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La fumée blanche n’est pas sortie du Sommet des Chefs d’Etats de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) mais la poudre des militaires a presque parlé, à nouveau, dans la région.
Où va cette Afrique de l’Ouest ? En proie aux pires convulsions, écartelée entre le regain d’incertitudes électorales en Côte d’Ivoire, le vaudeville politico-militaire tragique en Guinée Conakry, le vide à la tête de l’Etat nigérian, les tripatouillages constitutionnels un peu partout, les menées occultes, surtout la débandade des Etats face au triomphe des intérêts privés et mafieux, elle avance par gros temps sans boussole ni capitaine(s).lucide (s). Ses dirigeants ont perdu le sens des priorités et des principes. Ses peuples sont désemparés. Ses sociétés en crise…
Dans ce contexte, le renversement du Nigérien, Mamadou Tandja, n’est dès lors qu’une péripétie trop prévisible. Avant coureur aussi: d’autres mouvements similaires pourraient suivre en réponse à la faillite du leadership dans une région dont l’adhésion à la démocratie n’en finit pourtant pas de provoquer des surprises négatives.
Généralisée dans ses divers Etats, la tourmente qui la secoue relègue au second plan la question centrale de l’intégration régionale. Au point que s’il fallait trouver un signe distinctif de ce mal être, un simple fait suffirait: la CEDEAO a terminé, le 16 février, son 37e sommet de chefs d’Etat sans s’entendre sur l’homme qui doit diriger ses destinées, en tant que président de la Commission…
Sous ce rapport, le coup d’Etat survenu au Niger, moins d’une semaine après ce sommet, prouve que les forces sociales cherchent des réponses ailleurs, surtout en s’écartant des pétitions de principe qui ne peuvent plus suffire à empêcher les hommes en Kaki, et les forces parallèles, à se projeter sur la scène publique. Désormais, le recours à des voies non constitutionnelles est légitime pour restaurer un ordre constitutionnel et moral souvent malmené et détourné par des pouvoirs qui n’adhèrent à la démocratie qu’en termes de captation et de préservation, à leur profit exclusif, du pouvoir selon le fameux «Un homme, Une voix, Une fois ! » Comme de nombreux civils, les militaires en ont assez des salamalecs sans fin et des compromissions par trop visibles entre ceux qui sont censés montrer la voie. Nul n’en doute, les soldats Nigériens feront des émules.
La réalité est que l’incapacité de ces Chefs d’Etat Ouest africains à s’élever à la dimension de leur mission ne peut qu’ouvrir un vaste boulevard aux aventures rebelles les plus audacieuses, militaires ou civiles. Les leçons à tirer de l’échec des processus démocratiques dans plusieurs pays du continent, surtout ceux de l’Afrique de l’Ouest, les justifient. Devenus de parfaits prétextes pour de faux démocrates plus soucieux d’améliorer leur quotidien que de répondre, sur une base équitable, aux enjeux collectifs qu’ils ont en face d’eux, champions des arrangements constitutionnels et entre amis, coquins et faquins, ils sont les vrais bourreaux de l’aspiration démocratique ayant si heureusement traversé les contrées africaines au début des années 1990 …
Dans ces conditions, le retour des militaires est devenu justiciable d’une plus fine analyse. Les condamnations rituelles émanant des instances africaines ne suffisent plus, nul n’étant dupe de ce que les pouvoirs en place n’ont d’autre préoccupation que de tromper leur monde, surtout des partenaires bilatéraux et multilatéraux qui semblent avoir perdu leur capacité d’indignation, de contrition encore moins de contrôle des actes délictueux qu’ils posent. En maintenant leurs relations avec les pays africains mal gouvernés, au motif que certains d’entre eux, ceux du monde occidental, ne veulent pas laisser la place aux nouveaux pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, ils se retrouvent, comme des complices, à approuver les manœuvres qui frappent de caducité les projets démocratiques africains. Penser dans ces conditions que des solutions extraconstitutionnelles doivent être bannies, c’est condamner les peuples et pays africains à demeurer sous le joug de régimes n’ayant plus de légitimité voire de légalité.
En prenant les choses en mains, pour marquer leur défiance vis-à-vis des médiations politiciennes aux contours incertains, les soldats nigériens soulignent donc, de belle manière, leur peu de foi dans les médiations de la CEDEAO. Ils n’ont pas tort.
Comment faire confiance à des dirigeants qui n’ont même pas été en mesure de départager les deux candidats proposés par le Sénégal et le Burkina Faso pour redorer le lustre d’une institution malade de parlotte et incapable de faire avancer les causes essentielles ?
Même si je l’ai perdu de vue depuis plus d’une dizaine d’années, je crois, pour ma part, que celui du Faso, en l’occurrence Kadré Désiré Ouédraogo, dispose d’atouts suffisamment solides pour prendre les rênes de la CEDEAO à ce moment critique de sa marche. En homme pondéré et rigoureux, comme lui, cet ancien de l’Ecole des hautes études commerciales (HEC) pourrait lui apporter le surplus de crédibilité qui lui fait défaut après ses errements électoraux dans certains pays de la région. Son parcours professionnel le prépare à assumer une telle charge. Ancien Secrétaire Exécutif adjoint de la CEDEAO Chargé des affaires économiques, il connaît parfaitement l’institution, en même temps qu’il peut s’appuyer sur son passé de vice gouverneur de la Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest, de Premier Ministre et d’ambassadeur de son pays à Bruxelles.
