Chérif Salif Sy – Les rapports ne sont pas faits pour changer les choses mais pour attirer l’attention sur telle ou telle situation. Certains font des classements selon certains critères, d’autres étudient la dégradation de notre environnement. D’autres encore font des comparaisons internationales, etc. Ce qui est vrai, c’est que les inégalités dans le monde prennent de plus en plus d’ampleur, et cela les situe au cœur du débat public. Les populations sont plus conscientes que jamais de son envergure. Et vous avez raison de lier les inégalités au système économique qui gouverne notre monde. Hommes politiques, institutions internationales, chercheurs, activistes de tous bords imputent la responsabilité à une économie mondiale de cupidité, une économie inégalitaire qui dépouille les pauvres pour donner aux riches.
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En 2014, le «Global Attitudes Project» et le Pew Research Center, dans une enquête d’opinion publique internationale, ont demandé aux personnes interrogées, «quel était le plus grand danger pour le monde ». La réponse aux États-Unis et en Europe a été que «l’inégalité inquiète plus que toute autre menace». Alors, comment pouvons-nous faire pour réduire les inégalités ? Comment cette sensibilité accrue de l’opinion peut-elle se traduire en actes et politiques ? Cette question nous interpelle tous. Mais, tout n’est pas que question d’économie.
La démocratie, les services publics, la solidarité sociale, les médias, les régions éloignées, l’agriculture, le climat, l’environnement : tout est en péril… sauf le pouvoir des riches, qui semblent bien déterminés à « sucer le sang » de cette planète jusqu’à la dernière goutte. Pour cette oligarchie, tout se déroule en effet comme prévu : le peuple, pris au piège de la consommation, est réduit à une sorte d’esclavage par le travail et l’endettement. Survivre à cette offensive des riches pour s’affranchir du joug de la croissance économique illimitée qui menace les équilibres naturels indispensables à la survie de l’espèce humaine sur terre devient un défi majeur.
Ouestafnews – On dit que la pauvreté recule partout dans le monde, sauf en Afrique. Comment expliquez-vous cela ?
Ch. S. S – Même si certains pays africains commencent à recueillir les fruits de leur maturation démocratique et que les États africains se dotent progressivement d’outils de concertation, l’Afrique est le seul continent à avoir régressé depuis les indépendances, aussi bien en termes économiques que sociaux. Elle souffre également d’un manque d’intérêt réel, manifeste de la part de la « communauté internationale ».
Le processus colonial, qui s’est estompé au milieu du XXe siècle, a laissé place à un nouveau mode de partenariat entre pays africains et États occidentaux et asiatiques. Des relations teintées, selon les cas et les périodes, de néocolonialisme et d’affairisme plus ou moins édifiants. Cela a néanmoins contribué à un développement économique assez conséquent, quoiqu’inégalitaire. Quoique sous-peuplé et mal peuplé, le poids démographique du continent n’en reste pas moins considérable. Si bien qu’il ne faut pas négliger les conséquences de toutes les politiques menées jusqu’à présent. Ces dernières vont devoir être réajustées pour un continent qui, à l’avenir, va compter de plus en plus sur l’échiquier mondial.
Sa trajectoire démographique est inédite dans l’histoire, sa population a décuplé en un siècle. Avec moins de 10 % de la population mondiale en 1950, elle compte 15 % en 2015 avec 1,2 milliard. Elle sera de 2,4 milliards et peut-être près de 4 milliards en 2100, soit 39% de la population mondiale. La population de l’Afrique représentera alors une fois et demie la population actuelle de la Chine et deux fois celle de l’Europe. Cette croissance démographique concerne à la fois les zones rurales et les zones urbaines, et ceci malgré l’augmentation du taux d’urbanisation.
À tout cela, il faut ajouter les dysfonctionnements qui, aujourd’hui, résultent essentiellement des processus économiques en vigueur, mis en œuvre par les gouvernements sous l’impulsion des institutions économiques et financières internationales qui ne veulent, décidément, pas perdre le contrôle sur les États. À cela s’ajoutent les dérives des politiques d’accaparement des ressources naturelles et énergétiques, appliquées par des multinationales occidentales et asiatiques, sans véritable redistribution des richesses. La situation sécuritaire se dégrade également.
Il y a donc autant de paradigmes qu’il faut en effet changer pour un futur plus équilibré et constructif. L’accroissement démographique qui, dans les conditions de faible création de richesses, de nourriture et d’emplois décents et rémunérateurs, est la conséquence de l’exploitation coloniale et néocoloniale. Des systèmes qui ont imposé entre autres, l’ajustement structurel unilatéral et la soumission des économies au marché.
Ouestafnews – Un des problèmes soulignés dans le rapport sur les inégalités, ce sont les bas niveaux de rémunérations et les écarts de salaires. Mais le problème ne se trouve-t-il pas dans la configuration même du monde actuel, dominé par le libéralisme, voire l’ultra-libéralisme ?
Ch. S. S – Le système a reposé sur des préjugés théoriques comme prôné par l’approche de David Ricardo, économiste britannique, mise en œuvre par les économistes conventionnels et ceux des « princes ». Cette approche stipulait que la croissance est d’autant plus rapide que la part du revenu national qui va aux capitalistes était élevée et que si les individus à revenus élevés investissaient leur épargne systématiquement, alors l’inégalité favoriserait la croissance. Bien entendu cela fait longtemps qu’il a été démontré que l’égalité pouvait être favorable à la croissance si certaines politiques étaient mises en œuvre.
Le système mondial, tel qu’il fonctionne réellement et pas tel qu’il se dit qu’il fonctionne, est le responsable de l’augmentation sans fin des inégalités dans le monde, même si OXFAM n’étudie dans son rapport que l’inégalité monétaire.
Cependant, ce rapport ne fausse en rien la réalité globale de l’extrême concentration des richesses dans l’économie mondiale, même si sa méthodologie suscite des interrogations. Par exemple, qu’est-ce qui unit dans la pauvreté un Français à la retraite, un diplômé de Harvard qui débute sa carrière à Wall Street et doit encore rembourser son crédit pour les études et des populations qui meurent de faim en Afrique mais qui n’ont pas de dette ?
FD/ad/ts
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