Ouestafnews – L’essai clinique dénommé « Api-covid-19 » divise les chercheurs et professionnels du monde de la santé au Burkina Faso. L’Agence nationale de régulation pharmaceutique (ANRP) et le Conseil national de l’ordre des médecins du Burkina Faso (CNOMBF) contestent la légalité d’une étude réalisée dans un Centre hospitalier universitaire. Ouestaf News a enquêté.
Par une note en date 22 décembre 2020, la directrice générale de l’Agence nationale de régulation pharmaceutique (ANRP), docteur Aminata Nacoulma, informait le directeur général du Centre hospitalier universitaire (CHU) Yalgado Ouédraogo, Constant Dahourou, de la suspension de « toutes les demandes d’autorisation d’essais cliniques devant être abrités » par le CHU Yalgado Ouédraogo.
La décision faisait suite à la réalisation, au sein de l’hôpital Yalgado, de l’essai clinique dénommé « Api-Covid-19 », dans le cadre du traitement contre le covid-19. La directrice générale de l’ANRP juge l’essai illégal.
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L’essai clinique Api-Covid-19 porte sur l’Apivirine, un phytomédicament, inventé au début des années 2000 contre le VIH/Sida par le pharmacologue béninois, Valentin Agon, propriétaire et directeur général d’Api-Bénin, une entreprise pharmaceutique.
Selon les milieux médicaux, le Comité technique d’examen des demandes d’autorisation d’essai clinique n’a pas validé le protocole d’étude de l’Api-covid-19. Des informations confirmées par la directrice générale de l’ANRP, dans son courrier du 22 décembre 2020.
L’une des raisons ayant motivé le rejet du protocole est que le phytomédicament, Apivirine, à la base de l’Api-covid-19, n’est pas autorisé au Burkina. Le produit n’a pas non plus fait l’objet d’une étude de toxicité.
L’entrée au Burkina Faso de l’Apivirine remonte à 2003. « Ce produit se vendait à Ouagadougou de [porte à porte]. A l’époque nous assurions la dispensation des antirétroviraux aux personnes vivant avec le VIH au CTA [Centre de traitement ambulatoire ]», témoigne le pharmacien Issaka Sondé, dans une tribune publiée sur le quotidien en ligne, lefaso.net, le 6 avril 2020.
Mais le CTA avait « vivement déconseillé » son utilisation, faute de preuves d’efficacité.
Sept ans plus tard, à la faveur de l’apparition du Covid-19, l’Apivirine fait son retour sur le marché burkinabè et est administré à des patients sans enregistrement, sans aucune autorisation, sans preuve d’efficacité.
Dans un premier temps, il a été envoyé depuis le Bénin vers mi-mars 2020, sous forme de colis, par son inventeur. Dans un second temps, Docteur Valentin Agon, présent à Ouagadougou, quelques jours plus tard, dans le cadre d’une audience avec le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, Alkassoum Maïga, vendait le produit à des personnes qui seraient atteintes de la pandémie. Tout cela se passait à l’insu de l’équipe de prise en charge et des autorités sanitaires.
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Interrogé par le site Burkina 24 à ce sujet, le 3 avril 2020, le Coordinateur national de la réponse à l’épidémie pendant le lancement de l’essai clinique, le professeur Martial Ouédraogo, déclarait :« Je ne connais pas de patients qui ont été formellement et officiellement traités par l’Apivirine. Je suis formel que l’équipe de prise en charge n’est pas au courant ».
Le professeur Marial Ouédraogo a été, trois semaines plus tard, emporté par les polémiques suscitées par les circonstances du décès de la députée Rose Marie Compaoré, le 18 mars 2020. Deuxième vice-présidente de l’Assemblé nationale, elle a été considérée comme la première victime du covid-19 au Burkina Faso. Le conseil des ministres a exigé, lors de sa séance ordinaire du 29 avril 2020, le remplacement du Coordinateur national de la réponse à la pandémie, en attendant de situer les responsabilités dans l’affaire.
Violation du cadre légal et réglementaire
La réalisation d’un essai clinique est bien encadrée au Burkina Faso. Le décret du 31 juillet 2003 portant nomenclature nationale des spécialités pharmaceutiques et médicaments génériques, dispose qu’aucun médicament ne peut être administré à un patient sans une autorisation de mise sur le marché. Cette autorisation doit être préalablement délivrée par le ministère de la Santé, après avis de la commission technique d’enregistrement des médicaments et des autres produits pharmaceutiques.
