« Le financement du secteur privé est limité dans sa description et dans ce que la Banque prévoit de faire (…) le rôle en Afrique de la société financière internationale internationale (SFI, organe de la B.M) n’est pas bien clarifié alors qu’elle joue un rôle important dans le financement des activités privées », a expliqué M. Seck tout en reprochant à l’institution un « manque d’ambition » en ce qui concerne les objectifs stratégiques par rapport au Produit intérieur brut (Pib) des pays africains.
« Il est mentionné dans le document de la stratégie que 20 pays africains auront une croissance de 3 à 4 % sur les dix prochaines années et entre 1 et 2 % pour 20 vingt autres pays. Ce qui n’est pas ambitieux par rapport aux autres régions du monde où la croissance est beaucoup plus rapide que 4% », a notamment souligné cet économiste qui a aussi travaillé à la Banque mondiale avant d’indiquer que « cette nouvelle stratégie ne repose sur aucune théorie économique connue ».
D’autres experts se sont montrés aussi critiques vis-à-vis de cette nouvelle stratégie, lancée pour succéder à d’autres initiatives de la B.M en Afrique, connues toutes pour leur échec patent, comme ce fut notamment le cas avec les Programmes d’ajustement structurel (PAS), à l’origine de la destruction totale des systèmes éducatifs et sanitaires de la plupart des pays africains.
De l’avis de Ibrahima Dia, socio-économiste et directeur du Millénium Challenge Account (MCA, programme financé par le gouvernement américain) au Sénégal, la Banque mondiale « va vite en besogne » en prédisant le décollage économique du continent sous le modèle de la Chine et de l’Inde.
Contrairement à l’Afrique explique-t-il, l’essor économique de ces deux pays repose d’abord sur de solides facteurs dont « l’existence d’une demande intérieure forte qui porte la croissance, l’investissement sur les ressources humaines, l’existence de fortes institutions, le contrôle et la maitrise de leur monnaie et de leurs ressources naturelles ». Or en Afrique, la Banque mondiale s’est quasiment substitué aux ministères des finances dans plusieurs pays en dictant tous les choix stratégiques depuis des décennies.
Déchiffrant la nouvelle stratégie sous le prisme du développement durable, M. Dia a aussi soutenu que les causes structurelles profondes de la stabilité du taux de croissance du continent, qui constitue selon lui la trame de cette nouvelle approche, sont insuffisamment analysées.
« On estime que (la) résilience de l’Afrique face à la crise est due à la qualité des politiques macroéconomiques prudentes, c’est une analyse un peu limite, car les observations du Fonds monétaire international (FMI) indiquent qu’une bonne partie des pays africains ont pu résister au choc, parce qu’ils ne sont pas suffisamment intégrés à l’économie mondiale et n’ont pas suffisamment d’exportations » , a-t-il souligné.
En réponse à ces critiques, la Banque mondiale affirme que sa nouvelle approche en Afrique se veut « inclusive », contrairement au diktat exercé sur l’Afrique par le passé.
Marcelo Giugale, qui est à la tête du réseau Gestion économique et réduction de la pauvreté à la Banque mondiale, indique que cette nouvelle approche basée sur la compétitivité et l’emploi est dictée par trois grands changements intervenus en Afrique à savoir « le taux de croissance du continent maintenu à 5% depuis plus de 5 ans malgré la crise économique, la mise en place de bonnes politiques au niveau macro-économique et la présence de nouveaux acteurs comme la Chine et l’Inde ».
A partir de ce moment explique-t-il, il importe de rendre ce taux de croissance capable de générer des emplois, ensuite les protéger de la précarité et de mettre en œuvre une plateforme de bonne gouvernance. Dans sa nouvelle vision, la Banque, qui se veut « plus utile et moins influente », selon M. Giugale, a introduit des concepts novateurs comme le « partenariat, le partage de savoir et l’offre de services financiers » non pas en direction des gouvernements mais aussi des communautés locales.
« Nous avons totalement inversé notre façon d’opérer, la stratégie n’a pas été écrite de Washington mais nous avons rencontré et écouté plus de 1.000 personnes dans les pays concernés. Avant la Banque mondiale était plutôt synonyme de financement aujourd’hui nous parlons plus de partenariat, crise oblige », affirmait de son côté le directeur Afrique pour la stratégie et le développement de la Banque mondiale, Michel Wormser dans un entretien à Radio France internationale diffusée en Avril 2011.
Ces propos sont loin de rassurer les experts africains qui continuent de voir la Banque mondiale et le FMI comme les « bras armés » ou encore les « chevaux de Troie » qui permettent de perpétuer le contrôle et la domination de l’économie et des marchés africains par les puissances occidentales qui contrôlent les deux institutions. L’exemple le plus cité est la décision de faire revenir la République démocratique du Congo sur un important contrat signé avec la Chine, grâce à des pressions exercées par le FMI.
D’ailleurs, rappelant l’échec des Programmes d’ajustement structurel, le consultant Aziz Dièye, encore plus sceptique que les autres experts, estime que la stratégie de la B.M, même si elle se dit « inclusive », contient des « formes de répétitions des erreurs et dogmes du passé ».
« Devait-on définir tout seul les nouveaux paradigmes sans les discuter et peut-être même les tester à échelle réduite avant de les imposer à tout un continent en même temps », s’est demandé M. Dièye.
Pour le président de « Leadership Afrique » Abdoulaye Rokhaya Wane, à l’origine de ce débat, il y a « nécessité » de permettre l’émergence d’une nouvelle élite africaine, capable de se présenter comme une force de proposition technique.
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