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Bénin – Covid-19 : à Sô-Ava, l’accès à l’eau complique la riposte

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Ouestafnews – Le lavage régulier et fréquent des mains à l’eau et au savon constitue la première ligne de défense dans la riposte au Covid-19. Mais cette mesure d’hygiène est encore difficile à appliquer à Sô-Ava, une commune lacustre du sud du Bénin où accéder à l’eau potable demeure, pour les populations, un défi permanent.

Les deux kits de lavage de mains sont placés en évidence devant la maison du chef. On est à Hounhouè, arrondissement de Vekky, commune de Sô-Ava sur le lac Nokoué. Mais ce dispositif censé promouvoir cette hygiène ne sert aujourd’hui qu’à animer le décor.

Les seaux sont vides et le savon manque. « On essaie d’appliquer le lavage des mains, essentiel contre beaucoup de maladies, mais on manque d’eau et on ne peut pas demander aux gens de le faire avec une eau sale », regrette Valentin Assogba, chef de village de Hounhoué.

Face au manque d’eau permanent, le Covid préoccupe moins les populations de Sô-Ava, où il n’existe pas de site de traitement de malades de coronavirus.

Seuls les lave-mains et affiches de sensibilisation qui trainent encore dans les services de l’administration, les établissements scolaires et centres de santé rappellent la pandémie. 

«C’est un dilemme pour nous. L’eau à boire n’est pas suffisante. Va-t-on la gaspiller pour les mains ? Dans le même temps se laver les mains avec l’eau des marécages ou du lac est source de maladies. C’est compliqué», soupire Mama Ahouandjinou, un père de famille qui appelle les autorités à prendre leurs responsabilités.

Dossa Didier, relais communautaire du village de Vekky Daho, lui, ne cache pas son inquiétude. Dans les zones lacustres qu’il sillonne pour sensibiliser les ménages sur la riposte à la pandémie, sa tâche n’est pas facile. «Au début les gens respectaient timidement les prescriptions mais depuis que le prix de l’eau a augmenté, ils se montrent réticents».

Dr Jean-Paul Batakou, le médecin-chef de Sô-Ava indique que même au fort moment de la crise, et malgré toute la communication faite autour du virus, « les populations lacustres sont restées très sceptiques par rapport à la maladie. « Certaines personnes testées positives rejettent les résultats des tests et nient l’évidence », rappelle le médecin-chef. 

Selon le socio-anthropologue et spécialiste des zones lacustres, Septime Atchékpe, d’ordinaire, les communautés lacustres perçoivent qu’elles ont une santé plus solide que les habitants de la terre ferme parce qu’elles survivent dans un environnement hostile et dans des conditions de vie défavorisées. Cette perception, explique-t-il, rend difficile les actions de sensibilisation pour l’adoption de bons comportements.

Depuis mars 2020, le Bénin est touché par la pandémie de Covid-19. A la date du 23 novembre, le pays enregistrait un total de 24 846 cas positifs pour 161 décès.

 Pour faire face au virus, le gouvernement a pris une série de mesures dont le lavage régulier des mains à l’eau et au savon. Réagissant à cette mesure au cours d’une émission télévisée, Robin Accrombessi, le président de l’ONG « La voix des consommateurs », a déclaré qu’elle induit une augmentation de la consommation, « parce qu’il faudra se laver les mains près de 10 dix fois par jour ».

Selon l’EDSB-V 2017-2018,  55 % des ménages béninois disposent d’un endroit fixe ou mobile pour se laver les mains à l’eau et au savon. En milieu rural, ce sont 60 % qui n’ont ni eau, ni savon, encore moins de produit nettoyant pour se laver les mains, selon la même enquête.

Boire d’abord avant de se laver les mains

Dans les zones lacustres notamment dans le village de Hounhoué, le Covid est venu exacerber une situation déjà critique : le calvaire permanent de l’accès à une eau potable.

Assise devant sa maison, Albertine Oké, une détaillante en produits alimentaires et de consommation courante, suit du regard un groupe de femmes. Celles-ci sont réunies autour du grand puits.

En cette matinée d’août 2021, le Nokoué, en crue depuis plusieurs semaines déjà, a inondé le village, obligeant les habitants à patauger dans des eaux boueuses chargées d’immondices.

Du puits séculaire, les femmes tirent une eau verdâtre à la surface de laquelle surnagent d’étranges particules jaunes. L’aspect du liquide est répugnant. « Ça nous dégoûte mais nous n’avons pas le choix. Avoir de l’eau potable n’est pas chose aisée ici. Nous manquons terriblement d’eau», se désole Albertine.

