Le président Wade, dont les propos sont rapportés par les médias sénégalais, s’exprimait à l’ouverture du forum sous-régional des institutions de lutte contre la corruption et la non transparence qui s’est ouvert le lundi 21 juin 2010 à Dakar.
« Il faut qu’on se décomplexe, face à ceux qui nous font penser que nos pays sont corrompus. Je refuse cela et je ne peux pas l’accepter », a encore ajouté le président sénégalais reprenant des propos qu’il avait tenus récemment devant l’ambassadeur des Etats-Unis à Dakar.
Toutefois, ces leçons et recommandations du président sénégalais tombent très mal, l’ensemble de son régime étant secoué depuis des années par diverses accusations de corruption, qui se sont encore amplifiées ces derniers mois.
En fin 2009, le président sénégalais admettait avoir ordonné la remise d’un « cadeau », constitué d’une forte somme en devises à un fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI), Alex Segura, qui achevait sa mission à Dakar.
L’affaire avait fait grand bruit à Dakar et à Washington avant que le FMI n’impose au président sénégalais d’admettre qu’il était l’auteur du don, tout en protégeant son agent.
Sur un autre registre, une affaire dénommée par la presse « l’affaire des 20 milliards de la Sudatel », révélée par la presse accuse de hauts responsables du gouvernement et des proches de la présidence sénégalaise de s’être partagés 20 milliards de FCFA en guise de commissions dans la cession d’une licence globale de téléphonie à la compagnie soudanaise Sudatel.
Les principaux concernés et la compagnie de télécoms nient toute implication, mais sans parvenir à convaincre l’opinion, faute d’enquête indépendante.
Par ailleurs, plusieurs soupçons de corruption pèsent sur plusieurs membres du gouvernement ou des responsables d’agences publiques, souvent à la suite de rapports d’audit effectué soit par l’Inspection générale d’Etat (IGE), soit par l’Agence de régulation des marchés publics.
Ainsi, l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci, chargé d’organiser un sommet qui s’est tenu en mars 2008), alors dirigée par le fils du chef de l’Etat, Karim Wade, a fait l’objet d’accusations très graves publiées dans un livre écrit par le journalistes Abdou Latif Coulibaly, mais aucune enquête indépendante ni aucune action ne s’en est suivie, en dépit des nombreux engagements du président sénégalais à « lutter contre la corruption ».
Les responsables de la Commission nationale de lutte contre la corruption, la non-transparence et la concussion mise en place par le gouvernement, se plaignent de n’avoir ni les moyens ni le pouvoir légal d’auto-saisine lorsqu’éclatent des affaires de coruption ou de mal-gouvernance.
Face à toutes ces « affaires », dont les révélations sont souvent suivies de peu d’effet, les Etats-Unis d’Amérique ont récemment rappelé le Sénégal à l’ordre dans l’usage des fonds provenant de la coopération américaine.
L’ambassadeur des Etats-Unis à Dakar, Marcia Bernicat, a ainsi, par le biais d’un communiqué daté du 28 mai 2010 et largement repris dans les médias locaux, invité les autorités sénégalaises à plus d’efforts dans la lutte contre la corruption, suscitant une violente réaction de la part du président Abdoulaye Wade devant les caméras de la télévision nationale.
« On sait ce qui se passe aux Etats-Unis, chez vous il y a un escroc qui a détourné plus que le budget de beaucoup de pays d’Afrique », avait notamment lancé le président Wade à la face de la diplomate.
La lutte contre la corruption est l’une des conditions du Millenium Challenge Account (MCA), un programme d’aide américain pour lequel le Sénégal s’est vu accorder 540 millions de dollars (plus de 288, 6 milliards au taux d’aujourd’hui) pour de grands projets d’infrastructures.
Mais les Etats-Unis ont été fermes : il n’est pas question que l’argent du contribuable américain soit dilapidé par des pratiques peu ou pas orthodoxes, l’une des conditions d’éligibilité au MCA étant justement la bonne gouvernance.
En 2008 le Sénégal était classé 85ème sur 179 pays sur la base de l’index de perception de la corruption établi chaque année par Transparency international. En 2009 le Sénégal se retrouvait 99ème sur 180 pays.
Ce classement de Transparency, même s’il est devenu une référence dans le monde occidental, est souvent contesté par les chefs d’Etats des pays africains qui y sont épinglés.