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Également, « aucun essai clinique ne peut être entrepris au Burkina Faso sans une autorisation délivrée par le ministère de la Santé après avis d’un comité technique d’examens des demandes d’autorisation d’essais cliniques », selon le décret du 20 mai 2010 portant réglementation des essais cliniques.
On se demande alors comment l’Apivirine, qui ne remplit aucun de ses critères, a pu se retrouver parmi les médicaments utilisés dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19.
D’autant plus qu’il est connus que l’Avipirine ne fait pas partie du protocole de prise en charge du Covid-19 sur le territoire burkinabè, tel que le prévoit l’arrêté du 6 avril 2020, portant adoption du protocole national de prise en charge des cas confirmés de Covid-19. Cette anormalité est confirmée par la lettre suscitée de la directrice générale de l’ANRP.
Mieux encore, dans un communiqué, daté du 3 avril 2020, la direction générale de l’ANRP a indiqué que le phytomédicament Apivirine n’est pas autorisé au Burkina Faso, invitant la population à ne pas le consommer.
Pour comprendre ce qui s’est passé, un retour en arrière s’impose. On est en mars 2020. Le Covid vient de faire son apparition au Burkina Faso.
Le 26 mars, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, le professeur Alkassoum Maïga, annonce à travers un communiqué le lancement d’un essai clinique « Api-covid-19 » à Ouagadougou.
Confiant, le ministre justifie la conduite de l’essai clinique sur l’Apivirine. « Certains malades confirmés du covid-19 ont déjà eu recours avec succès à Apivirine durant leur maladie. Ils ont tout de suite obtenu l’amélioration de leur état de santé allant de l’amendement rapide des symptômes à la négativation du test de dépistage de coronavirus après traitement. Ces résultats bien qu’ils ne soient pas validés par un comité scientifique présentent un grand intérêt dans la prise en charge de covid-19 ».
Selon des sources proches du dossier, la décision d’entreprendre l’essai clinique « Api-Covid-19 » est intervenue après une audience accordée par le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation à Valentin Agon, le 17 mars 2020, à Ouagadougou. Au cours de cette audience, le promoteur de l’Apivirine a confié au ministre qu’un Français et 11 membres de sa famille ont été guéris du Covid-19 après avoir pris de l’Apivirine qu’il a apporté du Bénin. Une information confirmée par le docteur lui-même dans une interview publiée, le 27 mars 2020, sur Edu’Action, un journal béninois en ligne.
Au Burkina, plusieurs chercheurs dans le domaine de la santé se sont opposés à la réalisation de l’essai clinique. Selon eux, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation ne disposait d’aucune preuve scientifique, en dehors des témoignages du docteur Valentin Agon.
Cependant, les différentes interpellations n’ont pas freiné l’élan du professeur Alkassoum Maïga. Après avoir décidé de l’essai clinique, en foulant aux pied le cadre législatif et réglementaire, et malgré le rejet du protocole de l’étude au niveau du comité technique d’examens des demandes d’autorisation d’essais cliniques, l’étude a tout de même été réalisée et l’Apivirine déclaré efficace contre le Covid-19 selon les résultats publiés sur le site web du ministère le 23 décembre 2020.
L’essai clinique a concerné 45 patients âgés de 20 à 65 ans. Elle a été dirigée par le professeur Sylvain Ouédraogo, chercheur en pharmacologie et directeur de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS). Le professeur Martial Ouédraogo, pneumologue au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, a été l’investigateur principal.
De son côté, le Conseil national de l’ordre des médecins du Burkina Faso a déposé une plainte contre toutes les personnes physiques et morales impliquées dans ladite recherche clinique, le 28 décembre 2020. Il a également décidé d’engager une procédure disciplinaire contre le professeur Martial Ouédraogo et tout autre médecin impliqué dans l’étude. La Ligue des consommateurs du Burkina a, quant à elle, interpellé les autorités sanitaires, les appelant à prendre leurs responsabilités.
Au sein de l’opinion publique et chez les observateurs, une grande question demeure : pourquoi un ministre de la république a décidé d’outrepasser les règles ? Pourquoi le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation a-t-il servi de caution morale à ce projet, en violation de la législation et du cadre réglementaire en matière d’essais cliniques ? Corruption ? Népotisme ? Ego et prestige ? Allez savoir.
La demande d’interview par email qui lui a été adressée, ainsi qu’aux autres personnes impliquées dans la réalisation de l’essai clinique, est restée sans suite.
En attendant leurs réactions, à Ouagadougou les supputations vont bon train, pour avancer des réponses, sans qu’il ne soit possible d’affirmer avec exactitude les raisons ayant conduit au lancement de l’essai.
GBS/fd/hts
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