Covid-19 au Bénin : déni et relâchement …

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Ouestafnews – Un an après l’enregistrement du premier cas de Covid-19 au Bénin, peu de citoyens respectent les gestes barrières imposés par le gouvernement. Les campagnes de sensibilisation et les rappels à l’ordre n’y font rien.

Justine ne se soucie point du Covid-19. La jeune fille, la vingtaine, se balade d’étal en étal, avec des yaourts et glaces qu’elle vend à des commerçantes au marché Dantokpa, dans le sixième arrondissement de Cotonou, capitale économique du Bénin.

Sous la chaleur matinale de ce jour de mars 2021, Justine, sans masque, arpente les dédales du marché. « Soyez sans crainte, cette maladie ne nous atteindra pas au Bénin. Moi je n’ai pas peur, je sais que Jésus-Christ nous protège. Au nom de Dieu, ce coronavirus retournera d’où il vient », répond-elle quand le port du masque lui est rappelé. Puis elle disparaît dans une ruelle, sa glacière en équilibre sur la tête. Comme elle, ses clientes aussi n’ont cure de ce petit bout de tissu qui couvre le nez et la bouche.

A l’image de Justine et des commerçantes de Dantokpa, nombre de Béninois sont de plus en plus réfractaires aux gestes de prévention du Covid-19, en vigueur depuis un an.

Bernard Kpatindé, responsable du parking d’un bar-restaurant à la plage de Togbin, dans la commune d’Abomey-Calavi, ne croit même pas à la maladie : « sans vous mentir, les mesures barrières édictées ne m’intéressent pas. Ce prétendu virus ne m’atteindra pas ».  

« Beaucoup de gens ne croient pas qu’il existe une maladie appelée Covid et continuent de penser que ce sont des conspirations », avance le socio-anthropologue Emmanuel N. Sambiéni pour expliquer le relâchement constaté chez les Béninois.

Il évoque aussi le coût des mesures d’hygiène et de protection. L’eau, le savon, le gel hydroalcoolique et les masques ne sont pas gratuits. « Débourser 200 francs CFA par jour pour une bavette (masque) est un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir », estime le  socio-anthropologue.

A ces explications s’ajoute une dimension beaucoup plus pratique : la difficulté de respecter la distanciation physique « entre parents et amis ». Il en est de même lorsqu’il s’agit de « porter constamment la bavette quand on sort de chez soi », selon le sociologue pour qui les statistiques relativement faibles du Covid-19 au Bénin font aussi partie des causes pour lesquelles les populations négligent les mesures préventives.

Outre l’ampleur de la pandémie, le scepticisme de certains Béninois peut s’expliquer, selon l’anthropologue Saï Sotima Tchantipo, par leur foi en la toute-puissance des divinités protectrices. Spécialiste d’anthropologie sociale et culturelle, ce dernier a pu noter dans des villages, où le port de masques faciaux reste exceptionnel, l’organisation de rituels pour conjurer le Covid 19. « Ils y croient et c’est ce qui explique leurs attitudes», selon lui.

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Ce qui s’observe au sein de la population béninoise s’inscrit dans le processus d’adoption de nouveaux comportements avec des gens qui résistent au début, puis acceptent, et une vague qui essaie de fléchir  et « on est dans cette courbe », estime, quant à lui, le socio-anthropologue Jacques Aguia-Daho.

Il souligne aussi le double visage du Béninois qui, dans sa manière d’aborder les formes de résilience aux maladies se plie aux exigences des autorités sans forcément les accepter ou se les approprier. «Lorsque vous pensez que le message est passé et que vous relâchez les mesures de coercition, vous vous rendez compte que les gens n’avaient pas adopté les gestes barrières, mais agissaient sous l’effet de la peur ou de la crainte d’une sanction», explique Aguia-Daho.

Le cap des 100 morts franchi

Touché par le virus le 16 mars 2020, le Bénin comptait, à la date 03 mai 2021, 132 cas actifs pour un total 7884 cas confirmés dont 7652 guéris et 100 décès.

A titre de comparaison, le suivi en direct des cas en Afrique sur le site de la BBC montre, le 02 mai 2021, que le Bénin est moins touché par la pandémie que ses voisins. (voir tableau comparatif ci-dessous).

Bien que le Bénin compte parmi les pays les moins affectés de la sous-région, le nombre de cas y monte depuis le début de l’année. Au cours d’un point de presse tenu le 11 février 2021, Benjamin Hounkpatin, le ministre de la Santé est monté au créneau pour alerter et inviter au respect des gestes barrières. Il relevait alors qu’il y a « une recrudescence du nombre de cas dans un contexte d’apparition de variants plus contagieux », et « une augmentation de cas graves et de décès enregistrés dans le rang de sujets jeunes et a priori sans antécédents médicaux particuliers ». Selon le ministre, « depuis le 1er janvier 2021, le nombre moyen de cas confirmés par jour a quadruplé passant de 8 à 34 ».

