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Le ton a été donné par les syndicats nigérians qui redoutent la concurrence des produits marocains. Ils invitent ainsi le président Muhammadu Buhari à s’opposer à l’adhésion du Maroc.
L’économiste sénégalais, le Professeur Moustapha Kassé, trouve justifiés les soucis des industriels de la Cedeao. «Le Sénégal, par exemple, est en compétition avec le Maroc qui est malheureusement très en avance sur lui dans les secteurs par lesquels il prétend tirer son économie», regrette le Pr. Kassé, dans un entretien accordé à Ouestafnews.
L’agriculture marocaine, estime-t-il, «est très développée avec une maîtrise de l’eau et une production très élevée. Son principal handicap reste le foncier où il est également en train de compenser en payant des terres partout. »
En matière de pêche, les accords signés par le Maroc avec l’Europe «lui sont plus avantageux. Ce qui n’est pas le cas pour le Sénégal », note encore l’économiste pour qui le déséquilibre sera davantage exacerbé si l’on sait que «le système financier sénégalais est actuellement contrôlé à 63 % par le Maroc».
Enseignant à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, le professeur Birahim Bouna Niang, pense quant à lui que la première force du Maroc réside dans le fait qu’ «il bénéficie d’une avance technologique par rapport aux pays de la Cedeao».
Mieux, le royaume chérifien possède «des entreprises solides dont certaines sont déjà présentes dans l’espace Cedeao en plus d’avoir une stratégie cohérente et organisée qui se révèle efficace», argumente le doyen de la Faseg.
En raison de l’absence de programmes similaires dans les pays de la Cedeao, le Pr. Niang en déduit que « les échanges seront très déséquilibrés». Déjà pour le Sénégal, précise-t-il, «le taux de couverture des importations par les exportations vers le Maroc est même plus faible que les taux qu’il enregistre envers les pays développés».
Dans un entretien accordé à Ouestafnews au mois de mai 2017, l’économiste Meissa Babou annonçait les craintes du secteur privé de la Cedeao. Selon lui, les pays de la Cedeao ne pourront malheureusement pas profiter du marché marocain « très fermé».
«Le Maroc est une grande industrie, une grande mine, une grande agriculture, un grand artisan, un producteur de pétrole et une grande finance. Finalement, c’est lui qui s’ouvre les portes d’un grand marché de la zone Cedeao», alertait Meissa Babou, un autre économiste sénégalais.
Cinquième colonne de l’économie française
Permettre encore au Maroc, ne serait-ce qu’une petite ouverture sur le reste du marché que nos entreprises possèdent serait synonyme de suicide.
«Dans le discours d’Emmanuel Macron élaboré par l’Institut Montaigne, la France montre clairement qu’elle veut se repositionner sur le marché africain avec le Maroc comme sa cinquième colonne. Cela veut dire, si on intègre le Maroc à la Cedeao, en plus des Ape (Accords de partenariat économique) signés, on se met le couteau à la gorge», prévient l’économiste Moustapha Kassé.
Un autre argument du professeur Kassé est cette déclaration du président du Mouvement des entreprises de France (Medef), Pierre Gattaz, lors d’une rencontre avec le patronat marocain. «Le Maroc va servir à la France de cheval de Troie pour la reconquête des marchés africains», a-t-il rappelé, citant M. Gattaz.
Autrement dit, précise l’économiste, «la France a senti qu’elle a perdu du terrain sur le marché africain et veut maintenant y contrecarrer l’avancée des pays émergents particulièrement la Chine».
Pour porter l’estocade aux entreprises de la sous-région ouest africaines, explique Moustapha Kassé, la France s’appuiera sur « les entreprises marocaines dont la plupart sont liées par des joint-ventures avec des entreprises françaises».
Soutenir les privés nationaux
Sauf retournement de situation avant le sommet de Lomé du 16 décembre 2017, l’adhésion du Maroc sera officialisée. Pour atténuer le déséquilibre dans les échanges, le Pr. Niang recommande aux Etats de la Cedeao de bien mener les négociations et avec « sérénité et sur la base d’études d’impact sur différents secteurs ».
Dans les échanges, explique-t-il, «il faut que l’on trouve les opportunités permettant la survie et l’éclosion des entreprises de la Cedeao par rapport aux entreprises marocaines ».
Le Pr. Kassé, quant à lui, exprime une position radicale sur l’adhésion du Maroc. «Il faut arrêter ce processus qui n’implique pas la société civile encore moins les industriels et hommes d’affaires », dénonce l’économiste.
Il s’offusque du fait que les chefs d’Etat de la Cedeao n’ont encore daigné «consulter leurs citoyens sur une question aussi cruciale mettant l’économie du marché commun en danger».
D’où, selon lui, la nécessité d’ouvrir le débat sur la question et écouter tout le monde surtout le secteur des finances et des industries.
« C’est ce que le Maroc fait. Chaque fois que le roi voyage, il se fait accompagner par le patronat marocain qu’il consulte et le met en avant dans ses négociations», alerte Kassé qui enseigne également à la Faseg de l’Ucad.
Le Maroc a de réels avantages à tirer de son adhésion à la Cedeao notamment en matière d’exportation où il va bénéficier de la suppression de 35% des droits de douanes sans compter l’accès à 350 millions de consommateurs.
Le tout dans une zone où ses 100 milliards de dollars de Produit intérieur brut (PIB) représentent plus que les PIB réunis «des locomotives de la Cedeao, c’est-à-dire le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Ghana qui font respectivement 12 milliards de dollars, un peu plus de 40 milliards et 30 milliards».
FD/MN/AD
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