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Burkina Faso : les partis politiques dans l’impasse

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Ouestafnews – Au Burkina Faso, les activités des partis politiques sont suspendues depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, actuel président de la Transition. Dans le même temps, le gouvernement attend, de la classe politique, des propositions sur les réformes à mener avant les prochaines élections, prévues au plus tard en juillet 2024. La question divise l’opinion.

En cet après-midi du lundi 31 juillet 2023, l’avenue Kwame Nkrumah refuse du monde. Des milliers de partisans du président de la Transition, le capitaine Ibrahim Traoré, sont sortis accueillir leur « héro », de retour de Saint-Pétersbourg où il a participé au sommet Russie-Afrique. Hasard des circonstances, c’est sur cette célèbre avenue, bruyante et colorée de drapeaux burkinabè, maliens, guinéens et russes pour l’occasion, que se situe le siège du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).

Au siège de ce parti de l’ancien Président Blaise Compaoré (destitué par une révolte populaire en octobre 2014), les activités semblent réduites au minimum depuis la suspension des partis politiques et des organisations de la société civile par le gouvernement de Transition. Même si les portes du siège sont ouvertes, les agents en service ne s’occupent désormais que de tâches strictement administratives. Très prudents et méfiants, difficile de leur arracher la moindre réaction.

« Allez-voir les responsables du parti », nous lance l’un d’eux.  Ils préfèrent ne pas parler de ce qu’ils font de leur quotidien, au risque que le gouvernement les accuse d’outrepasser l’interdiction.

La suspension des activités des partis politiques a été décidée dès l’annonce de la prise du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre 2022. Le communiqué N° 3 du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR 2, structure militaire au pouvoir) qui annonçait cette décision suspendait également la Constitution du Burkina Faso. Plus de huit mois après, le gouvernement assure que la mesure reste exécutoire, malgré le rétablissement de la loi fondamentale et l’adoption d’une nouvelle Charte de la Transition.

« Pour l’instant, le moment n’est pas propice (à) des activités politiques », avait justifié le ministre de l’administration territoriale et de la sécurité le 16 février 2023, évoquant la situation sécuritaire « assez grave » du pays.

Pour autant, des dizaines de manifestations publiques de soutien au gouvernement de Transition ont été organisées à Ouagadougou et dans plusieurs villes du pays depuis l’avènement du MPSR 2. Elles ont réuni, à chaque fois, à l’appel d’organisations dites de la « société civile » (en principe, frappée par la mesure de suspension), des milliers de personnes, y compris dans des zones à fort défi sécuritaire. Celle du 31 juillet à Ouagadougou a particulièrement mobilisé du monde, au point d’empêcher toute circulation sur certaines avenues de la ville.

Pour certains Burkinabè, la mesure de suspension des partis politiques est salutaire.

« Cela permet aux autorités administratives de bien se concentrer sur la situation sécuritaire », estime Ben Nikiéma, un cadre de l’administration publique en poste à Ouagadougou. « Ce sont les politiciens qui nous ont mis dans cette situation. Ils ne pensent qu’à eux-mêmes », fustige-t-il. « Ce qui compte le plus pour la population à l’heure actuelle, c’est la sécurité », ajoute Alassane Kafando, convaincu que les hommes politiques, eux, ne sont intéressés que par les élections.

Sayouba Dianda, ne partage pas l’avis de  Kafando et Nikiéma. Pour lui, la suspension des activités des partis doit être levée. « Les partis et formations politiques animaient la vie politique en proposant des solutions ou en interpellant le gouvernement sur beaucoup de sujets qui peuvent mettre en péril le vivre-ensemble », argumente l’enseignant des lycées et collèges, dans la région du Centre-Est. Selon lui, les hommes politiques « peuvent contribuer à la paix et à la cohésion sociale à travers la formation et l’éducation de leurs militants ».

« La Transition a peur que les partis politiques s’expriment ou appellent à des manifestations. C’est dommage », regrette pour sa part Moustapha Sondé, étudiant en communication à Ouagadougou. Hama Cissé, journaliste à Dori, région du Sahel, se désole : « on voit ceux qui sont avec le pouvoir faire des meetings de soutien. (…) c’est contradictoire ».

