fait cela, en nous focalisant sur la protection des consommateurs de services financiers. C’est une jeune campagne qui est née en 2008 à la suite de la crise financière (mondiale).
Ouestafnews – En Afrique seuls 35% de la population disposent d’un compte bancaire. Dans certains pays, on n’est même loin de ce taux très en deçà de la moyenne mondiale, qu’est-ce qui explique cette situation ?
B.D – Je pense qu’il y a une multiplicité de facteurs qui explique cela. L’un des facteurs, c’est le niveau faible d’investissements dans l’infrastructure financière, c’est-à-dire que pour tout ce qui est banque, on n’a pas une grande diversité et notre système financier est encore peu développé.
Et ce n’est pas tout, même l’infrastructure physique est un obstacle majeur à l’inclusion financière avec des zones où il n’y a pas de route, et où les infrastructures de télécommunications ne sont pas encore développées. Il y a des zones où il y a beaucoup de choses à faire pour accroître l’accès et l’Afrique en souffre beaucoup, par rapport aux autres parties du monde.
De plus en plus en Afrique, il y a des progrès par rapport à ce qu’on appelle la finance digitale ou encore le Mobile money. Et même avec ça, il y a des contraintes avec les infrastructures de communication ; certaines zones ne sont pas toujours bien couvertes et cela limite l’accès aux services financiers. Il y a également la question de l’éducation dont le déficit a des impacts sur l’inclusion financière. Mais il y a aussi ce qu’on appelle l’éducation financière qui est très importante, car vous pouvez être docteur est être analphabète sur le plan financier.
Il y a aussi la réglementation qui est un facteur important. Elle peut permettre de stimuler la croissance et l’accès aux services financiers. Dans les pays comme le Nigeria, le Ghana, il y a ce qu’on appelle «Agent Banking», c’est-à-dire, la banque utilise des boutiques, des agents pour étendre ses services.
L’ «agent Banking» n’est pas trop développé en Afrique. On constate des progrès au Nigeria et au Ghana et en Ouganda où une loi a été adoptée. La Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est encore en retard.
Il y a également le «Mobile Banking». C’est quelque chose qui peut permettre d’accroître l’accès (aux banques). Mais dans notre zone (BCEAO), on a un système qui est centré sur les banques, et qui utilisent les compagnies de téléphonie.
Au Kenya et dans d’autres en Afrique de l’est, c’est différent. On a donné des licences à des compagnies de téléphonie mobile qui sont plus puissantes, qui ont plus de moyens d’impacter. C’est pourquoi, le Kenya est numéro un en Afrique, avec un taux d’inclusion de 80% de la population.
La réglementation joue également un rôle important (…). Elle peut permettre l’entrée de nouveaux acteurs (et) permet l’amélioration de la qualité de services.
Ouestafnews – Qu’est-ce que des organisations ou des experts comme vous peuvent faire de manière concrète pour inverser la tendance ?
B.D : C’est la responsabilité des Etats de faire en sorte que la situation change. Nous, nous faisons du lobbying, de la recherche, pour attirer l’attention des pouvoirs sur la situation de l’inclusion financière.
Donc on soulève des questions pour que les gouvernements identifient là où il y a des gaps, et agissent en conséquence. Avec notre « Smart campaign » nous sommes sur la composante qualité. Nous travaillons avec les régulateurs des pays pour pouvoir développer des lois, des règlements qui visent à promouvoir non seulement l’accès mais également la qualité dans la livraison.
Notre travail, c’est beaucoup plus la recherche, le lobbying. Les Etats ont la responsabilité d’étendre l’accès des services financiers à leurs citoyens.
Ouestafnews – Au niveau du Centre d’inclusion financière, vous avez, dans un rapport critiqué l’indice (Findex 2017) de l’inclusion financière publié en 2017 par la Banque mondiale comme pas « très optimiste ». Pourquoi ?
B.D : Parce qu’il n’y a pas eu beaucoup de progrès par rapport à ce qu’on attendait. Ils ont fait ce même travail en 2014.
L’objet de ce rapport, « Global findex », c’est de nous indiquer essentiellement, là où on en est en matière d’inclusion financière. L’idée est que les gouvernements utilisent cela. C’est une enquête qu’ils font dans tous les pays du monde. Et ils utilisent le même questionnaire.
Maintenant des institutions comme la nôtre, on prend ce travail comme source pour faire notre travail d’influence. Entre le rapport de 2014 et celui de 2017, il n’y a pas eu de grands progrès en dehors d’un essor du mobile banking. Mais pour l’accès à des comptes formels, les progrès sont un peu timides. Et c’est toujours en Afrique subsaharienne que les progrès sont toujours timides. Il y a beaucoup de facteurs, des fois même des facteurs d’instabilité politique. Il y a également la gouvernance qui est une des contraintes, des blocages qui font que la situation ne bouge pas.
Ouestafnews – Le Kenya est à 80% de taux de bancarisation, est-ce que pour le cas de ce pays souvent cité en exemple, on peut s’attendre à une bancarisation universelle dans le court terme?
B.D : Je pense qu’ils vont y arriver. L’un des pays qui va y arriver également, c’est le Rwanda, grâce au «Mobile money ». (Dans ce pays) Ils sont en train de tout digitaliser tout. C’est le seul pays du continent où tu paies ton visa avec ta carte bancaire. Il y a quand même des avancées au Sénégal, au Mali, en Côte d’Ivoire, également au Bénin, mais c’est un peu timide par rapport à ces pays de l’Afrique de l’Est.
MN-ON-DD/ts
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