Allez, va pour la ‘bavarderie’ ! (Editorial)

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Par Hamadou Tidiane SY*

Les puristes m’excuseront ce petit néologisme**, mais au vu de la nomination de la nouvelle Premier ministre du Sénégal, il est aisé de comprendre pourquoi. Le président Macky Sall a décidé de récompenser la plus « bavarde » de ses ministres : Aminata Touré pour ne pas la nommer. Celle qui en 17 mois de présence au gouvernement a été omniprésente à la Une des médias.

Donc si erreur de casting il y a dans le nouveau gouvernement, c’est bien dans le choix de la Premier ministre elle-même, la ministre de la Justice la plus bavarde de l’histoire récente du Sénégal.

Et pourtant on se souvient encore de la grande bourde, que dis-je, de l’insulte suprême faite au peuple qui galère, lorsque Mme Touré avec son ami le chanteur Youssou Ndour (tous deux ministres à l’époque) sont partis danser et nous lancer à la figure et devant les caméras : « nioun da niouy beugué » (Nous, on fait la fête) Regarder la video ici. Tant pis pour ceux qui n’ont pas d’électricité ou pour ceux qui n’ont rien à manger.

Au président Sall, nous disons, on ne peut nommer une festoyeuse à la tête du gouvernement dans un pays qui manque de tout, sans fâcher le peuple.

Au nom de la « gouvernance vertueuse » que revendique l’actuel régime, et pour cette faute grave, Mme Touré aurait dû être remerciée. Au même titre que son « ami » Youssou Ndour, par ailleurs contesté par une large coalition des acteurs du secteur touristique. Au même titre que le général Pathé Seck, qui a manqué de clairvoyance (d’impartialité ?) dans la nomination de ses proches collaborateurs.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de s’immiscer dans la vie privée de Mme Touré ou encore de refuser à nos dirigeants leur droit au repos et aux loisirs, puisque nous tous aspirons à des moments de répit. Tout est dans la manière de jouir de ce droit et de l’apprécier sans choquer les citoyens que nous sommes, puisqu’après tout c’est avec nos impôts que nous les entretenons et leur assurons confort et sécurité, une fois qu’ils acceptent le poste de ministre.

Mais alors pourquoi le président n’a pas remercié Mme Touré lors de ce changement?

Il se trouve qu’Aminata Touré a la carte de l’Alliance pour la République (APR, le parti du président). Il se trouve que des échéances électorales approchent. Enfin, il se trouve qu’elle sait utiliser et manipuler les médias à sa guise, sous une prétendue accessibilité, qui ne veut pas forcément dire « accès à l’information » pour les journalistes souhaitant travailler sur des sujets sérieux.

Pour elle, pourvu qu’il y ait les caméras et les micros, et peu importe si elle doit se fourvoyer dans des contradictions (comme dans cette opération « volontaire » de nettoiement de son quartier montrée par la télévision publique sénégalaise le jour même de sa nomination. L’électorat et les micros n’étant jamais loin, on a vite fait de s’emporter et de proposer que ce genre d’opérations soit rendu « obligatoire »… allez-y comprendre quelque chose !)

Les femmes du quartier de la Zone A ont pourtant fait la même opération tout récemment, il n’y avait pas là l’ombre d’un journaliste et je n’ai pas lu une seule ligne dans la presse. Dans tous les quartiers et presque tous les jours, des citoyens se mobilisent pour des actions bénévoles visant à pallier les manquements et défaillances de l’Etat dans la fourniture de services de base. Ils le font sans tambour ni trompette.

Mais pour les adeptes de la ‘bavarderie’, rien de grand ne se fait, rien de beau ne se conçoit et rien de noble ne se réalise… s’il n’y a pas la presse à côté. Et d’ailleurs pourquoi diantre se fatiguer, si c’est pour rester dans l’anonymat !

En ayant récompensé la plus médiatique de ses ministres, Macky Sall, donne le ton : peu importe que vous ayez fait des erreurs ou pas, prenez la carte du parti, et surtout occupez l’espace médiatique, étalez vos ‘bavarderies’ sur la place publique et vous serez promus.

Contrairement à ceux qui veulent voir en elle une ‘Zorro’ au féminin, la nouvelle PM est une politicienne futée, manœuvrière à souhait, qui sait manipuler les médias en sa faveur. Elle a su utiliser ces « atouts » pour parvenir à ses ambitions, comme cette opération médiatisée de remise au trésor public d’un chèque de quelques petits milliards (rapportés au budget du Sénégal)! Comme pour dire que c’est par sa grâce que le petit peuple retrouve ses fonds perdus et pourra désormais s’acheter quelques kilos de riz en plus…

Une belle mise en scène elle-même porteuse de contradiction sur le slogan (creux ?) de « gouvernance vertueuse », car, sans être expert, je ne pense pas qu’il soit dans les attributions d’un ministre de manipuler de l’argent. Mais passons.

Pour reprendre des mots déjà échangés avec quelques amis dans des discussions sur les réseaux sociaux : « ne nous faisons pas d’illusion : avec Aminata Touré comme avec Abdoul Mbaye, avec Macky Sall comme avec l’ex-président Abdoulaye Wade, rien ne changera sous le soleil si nous n’y travaillons pas par nous–mêmes », nous les citoyens.

A mon sens, seules des voix citoyennes, fortes, indépendantes et désintéressées (pour rappeler le gouvernement à l’ordre quand il le faut et exiger la reddition des comptes à tout occupant d’une fonction publique) sauveront notre pays. Qu’Abdoul Mbaye, Pathé Seck ou Youssou Ndour soient partis en attestent.

Mais en même temps, les politiciens tenteront toujours de jouer un double jeu pour échapper à notre vigilance. La nomination, d’Aminata Touré est à classer dans ce registre.

En un mot, les politiques dans notre pays seront toujours ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : des pouvoiristes décidés à se servir, plus intéressés par leur ego, leur parti et leurs courtisans que par les cris de détresse de la grande masse. Ni touchés par les coupures d’électricité ni émus par les inondations, encore moins fauchés comme la majorité d’entre nous. Ils ont leur ambition et leur agenda. Ni Macky Sall, ni Mme Touré n’échappe à cette règle. A nous d’être vigilants.

*Hamadou Tidiane SY, est journaliste, fondateur d’Ouestaf News, il est reconnu Innovateur social dans le domaine du Savoir et de l’Information par les fondations Ashoka et Knight

**PS : tout compte fait, “bavarderie” ne serait pas un néologisme, au vrai sens du terme. Le mot a existé dans un vieux français avant de tomber en désuétude. Nous le ressuscitons.

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