Comme dans le reste du continent, les politiques de « couverture santé universelle » découlent pour la plupart, d’une résolution adoptée en décembre 2012 par l’ONU. La résolution onusienne, proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), recommandait aux Etats membres de « promouvoir et de rendre effective la couverture sanitaire universelle au niveau national ».
Que tous aient accès à la santé
Selon l’OMS, « le but de la couverture universelle en matière de santé est de faire en sorte que tous les individus aient accès aux services de santé dont ils ont besoin, sans que cela n’entraîne pour les usagers des difficultés financières », explique l’OMS.
Certains pays, dont le Ghana et le Nigeria, ont eu le mérite d’avoir lancé leur programme de couverture santé universelle avant l’adoption de la résolution onusienne.
D’autres, en revanche, ont des programmes « post-résolution ». La côte d’Ivoire, par exemple n’a lancé son Programme de couverture qu’ en 2015.
« Moins de 5% de la population bénéficie de la protection sociale contre le risque maladie », déclarait le premier ministre Daniel Kablan Duncan en janvier 2015, selon des propos rapportés par le magazine Jeune Afrique.
En lançant ce programme, le président Alassane Ouattara s’est fixé comme objectif d’atteindre « rapidement » 4 millions de souscripteurs. Un chiffre qui ne représente que le 1/5 de la population ivoirienne.
Cotisations et taxes
Autre exemple parmi les plus récents, le Bénin qui a entamé l’exécution de son Régime d’assurance maladie universelle (RAMU) en mars 2013.
Une Agence nationale d’assurance maladie (ANAM) a été créée à cet effet avec comme mission de mettre en œuvre ce programme appelé à garantir « l’accès équitable aux soins de santé de qualité de tous les Béninois ».
Ces derniers doivent, en échange d’une cotisation mensuelle fixée à 1.000 francs CFA, être pris en charge, jusqu’à hauteur de 80 pour cent, pour les dépenses de consultation, d’hospitalisation, de soins, de médicaments, de vaccins obligatoires, d’appareillage et de transport vers les structures de santé.
Au Sénégal, la couverture maladie universelle devra être financée par les cotisations des populations, perçues par les mutuelles de santé, en plus des taxes sur « les produits néfastes pour la santé », dont le tabac.
Ici aussi le programme a été lancé en septembre 2013 et vise surtout les populations du monde rural et les travailleurs du secteur informel, qui doivent adhérer à des mutuelles de santé.
Le financement communautaire est considéré comme « la stratégie la plus efficace pour faire bénéficier de la couverture maladie universelle les 80 % de Sénégalais n’ayant aucune couverture de risque-maladie », selon le président Macky Sall.
Triste réalité
Le ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale a désigné les Unions régionales de mutuelles de santé des 14 régions du pays comme « partenaires stratégiques » de l’Agence nationale de la couverture maladie universelle (ANCMU), dont l’objectif est de couvrir médicalement au plus tard en 2017, au moins 75%.
La réalité montre qu’on est encore loin de ces objectifs.
Au Sénégal La CMU n’en était qu’à un taux de couverture de 32 %, entre la période de son lancement et le mois de juin 2015, selon le directeur général de l’ANCMU, le docteur Seydi Aboubacar Mbengue.
Et encore il s’agit là d’un calcul « politiquement astucieux », selon les experts, car il prend en compte d’autres programmes initiés bien avant le lancement de la CMU, et qui permet de gonfler artificiellement les résultats.
Il s’agit notamment de la gratuité des accouchements et des césariennes, ce qui ne veut pas dire que la femme qui bénéficie de ces deux « gratuités » dispose d’une « couverture maladie » lorsque par exemple il faudra soigner un palu ou une petite entorse.
Les soins de santé sont également gratuits pour les personnes dites du troisième âge, celles qui ont 60 ans au moins. Là aussi, l’efficacité reste à démontrer.
Dix ans et toujours rien
Le Mali a pour sa part mis au point l’Assurance maladie obligatoire (AMO), pour la période 2014-2023. Dans ce pays, environ 78 % de la population ne bénéficient d’aucune mesure de protection sociale.
Au Ghana, le Plan d’assurance-maladie nationale (NHIS), a été élaboré depuis en 2004 pour garantir une couverture sanitaire à tous les Ghanéens.
Après 10 ans d’exécution, le taux de couverture reste à 36 %. Ce niveau, qui n’a rien d’extraordinaire, est considéré par les spécialistes comme « rarement » atteint en Afrique, mis à part quelques pays, dont le Maroc (61%).
Deux tiers des Ghanéens restent encore privés de soins de santé, s’ils ne les paient pas de leur poche. Le NHIS est essentiellement financé par une ponction de 2,5 % sur la TVA – la taxe sur la valeur ajoutée – et un prélèvement sur les salaires.
Le Nigeria, lui, lançait son Plan d’assurance-maladie nationale, pour garantir la prise en charge médicale de tous ses citoyens, à l’horizon 2015. A quelques mois de cette échéance, moins de 30 % des Nigérians sont couverts par ce plan, les autres étant obligés de mettre la main à la poche pour se prendre médicalement en charge.
Ruine des ménages
Une étude publiée en 2013 par Emily Gustafsson-Wright et Onno Schellekens, deux chercheurs de la Brookings Institute (Etats-Unis), signalent que « les populations nigérianes sont obligées de réduire les dépenses alimentaires et de renoncer à d’autres besoins fondamentaux, pour avoir assez d’argent nécessaire à leur besoins de santé ».
« Tomber malade peut entraîner la ruine des ménages en situation de pauvreté. (…) Le Nigeria a les indicateurs de santé les plus faibles du monde. C’est un pays à faible revenu, dont les défis sont énormes en matière de santé », ajoutent les deux auteurs de l’étude.
A delà des slogans destinés aux meetings politiques et des promesses de campagne électorale, le financement de ces « filets » de sécurité sanitaire reste une équation insoluble pour bon nombre de pays.
Ces derniers devraient s’inspirer de l’expérience rwandaise, selon Amadou Kanouté, le directeur exécutif de l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cicodev), qui est basé à Dakar.
Fuite de capitaux et l’exemple rwandais
« Au Rwanda, 96 pour cent de la population adhèrent à une mutuelle de santé. Une loi exigeant de tous les Rwandais l’adhésion à une assurance maladie obligatoire (AMO) a été votée en 2007. Ceux qui n’ont pas les moyens de souscrire à une AMO sont pris en charge par l’Etat », explique Kanouté dans un entretien à Ouestaf News.
Selon lui, « les Etats, qui doivent assurer de manière pérenne le financement de la santé publique, peuvent y arriver en consacrant 15 % de leur budget national à la santé, un secteur dont la centralité n’est plus à discuter ».*
Cet engagement de consacrer engagement 15 % de leur budget à la santé avait été pris avec « l’Accord d’Abuja », en 2001. Peu de pays y arrivent.
Solution préconisée par le responsable de Cicodev, trouver les moyens de capter les fonds qui disparaissent » chaque année « à cause de l’évasion fiscale et des flux financiers illicites ».
« Les Etats africains laissent filer de l’argent vers des entreprises qui n’en ont besoin que pour satisfaire la gourmandise de leurs actionnaires », s’insurge-t-il en suggérant de « faire payer davantage de taxes aux entreprises étrangères opérant en Afrique, les sociétés minières par exemple ».