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Covid-19 : Abidjan, l’insouciante

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Ouestafnews – Le premier cas de Covid-19 a été détecté en Côte d’Ivoire le 11 mars 2020. Aujourd’hui, le pays a franchi la barre des 50.000 cas dont plus de quatre-cent décès. Après quelques mois de restriction, Abidjan, la capitale économique du pays a depuis retrouvé son ambiance habituelle. Bars, maquis, églises, mosquées et autres lieux de rassemblement ne désemplissent pas. Sans aucun geste-barrière.

Il est environ 9 heures, en ce samedi de mai 2021. La cour de la mairie de Yopougon grouille de monde. C’est jour de mariage dans la plus grande commune de la Côte d’Ivoire. Le tableau de programmation, soixante-cinq unions à sceller pour cette seule journée. Plus de place dans la cour de la mairie. A part les véhicules des mariés, aucun autre n’est admis dans l’enceinte. Malgré cette mesure, l’espace se montre exigu pour accueillir les convives.

Après la célébration de leur mariage civil, c’est un espace de trois cents places assises situé au nouveau quartier, dans la même commune de Yopougon, que le couple Koffi a choisi pour la suite des festivités. Parents, amis et autres invités ont effectué nombreux le déplacement pour ce moment de noces.

Entre accolades, chants et danses, les convives expriment leur joie, ignorant toute mesure barrière contre la propagation du Covid-19. « D’habitude, je ne porte pas de cache-nez et je n’en suis pas morte. Donc ce n’est pas dans une tenue de fête que je le ferai», affirme souriante Fatoumata Diakité, une invitée du couple.

Des cérémonies festives sans la moindre observance des mesures barrières, Abidjan qui traîne une réputation de ville fêtarde, en connaît. Dans les communes, on continue de célébrer les mariages comme si de rien n’était.

La nuit tombée, maquis et bars deviennent les principaux lieux d’attraction. Au quartier Maroc, difficile de trouver une place pour stationner. Hommes et femmes de tout âge prennent d’assaut les points chauds de la voie principale de ce quartier situé dans la plus grande commune de la Côte d’Ivoire, à l’ouest de la ville d’Abidjan. Un endroit en passe de devenir la nouvelle « rue princesse de Yopougon », connue pour l’ambiance de ses nuits. Ici, les disc-jockeys distillent la musique à tue-tête.

Au son du Zouglou, musique de revendication sociale, du Coupé-décalé et autres sonorités, l’alcool coule à flot. Au coin de la rue, se vend le sexe. « Mes amis et moi sommes venus de la commune de Cocody, pour nous amuser. Rien ne peut enlever à l’Ivoirien sa joie de vivre. Même le Corona n’y peut rien », se vante Franck, la vingtaine révolue.

Finie la fête, c’est avec la même ferveur que les vendredis et dimanches, jours de prière, sont observés respectivement par les musulmans et les chrétiens. Ces moments de culte donnent souvent lieu à de grandes célébrations. Tambours, guitares, batterie, tout y passe.

En ce dimanche à Adjamé commune située au centre de la ville d’Abidjan, à 7 heures déjà, l’église évangélique des assemblées de Dieu est pleine à craquer. « Nous avons une capacité d’accueil de huit cent places assises. Mais il n’y a plus de places. Certains sont obligés de rester débout », fait constater Patrice Kouamé, responsable du Comité ordre et accueil au sein de cette assemblée. Selon lui, l’administration de l’église compte désormais programmer deux cultes chaque dimanche « pour permettre à tous de venir prier dans de bonnes conditions. ».

Les guides religieux et autres leaders d’opinion semblent, eux-aussi reléguer la lutte contre la Covid-19 au second plan. « Les autorités ivoiriennes elles-mêmes n’étant plus regardantes vis-à-vis du respect des mesures barrières, les populations ne peuvent faire autrement. On ne peut donc exiger le port de cache-nez  aux fidèles qui fréquentent notre temple », confie Abraham Kouassi, pasteur à la mission évangélique de l’alliance chrétienne et d’intercession.  

Tout, comme par le passé

Heureuses ou malheureuses, les circonstances sont vécues dans l’ambiance habituelle. L’Espace CP1 au quartier Sicogi continue de recevoir du monde. Sur ce lieu qui abrite des veillées funèbres, plus d’un millier de personnes sont rassemblées. Issues de communautés diverses, elles sont venues rendre un dernier hommage à un des leurs rappelé à Dieu.