C’est pourquoi la plupart des observateurs objectifs s’attendaient à un habemus Kadré Désiré Ouédraogo. En préférant couper la poire en deux pour l’instant, les dirigeants Ouest africains font preuve d’indécision alors que, trente-cinq ans après sa création, le 28 mai 1975, la Communauté souffre de n’avoir pas encore fait ses preuves….
Il n’est pas ici question de prendre position contre son opposant sénégalais mais tout panafricaniste, surtout les Nigérians adeptes de cette école, ne peut oublier qu’il y a une dizaine d’années, l’actuel président du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, fraîchement arrivé à la tête de son pays, s’était distingué par la première de ce qui sera une série de déclarations fracassantes en affirmant, dans une interview, qu’il fallait évincer le Nigeria de la Cedeao. Des traces sont restées…
Soyons clair: la désignation des dirigeants des institutions régionales ou panafricaines doit répondre à des critères mieux définis, transparents et méritocratiques. Des mécanismes de sélection plus rigoureux s’imposent aussi. Parce qu’il importe d’empêcher que ne se propage dans ces cénacles le folklore qui sévit dans divers pays où les promotions individuelles relèvent parfois de considérations ethniques, hagiographiques ou de proximité politique.
La marche poussive des institutions africaines l’interdit. Notamment celle de la Cedeao qui se lit aisément à travers la faiblesse de ses acquis. C’est ainsi que les échanges commerciaux entre ses Etats membres se situent à moins de 10 % contre plus de 70 % pour l’Europe. Ses ressortissants peuvent certes voyager d’un pays à l’autre à l’intérieur des frontières de la Communauté sans visa mais au prix de multiples tracasseries que les bureaucrates qualifient de barrières non tarifaires. La coopération monétaire est en retard, les marchés et institutions financières sont opaques et les projets intégrateurs font cruellement défaut à une région en manque de structures physiques et multinationales adéquates.
L’urgence d’une accélération de l’intégration régionale est un autre défi alors que l’Afrique de l’Ouest s’engage dans la mise en place d’une union douanière tout en étant sommée de faire face, elle aussi, à une crise économique et financière multiforme. C’est dire qu’elle ne peut se payer le luxe des coquetteries étatiques. L’excès de souveraineté n’est plus pertinent. Car le projet communautaire est par définition un appel à l’effacement des volontés nationales. Sans un tel sacrifice pour profiter de son potentiel démographique et spatial, l’Afrique de l’Ouest ne saurait convaincre les investisseurs étrangers qu’elle est une destination digne de recevoir leurs flux financiers.
La nécessité de reprendre en mains la direction du débat conceptuel s’impose aux Ouest africains au moment où les rhétoriciens du Programme des Nations unies pour le…développement (Pnud) s’emploient à leur vendre leur dernière camelote, à savoir cette théorie de l’Etat capable en plus de leur faire perdre du temps dans la perspective d’un nouveau sommet, en septembre prochain, sur les Objectifs du Millénaire aussi inutile que mal venu. A cette aune, le besoin d’affirmation d’un leadership africain compétent n’a jamais été aussi évident. Car il importe d’avoir à la tête des Etats africains et des organisations communautaires des hommes qui peuvent dire halte quand il le faut, notamment en rappelant que l’Etat capable dont on parle aujourd’hui avait existé en Afrique au début des années 60 quand les services publics étaient performants et équitables. Qui a promu l’Etat modeste, libéral, sur le continent, dans les années 80 ? Comment ne pas aussi voir avec un certain effroi l’arrogance des institutions financières multilatérales qui profitent du vide étatique pour prendre le guidon des Etats africains, y compris en tentant de s’interposer dans leurs relations avec leurs partenaires en provenance d’un monde émergent, au Sud, menaçant leur prépondérance ? Comment surtout ne pas s’étrangler, quand on entend, par exemple, le représentant de la Banque mondiale à Dakar, un certain Habib Fettini, «conseiller» aux journalistes africains, sénégalais en l’occurrence, de cesser de trop s’attaquer aux institutions étatiques, en d’autres termes de ne plus jouer leur rôle de vigiles, comme au bon vieux temps où la domestication de l’information était le prétexte au combat de certains pour le contrôle des flux de l’information ?
Dans cette crise généralisée qui exige l’affirmation d’une voix Ouest africaine, identifiable, plus éclairée et crédible, le temps est propice pour poser en profondeur la question du leadership des Etats et des institutions. Afin que des intérêts privés, revêtus du label de la puissance publique, cessent de capter les débats indispensables sur les formes et le contenu de la démocratie, les relations avec les partenaires au développement, y compris l’opacité entourant les liens avec la Chine et l’Inde, ou encore le contrôle du mandat confié à des acteurs individuels à la tête des Etats et des institutions africaines.
Il faut dès lors rendre grâce aux militaires Nigériens d’avoir crevé l’abcès dans leur pays en espérant qu’un sursaut de vrai régionalisme prendra le dessus sur les velléités nationalistes pour que le déblocage de la crise au Niger et celle de leadership à la tête de la CEDEAO débouche sur un double habemus !
* Adama GAYE est un Journaliste et consultant sénégalais
adamagaye@hotmail.com
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