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L’appel du ministre n’a pas, pour le moment, rencontré l’écho escompté chez les populations. «C’est vrai que les masques doivent être portés en permanence quand on sort de chez soi pour aller à l’église, au marché, etc. J’en ai toujours dans mes poches de manière à ne pas être surpris par les policiers, mais quand je suis dans mon quartier, je m’en passe», confie Jean Sodédji, un pêcheur reconverti en vendeur de sable, croisé déambulant sans masque à Djidjè 1. Dans ce quartier populeux du sixième arrondissement de Cotonou, le lavage des mains aussi reste un défi.

« Les gens ne s’y intéressent pas. Nous continuons de les sensibiliser. Nous les encourageons même à utiliser des dispositifs de fortune pour pouvoir se laver les mains régulièrement », déplore Jean-Baptiste Klotoé, le chef du quartier. D’après lui, grâce à une ONG internationale,le quartier a bénéficié de kits de lavage des mains qui sont « en train de disparaître ».

Mauvaises habitudes  

Même scénario dans les transports en commun. Autorisés à reprendre du service le 2 juin 2020 après une suspension de plusieurs semaines, les minibus communément appelés « tokpa-tokpa », reliant Cotonou à sa périphérie, ont vite renoué avec les mauvaises habitudes. Les bus sont toujours aussi bondés, avec des passagers sans masque ou l’arborant au menton.

« Au début, les mesures étaient respectées car il y avait un suivi. Aujourd’hui, les gestes barrières sont ignorés. Seuls les gens conscients de la maladie y font encore attention», confie Marcel Hounkanrin, président de l’Association des conducteurs de transport du Bénin (Actb). Il signale aussi l’incivisme de certains passagers. « Il y a des passagers irresponsables qui vont jusqu’à nous insulter quand nous leur demandons de porter un cache-nez, sous prétexte qu’ils ont des difficultés à respirer avec ».

Du côté de certains établissements scolaires aussi, le relâchement est notable, après une première phase de respect des consignes au début de la pandémie. « Avant, on nous exigeait le masque et on se lavait les mains avant d’entrer en classe. Maintenant on ne le fait plus. On nous demande de porter un masque quand les inspecteurs arrivent dans l’établissement », confie Bakare Amira, élève en classe de 4ème  dans un collège privé de Godomey dans la banlieue ouest de Cotonou.

Clément Gbaguidi, le directeur du groupe C de l’Ecole primaire publique de Godomey-centre évoque les contraintes économiques liées à la mise en œuvre des gestes barrières.

Au mois de mars 2021, l’école primaire publique de Godomey-Cnetre (Cotonou) n’a reçu qu’un kit de lavage des mains et 35 masques pour 300 élèves. Photo-Ouestaf News (mars 2021)

Le flacon de savon qui coûte 500 francs est souvent dilué pour le faire durer, explique le directeur d’école avant d’ajouter « comme nous n’avons pas un fonds dédié au Covid, on fait de la gymnastique en grignotant sur les fonds de fonctionnement de l’école ».

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Selon Clément Gbaguidiparfois c’est lui-même et ses collègues qui mettent la main à la poche pour acheter le savon.« On ne peut pas compter sur les parents d’élèves qui ont déjà des difficultés à nourrir leurs enfants ou à payer pour les photocopies demandées », lâche le directeur.

Le 1er mars 2021, l’école de M. Gbaguidi a acheté un kit de lavage des mains à la circonscription scolaire et a reçu 35 masques pour un effectif de… 300 élèves !

Ce qui se passe dans les établissements scolaires fait craindre à Barthélémy Semegan, médecin à la retraite, une augmentation de la contamination car les écoles, comme tout lieu à fort regroupement humain, constituent des foyers potentiels de contamination.

Même si la transmission du virus reste faible au Bénin, le médecin ne cache pas son inquiétude après l’apparition de nouveaux variants qui rendent la situation « beaucoup plus préoccupante ». N’étant pas certain des mesures susceptibles de préserver contre ces variants, il est indispensable, selon lui, d’en prendre conscience pour se préserver et éviter de propager le virus.

Mais même au plus haut sommet de l’Etat, on peine à faire appliquer des mesures strictes. A l’approche de la présidentielle du 11 avril 2021, le Conseil des ministres n’a pas hésité à faire adopter un « réaménagement » en autorisant « exceptionnellement », les regroupements de plus de cinquante personnes.

FN/fd/ts

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