Pour ce soir, quatre veillées sont organisées simultanément sur ce seul site. Des veillées qui donnent lieu à des prestations artistiques, des cérémonies de remise de dons et l’organisation de convois pour accompagner le défunt à sa dernière demeure.

L’insouciance s’est généralisée au sein des communautés. Pourtant, de nouveaux cas d’infection continuent d’être enregistrés. Du 10 au 24 août 2021, soit deux semaines, la Côte d’Ivoire a enregistré trois mille cinq cent neuf (3.509) nouveaux cas de contamination.

De leur côté, les autorités continuent la sensibilisation, mais pas avec la même intensité qu’au départ. « La vérité est qu’on est tous gagné par l’indiscipline, parce que le taux de mortalité a toujours été très faible ici », explique Akoun Valery, agent communautaire au district sanitaire de Yopougon.

Le déni de l’existence ou de la dangerosité du Covid-19 ainsi que le non-respect des mesures barrières en Côte d’Ivoire s’expliquent du point de vue « structurel » et « symbolique », selon Docteur Cyril Kouamé, sociologue à l’université Félix Houphouët Boigny de Cocody.

« Au niveau structurel, le jeu des autorités publiques et politiques autour de la gestion de cette pandémie a influencé le comportement des populations (dans la négation de) son existence », précise l’universitaire.

Selon Dr Kouamé, en tant que garant de la sécurité sanitaire, l’ouverture des campagnes électorales en pleine pandémie par l’Etat, a renforcé le doute de la population vis-à-vis du Covid.  

La Côte d’Ivoire a organisé une élection présidentielle en octobre 2020 et des élections législatives le 06 mars 2021, en pleine pandémie de Covid-19.

Le fait que les personnes atteintes du Covid n’aient jamais été présentées ou témoigné même à visage couvert a contribué à renforcer les sceptiques dans leur position.

Sur le plan symbolique, le sociologue indique que « les représentations sociales (perceptions ou croyances) de la maladie à Coronavirus chez les populations ont accentué le non-respect des mesures barrières. Pour nombre d’Ivoiriens, le Covid-19 est perçu comme une maladie des Occidentaux, des Asiatiques et non des Africains ».  

Tout tourner en dérision

Les populations ivoiriennes ont tendance à tout tourner en dérision, même des faits importants qui touchent la vie de la nation, selon Docteur Dago.

En 2006, pendant l’épidémie de grippe aviaire, des artistes ivoiriens avaient fait de cette crise sanitaire un concept musical loin des messages de sensibilisation. « Au moment où ça agit ailleurs, nous on prend pour faire concept », avait chanté à cette époque DJ Lewis. Cette chanson qui a révélé ce jeune faiseur de « coupé décalé », une musique urbaine en vogue en Côte d’Ivoire, avait fait le tour du pays. Aujourd’hui, il n’est pas rare d’entendre les populations  dire « on fait rien avec Corona », confie le sociologue.

Pour justifier leur refus des mesures barrières contre le Covid 19, certaines populations soutiennent que « le cache nez les empêchent de bien respirer ». Un argument battu en brèche par le Docteur Guéi médecin généraliste pour qui cet argument « n’est pas cliniquement prouvé ».

Aux côtés du personnel sanitaire, l’Ong Œuvre et Restauration pour le Bien-être Social (OREBS) est engagée dans la sensibilisation contre le Covid-19. Mais l’organisation note avec regret un désintérêt chez les populations dont certaines disent avoir entendu une haute autorité du pays dire publiquement : « on s’en fout de Corona ». Les populations ne se sentent pas concernées par la pandémie. « Quand on se rend sur le terrain pour la sensibilisation, ce sont ces mêmes propos que les gens nous tiennent : « on s’en fout de Coronavirus », regrette Nicole Anoungbré, présidente de l’Ong OREBS.

Tout cela fait qu’Abidjan n’a pas changé de visage malgré la persistance de la pandémie. A la date du 24 août 2021, la Côte d’Ivoire comptait 53.787 cas de contaminations, mais Abidjan reste la même. La capitale économique ivoirienne baigne dans son ambiance festive habituelle.

ALL/fd/hts


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