Ouestafnews – Consacrées par la Constitution, les libertés publiques « sont en recul », estiment certains Béninois. Ceci, trois décennies après la conférence nationale qui instaura la démocratie au Bénin. Mais pour les partisans du pouvoir, les urgences sont ailleurs, dans le développement économique et social notamment.
Gildas Agonkan est catégorique. Député du parti Union progressiste -Le Renouveau, il fait partie de la majorité présidentielle, et il la défend bien. « A un moment donné de son histoire, chaque pays doit identifier les éléments porteurs de son développement et c’est ce que nous sommes en train de faire depuis 2016 ».
L’année 2016 marque l’arrivée au pouvoir de l’actuel président béninois, Patrice Talon. Ce dernier ne cesse d’essuyer des critiques sur sa gouvernance et notamment sur le front des libertés publiques (droit de grève, de rassemblement…).
« Lorsque nous aurons réglé nos problèmes de misère, nous ferons la démocratie », lance le député. Sans complexe, il défend l’idée selon laquelle, ce que certains qualifient de « recul démocratique » est, pour lui, « indispensable pour relever le niveau de développement du Bénin ».
S’adressant à Ouestaf News, il défend vigoureusement la politique du président Talon de remettre en cause ce que certains considèrent comme des acquis démocratiques, notamment le droit de grève pour certaines catégories et dans certaines conditions.
A son arrivé au pouvoir en 2016, Patrice Talon a initié un vaste programme de réformes économiques visant à « révéler » le Bénin à la face du monde. Ces réformes ont eu comme résultats une amélioration du taux de croissance durant son règne.
Selon l’Institut national de la statistique et de la démographie, en cinq ans (2017 à 2021) le Bénin a enregistré en moyenne 6,06 % de taux croissance contre 4,74 % pour son prédécesseur Yayi Boni pour une même durée de 2011 à 2015.
Malgré ces prouesses économiques, le niveau de développement humain reste encore faible. En 2019, 2020 et en 2021 le Bénin a été classé respectivement 158è, 158è et 166è places dans le classement du Programme des Nations unies pour le Développement (Pnud) en matière d’indice de développement humain (IDH)
Cette situation s’accompagne également d’un recul des libertés dans un pays autrefois considéré comme un laboratoire de la démocratie sur le continent africain.
Le temps des reculs
A peine installé, le gouvernement du président Talon ne tarde pas à « montrer quelques éléments inquiétants», se rappelle le juriste et défenseur des droits humains, Cyriaque Glory Hossou.
Il fait allusion à cet effet à la décision du Conseil des ministres du 5 octobre 2016, de suspendre les activités des associations estudiantines dans toutes les universités du pays. Saisie par des citoyens, la Cour constitutionnelle finira par déclarer cette décision contraire à la constitution l’année suivante.
« Les choses ont été extrêmement brutales et rapides avec des mesures de répression à la clé », déplorait le politologue et président du think-tank Civic Academy for Africa future (CiAAF), Expédit Ologou cité par TV5 Monde sur son site en mars 2021.
Ce « recul des libertés » est documenté dans certaines études.
Le Bénin est le pays ayant connu la plus grande régression sur le plan de la démocratie au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao, 15 pays) depuis 2017, révèle le Rapport 2020 du Monitoring de l’ « autocratisation » en Afrique de l’Ouest produit par l’Open Society initiative for Africa (Osiwa).
Depuis sa réélection controversée pour un deuxième mandat en 2021, Talon est accusé de « torpiller » les acquis de la Conférence nationale. Celle-ci avait ouvert la voie à la démocratie pluraliste au début des années 90.
En septembre 2022, l’organisation Human Rights Without Frontiers International (HRWF) dénonçait l’oppression des voix dissidentes par la mise en place d’un puissant « arsenal » répressif.
Parmi ces nouveaux instruments de répression figurent le Code du numérique et le nouveau Code pénal.
Analysant ces nouveaux textes dans un article « Bénin : un Code pénal liberticide » publié le 19 juillet 2019 par Contrepoint (journal libéral français), le juriste et consultant en droits humains, Montesquieu Hounhoui relève « une restriction abusive de la liberté de réunion et de manifestations pacifiques ». Même si la loi a passé l’examen du contrôle de constitutionnalité, Montesquieu Hounhoui fait remarquer qu’elle laisse trop de pouvoir à l’autorité.
En 2019 et 2021, des manifestations pacifiques en rapport avec le processus électoral et l’exclusion de l’opposition politique des joutes électorales ont été violemment réprimées avec des morts à la clé.
Quant à la nouvelle loi sur le numérique, elle « met l’internaute en danger à chaque minute », regrette Lazare Hounsa, le président de l’Association des jeunes juristes du Bénin qui craint de voir n’importe qui se retrouver derrière les barreaux « pour un rien du tout » en vertu de cette loi.
Des organisations comme Amnesty International ou Civicus ont plusieurs fois dénoncé un texte qui a déjà coûté leur liberté à des blogueurs, des activistes mais aussi à des journalistes, alors que le Bénin a dépénalisé les délits de presse depuis 2015.
Dans son rapport 2020-2021 sur l’état des droits de l’homme au Bénin, la Commission béninoise des droits de l’homme (CBDH) a relevé le Code du numérique comme contribuant au recul de la liberté de la presse. La CBDH estime que certaines dispositions de ce code « mettent en péril la liberté d’expression et la liberté des médias». Elle demande en conséquence aux parlementaires d’en faire « nécessairement » la relecture.
Face à la peur que le gouvernement a installée dans les médias en donnant « le mauvais exemple de faire fermer tous les médias qui le critiquent », beaucoup de journalistes préfèrent s’autocensurer, regrette Marcel Zoumènou, directeur de publication du journal La Nouvelle tribune et secrétaire général de l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias. Son propre journal a été suspendu de 2018 à 2021 par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC).
Plusieurs autres organes ont subi le même sort depuis l’arrivée du président en 2016.
Après avoir occupé les meilleures places dans les classements de liberté de la presse, le Bénin recule sans cesse. Il a été classé 113è, 114è et 121è, respectivement en 2020, 2021 et 2022 dans le rapport mondial de la liberté de la presse établi par l’ONG Reporters sans frontières (RSF). En 2014, 2015 et 2016, avant Talon, le Bénin occupait respectivement la 75è, 84è et 78e place du même classement.
Petite lueur d’espoir dans ce climat tendu, à l’occasion des échanges de vœux de nouvel an 2023, Patrice Talon a demandé à la HAAC d’engager des consultations avec les acteurs en vue d’une « réforme du secteur » des médias. Qu’en sortira-t-il ? Sera-ce suffisant pour redorer le blason terni du Bénin ? L’avenir le dira.
FMN/fd/ts
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