«On plonge la pierre d’alun dans l’eau avant de l’utiliser. Ça la purifie. Cette eau nous sert pour tous nos besoins, la lessive, la cuisine, la toilette. Nous la buvons aussi », confie Marthe, une jeune mère d’un bébé de quelques mois. Pieds immergés à hauteur des genoux, elle fait d’incessants allers et retours entre le puits et sa pirogue amarrée une quinzaine de mètres plus loin.

Tous les jours ou presque, Marthe délaisse les 17 points d’eau publics de Sô-Zounko, son village, pour Hounhouè. « Là-bas l’eau des bornes fontaines ne couvre pas les besoins de tout le monde», explique-t-elle. Cette situation, ajoute-t-elle, encombre les points d’eau, obligeant les femmes à perdre du temps dans les files d’attente.

L’accès à l’eau potable est un calvaire à Sô-Ava. La commune dispose pourtant d’un important réseau hydrographique qui recouvre près de la moitié de son territoire. Pour les populations, la réalité est paradoxale : elles vivent sur l’eau, dans des maisons sur pilotis, mais peinent à avoir de l’eau potable.

Selon Aminou Atindékou, le responsable eau, hygiène et assainissement de la mairie, la commune comptait 18 adductions d’eau villageoise (Aev) en 2020, sept postes d’eau autonomes (Pea) et trois forages équipés de pompes à motricité humaine (Fpm) pour une population estimée à 118.547 habitants, selon les chiffres du quatrième recensement général de la population et de l’habitation (RGHPH 4) de 2013.

Vekky, le plus peuplé des arrondissements, a 42 bornes fontaines et trois châteaux d’eau pour 29.476 habitants (RGHPH 4). Pour Albertine Oké, ces ouvrages sont insuffisants en raison de la demande de plus en plus croissante des populations.

L’accès universel à l’eau potable est pourtant une des promesses du gouvernement qui s’est engagé à en faire une réalité en 2021, avant de repousser ses ambitions à 2023. Selon la dernière Enquête démographique et de santé au Bénin (EDSB-V 2017-2018),  71,2% des ménages ont accès à l’eau potable (77,8% en milieu urbain et 66,1% en milieu rural). Soit plus de sept ménages sur dix qui s’approvisionnent en eau de boisson auprès d’une source améliorée, avec une proportion plus élevée en milieu urbain qu’en milieu rural.

Selon le Rapport semestriel (juillet – décembre 2020) de suivi du patrimoine et de performance du service de l’eau, le taux de desserte en eau potable en milieu rural s’est établi à 70,16 % à fin 2020, contre 53,70 % en 2019 au Bénin.

Ces chiffres ne reflètent cependant pas la réalité que vit les populations dans certaines localités du pays, comme Sô-Ava. Ici, en plus d’être difficilement accessible, l’eau potable coûte cher, à en juger par les récriminations des populations. A la borne fontaine, les 50 litres sont cédés à 25 francs. Auparavant vendu à 25 francs, le bidon de 85 litres est passé à 50 francs. Claudine, une mère de famille, fait avec. « L’eau coûte cher mais sans eau on ne peut rien faire. Il m’arrive de dépenser jusqu’à 300 francs en un jour pour en acheter ».

Difficile riposte contre le Covid-19

Président de l’ONG « Bénin santé et survie de consommateur », Ernest Gbaguidi, s’insurge contre les difficultés que rencontrent les populations lacustres dans la quête de l’eau. Pour lui, il s’agit d’une violation des droits humains. « Notre Constitution a prévu la santé pour tous. Quand on en arrive à ce que les populations se rabattent sur une eau impropre, c’est qu’on est en train de violer les droits de l’homme ».

Spécialiste des droits humains, la juriste Miguèle Houeto estime, quant à elle, que le Bénin a l’obligation de remplir ses engagements en la matière. Non seulement le Bénin a signé et ratifié le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, mais il est aussi engagé sur la voie des Objectifs de développement durable (ODD). « L’ODD 6 fait obligation à l’Etat de faire en sorte que d’ici à 2030 plus aucun Béninois ne souffre de difficultés d’accès à l’eau potable. Ne pas satisfaire à ce droit conduit à bafouer une cascade de droits », déclarait-elle sur les antennes d’une télévision.

L’expert en eau et assainissement, Félix Adégnika, lui, appelle le gouvernement à faire un effort supplémentaire pour rendre l’eau disponible et accessible dans les zones lacustres « où vivent des Béninois et où sont concentrées des poches de pauvreté ».

MFN/fd/ts


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