Dans une lettre du 24 mai 2023, le gouvernement a demandé aux partis politiques, à travers leurs regroupements, de lui transmettre leurs réflexions sur le cadre juridique des élections et des partis politiques. Il s’agit principalement de projets de réformes concernant le code électoral et la Charte des partis politiques, qui pourraient être révisés selon les recommandations des assises nationales d’octobre 2022. L’occasion a été saisie par la classe politique pour rappeler que la suspension, encore en vigueur, empêche sa participation.

« En l’état actuel des choses, nous sommes dans l’impossibilité d’organiser les concertations appropriées », a écrit Clément Sawadogo, le porte-parole de l’ex-Alliance des partis de la majorité présidentielle (ex-APMP), signataire de la Charte de la Transition. « Cette situation de blocage nuit à l’action des partis politiques et à la nation », renchérit Ablassé Ouédraogo, porte-parole d’un autre regroupement  dénommé « Autres partis politiques ». Il soutient que cette suspension est contraire à la Constitution.

Au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), chef de file de l’ex-opposition, on crie à la « stigmatisation » des hommes politiques. « On ne peut pas avoir une chose et son contraire », fulmine Boubacar Sannou, premier vice-président du parti, joint par Ouestaf News. Selon lui, la Transition veut « donner l’impression à l’opinion nationale et internationale qu’on associe tout le monde à la prise de décision ».

« Nous ne voyons pas en quoi la tenue des instances peut être source d’instabilité pour la Transition », poursuit Boubacar Sannou. Pour le porte-parole du CDP, cette suspension amène les partis politiques « à violer la loi, qui est la charte des partis politiques, qui découle de la Constitution ». En effet, la loi oblige les partis politiques à respecter leurs propres statuts et règlements, qui, eux, prévoient une tenue régulière des instances.

Pour le constitutionnaliste Dr Aboubakar Sango, c’est la légalité même de l’acte qui doit être interrogée. L’acte de suspension est « inexistant », depuis que la Constitution a été rétablie, argumente le juriste. « Dans cette légalité normale, dit-t-il, le Président de la République ne peut pas suspendre les activités des partis politiques ». Citant la Charte des partis politiques, il indique que « c’est le ministre des libertés publiques qui peut suspendre les partis politiques pour des raisons liées à la perturbation de l’ordre public, et lorsque les partis politiques mènent des activités qui sont contre les lois de la République ». « Cette suspension ne doit pas excéder 3 mois », détaille Dr Aboubakar Sango.

Malgré tout, les acteurs politiques assurent de leur disposition à accompagner la Transition burkinabè. Boubacar Sannou, porte-parole du CDP, rappelle que certains partis ont appelé leurs militants à contribuer à l’effort de guerre, conformément à l’appel du Chef de l’Etat. C’est d’ailleurs ce parti qui a été le premier à proposer la création d’un « fonds patriotique d’appui à l’effort de guerre », avant l’avènement du MPSR 2. Des militants de partis politiques se sont également enrôlés comme volontaires pour la défense de la patrie, des supplétifs de l’armée intervenant dans la lutte contre les groupes armés terroristes.

A l’Union pour le progrès et le changement (UPC), le seul parti à avoir attaqué devant la justice, sans gain de cause, la mesure de suspension, on se refuse désormais à tout commentaire public sur le sujet. Mais des sources proches de la direction disent attendre la réaction du gouvernement après les récentes observations des regroupements politiques au sujet des réformes. Certains acteurs politiques fondent leur espoir dans la nomination d’un du nouveau ministre en charge de l’administration territoriale le 25 juin 2023. Il s’agit du magistrat Emile Zerbo, ancien procureur du Tribunal de grande instance Ouaga 2. Son profil d’homme de droit pourrait jouer à l’avantage de la classe politique, selon Dr Aboubakar Sango.

AFT/fd/ts

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