La diffusion d’une vidéo de la chaîne publique britannique BBC (British Broadcasting Corporation), faisant de graves accusations contre le frère du président sénégalais Aliou Sall et de son partenaire Franck Timis, dans des affaires de contrats pétroliers, a mis le sommet de l’Etat sénégalais sens dessus-dessous. Ce reportage et ses révélations ont produit un emballement médiatique incontrôlé et sonné la mobilisation de la société civile et de l’opposition sénégalaises, qui réclament la tête du frère du président ainsi que des enquêtes pour tirer l’affaire au clair.
Parmi les organisations à l’origine de cette mobilisation, figure le think tank panafricain Leadership, Equité, Gouvernance, Stratégies pour l’Afrique (Legs-Africa). Dans la deuxième partie de cet entretien avec Ouestaf News, son président Elimane Haby Kane, va au-delà de l’affaire Aliou Sall et nous livre une appréciation plus globale de la gouvernance du secteur des hydrocarbures au Sénégal.
Ouestafnews- L’ancien code pétrolier était aux yeux de certains inadapté et même trop « perméable ». Pensez-vous que le nouveau code offre des garanties suffisantes de transparence ?
Elimane Haby Kane – C’est vrai que le premier code, nous y avons beaucoup travaillé en indexant ses limites. Effectivement c’était un texte incitatif, assez généreux sur pas mal de dispositions notamment la fiscalité.
Dans le nouveau code, c’est vrai qu’il y a eu quelques améliorations, mais sur d’autres questions notamment l’octroi des permis, on a mis en place une commission dont les pouvoirs ne sont pas clairement définis
Et il n’y a pas de dispositifs pour s’assurer que cette commission fasse son travail de façon fiable. Egalement les membres de cette commission sont à déterminer après, on ne sait pas comment cela va se faire.
Ouestafnews –Il y a aussi le principe d’appels d’offres dans ce nouveau code.
E.H.K – Oui, mais il y a en même temps d’autres dispositifs qui peuvent permettre de contourner l’appel d’offres. Je pense qu’il y a des contradictions sérieuses dans ce nouveau code.
Il y a eu beaucoup de recommandations de la société civile dont l’essentiel n’a pas été finalement pris en compte. On parlait tantôt de conflit d’intérêts, c’est un problème qui n’est pas réglé par ce nouveau code. Nous pensons qu’on a précipité la réforme et qu’on est loin d’avoir le cadre juridique adéquat qui permet au Sénégal d’optimiser ses revenus dans la gouvernance du secteur et surtout de pouvoir veiller à ce que soient respectés les moyens d’existence des Sénégalais qui vont être impactés par l’exploitation pétrolière.
Il y a également le problème environnemental, à ce niveau on voit que ce code est très sévère vis-à vis de citoyens dont les actions pourrait gêner l’industrie pétrolière. Par contre il n’y a pas de dispositions contraignantes contre des entreprises qui auraient produit des effets d’externalités et causé du tort aux populations et à l’environnement.
Donc on a un problème de paradigme. Ce n’est pas un code basé sur la prise en compte des intérêts des citoyens mais sur la facilitation de l’arrivée et des opérations des grandes compagnies chez nous. C’est cette mentalité-là qui doit être défiée chez ceux qui décident au nom des Sénégalais.Nous devons être davantage rigoureux en passant d’abord à ce qui est dans l’intérêt du peuple. Et cet intérêt n’est pas seulement l’argent qu’on va gagner mais également dans la préservation des autres activités économiques sur lesquelles des populations comptent pour vivre ; la préservation de l’environnement de façon générale.
Ouestafnews – Il y a des décrets d’applications qu’on attend par rapport à ce nouveau code, selon vous quelles améliorations peut-on y apporter ?
E.H.K – Espérons que le gouvernement puisse avoir une approche beaucoup plus inclusive à travers la consultation (…). Pour permettre que les autres instruments notamment les décrets d’application et les autres lois qui vont être votées,comme celles sur le partage des revenus qui vont suivre, puissent rectifier les limites. Voilà, il y a encore des opportunités où l’Etat peut s’ouvrir à d’autres acteurs.
Ouestafnews- En accord avec l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), il y a une publication progressive des contrats signés, n’est-ce pas une avancée ?
E.H.K – Ce n’est une exigence de l’Itie en fait. Il faut dire que c’est une volonté du gouvernement de procéder à la publication des contrats. Il y a une autre loi qui existe avant l’Itie qui exige la publication de tous les contrats que l’Etat signe avec des tiers publics ou privés, notamment les entreprises qui interviennent dans les ressources naturelles et des infrastructures. Ça c’est le code de transparence dont je parlai tout à l’heure, du 27 décembre 2012.
Donc même avant l’Itie, le Sénégal avait un dispositif réglementaire qui exigeait la publication de ces contrats, d’abord la simplification, ensuite la publication de ses contrats.Maintenant, il y a un autre problème : ce qui est publié est-il -ce qui existe vraiment ?
On vient d’apprendre aussi avec le reportage de la BBC que dans les contrats surtout sur les cessions de parts entre Timis Corporation et BP surtout, il y a une partie qui est restée secrète qui n’a même pas été divulguée à l’Etat. Ce qui n’est pas normal.
Je pense que dans la publication, il y a des limités parce que c’est vrai que nos autorités aiment bien brandir l’Itie. L’année 2017 était celle de la transaction entre Timis Corporation et BP, dans le rapport Itie de la même année, il n’ya rien comme information sur cette transaction.
Tout comme le rapport 2016 ne faisait aucune mention de la transaction entre Petro-Tim et Kosmos Energy. L’Itie, c’est une bonne chose parce qu’elle permet aujourd’hui d’avoir un certain niveau d’informations concernant le secteur extractif. Avant on ne savait rien. Mais ça ne règle pas toute la question de la transparence dans le secteur. Et nous venons d’en avoir la preuve.
Ouestafnews- Qu’en est-il des paradis fiscaux et des comptes offshore derrière lesquels se cachent les véritables actionnaires des compagnies minières et pétroliers ?
E.H.K – C’est un sérieux problème. Je me rappelle l’un des premiers articles que j’avais fait dans le secteur, j’avais dit que si le Sénégal ne règle deux choses, ce serait prématuré d’entrer dans l’économie du pétrole et du gaz.Et la première chose, c’était sur le cadre juridique. On avait un cadre juridique incitatif qui permettait beaucoup de pertes de revenus sur la basse des incitations fiscales.Mais le deuxième point le plus important, c’est la maitrise du cadre fiscal et des flux financiers dans le secteur. Parce que, c’est un secteur où on se rend compte qu’il y a énormément de flux financiers, de cas d’évasion et d’évitement fiscal.
L’autre fait, c’est sur l’utilisation des sociétés écrans et des paradis fiscaux. Et malheureusement le Sénégal prête le flanc parce qu’il a signé des conventions fiscales avec des pays qui sont considérés comme étant des paradis fiscaux comme par exemple l’Ile Maurice.
D’ailleurs dans le secteur minier, vous vous rendez compte que beaucoup de compagnies sont domiciliées en Ile Maurice alors qu’elles sont issues des pays du Nord. C’est une stratégie pour éviter non seulement de payer des taxes mais également de couvrir les véritables personnes qui sont derrière.
Maintenant, il faut dire que l’Itie a fait une grande avancée en intégrant la propriété réelle comme une norme qui sera appliquée à partir de 2022. Ce qui va permettre de divulguer les noms des personnes qui sont derrière ces entreprises.
ON-MN/ts
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