Ouestafnews – Touchés de plein fouet par les effets néfastes du Covid-19, les entrepreneurs béninois rivalisent d’imagination pour échapper à la crise. Ils sont nombreux à diversifier leurs activités et à digitaliser leurs services.
« Une société au sol ». Anicette Bada Labintan, directrice d’une boîte dans le domaine de l’agro-alimentaire n’y va pas par quatre chemins. Sa boîte a durement subi les effets de la pandémie. Et elle peine à remonter la pente.
« Nous avons été exagérément frappés », se désole Mme Labintan. Après avoir temporairement arrêté ses activités d’importation, sa société les a reprises mais doit composer avec l’humeur de ses fournisseurs. Devenus frileux en raison de l’évolution de la pandémie, ils exigent plus de garanties en amont, au cas où…
Du côté des exportations, « le coup a été le plus fort », raconte Anicette B. Labintan, dont la société transforme et exporte l’ananas béninois vers le Burkina et le Niger. La cheftaine d’entreprise a été obligée de stopper cette activité avec la fermeture des frontières. La société a été contrainte de se séparer d’une partie de son personnel entre avril 2020 et mars 2021, dans l’espoir que la situation s’améliore. Ce n’est pas encore tout à fait le cas.
Au Bénin, les micros, petites et moyennes entreprises, tous secteurs d’activités confondus, occupent plus de 94 % des actifs et produisent plus de 40 % de la richesse nationale, selon Alexandre Houédjoklounon, le directeur général de l’Agence nationale des petites et moyennes entreprises (ANPME). L’arrivée brutale du coronavirus a placé une bonne partie de ces entreprises dans une situation délicate.
Des filières sévèrement secouées
Les exportations des filières agricoles et agro-industrielles ont été sévèrement impactées par la crise. A titre d’exemple, les exportations d’ananas ont enregistré une baisse de plus de 37 % au premier trimestre de l’année 2020, du fait de l’arrêt des vols à destination de l’Europe, selon l’étude des impacts socio-économiques du Covid-19 au Benin réalisée en décembre 2020 par l’équipe-pays des Nations unies. Troisième produit agricole le plus exporté après le coton et l’anacarde, l’ananas contribue à l’économie nationale à hauteur de 1,2 % du Pib global et à 4,3 % du Pib agricole.
Olivier Lissassi, entrepreneur agricole spécialisé dans la pisciculture, n’échappe pas à la morosité ambiante. Promoteur d’un complexe agro-piscicole dans la commune d’Abomey-Calavi, il a eu du mal à s’approvisionner en aliments pour nourrir ses poissons.
« Il a fallu s’adapter. On combinait aliment local et aliment importé. Nous continuons de le faire aujourd’hui », même si le prix du kilo de la nourriture pour poisson est passé de 320 FCFA à 400 FCFA.
Malgré la légère reprise des activités, Olivier Lissassi peine à s’approvisionner en farine de poisson à cause de la rupture de stocks qui frappe le marché depuis plus de huit mois.
Dans l’aquaculture, les aliments pour poisson représentent 65 % des dépenses d’exploitation. Contraint par la cherté des matières premières, Olivier Lissassi qui a cinq employés permanents a revu à la hausse le prix du kilo de poisson qu’il a fait passer de 1900 à 2500 FCFA, « tous calculs faits », augmentation que certains de ses clients n’acceptent pas encore.
Le secteur de la mode et du textile n’a pas été épargné, confie Charlemagne Andoche Amoussou, créateur de la marque de vêtements « Lolo Andoche ».
« Nos recettes ont diminué. Les étrangers ne venaient plus, et il n’était pas facile d’envoyer les tenues hors du Bénin », souligne-t-il. Au plus fort de la pandémie, le créateur n’a pu non plus compter sur sa clientèle béninoise dont le besoin en nouveaux vêtements a chuté en raison de la limitation des déplacements et de l’interdiction des rassemblements.
« Le volume de vente a drastiquement baissé (…). Nous avons revu notre production à la baisse et malgré ça, les charges sont restées, puisqu’il y a des charges incompressibles. Cela s’est fait sentir suffisamment sur nos finances ».
Crise généralisée
Début 2020, le Centre du commerce international (Itc) en association avec la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin (Ccib) et le ministère de l’Industrie et du commerce, a mené auprès de 45 entreprises béninoises, une enquête sur l’impact du Covid‑19 sur le secteur privé.
D’après les résultats de cette enquête, presque la totalité (97 %) des entreprises interrogées a été affectée. Trois entreprises sur quatre rapportent une chute de leurs ventes (aux niveaux national et international), tandis que seules 4 % ont vu leurs ventes augmenter.
Certains types d’entreprises ont été plus exposés que d’autres, notamment celles actives dans le secteur des services. Deux entreprises prestataires de services sur cinq ont affirmé être sévèrement impactées, pour seulement un tiers des entreprises actives dans le secteur industriel.
Qu’elles soient du secteur formel ou informel, les PME ont payé un lourd tribut à la crise. « Beaucoup d’entreprises ont été fermées… Le paiement des salaires a été le véritable problème », déclarait le patron de l’ANPME à un journal de la place.
En vue d’aider les micros et petites entreprises vulnérables à rester viables et compétitives, le gouvernement les a invitées à postuler aux subventions disponibles. Après plusieurs semaines d’attente, Anicette B. Labintan a perçu des fonds qu’elle compte injecter dans son entreprise.
Le digital pour surmonter la crise
Pour faire face au nouvel ordre imposé par le Covid-19, les entrepreneurs font appel à leur imagination.
« Dans notre secteur d’activité, nous sommes obligés de nous approcher des clients pour prendre ses mensurations. On a réfléchi aux moyens de le faire sans forcément s’approcher d’eux », confie Charlemagne Andoche Amoussou. Le créateur de mode a du coup davantage misé sur le prêt-à-porter dans ses offres, et recouru au digital pour continuer ses activités.
« Nous avons fait beaucoup de ventes via WhatsApp. C’était facile pour les Béninois d’utiliser cette application pour effectuer leurs achats. Ceux qui achetaient hors du Bénin le faisaient sur notre site web ».
En facilitant l’établissement et le maintien d’un lien entre les entreprises et leurs clients et fournisseurs, Internet est devenu incontournable, selon Camille Segnigbinde, chargé de programme incubation et accélération à Green Touch Bénin, une structure d’accompagnement des entreprises. Mais pour s’ajuster aux changements induits par la pandémie et en tirer le meilleur, les entreprises devront se montrer encore plus créatives et plus innovantes, souligne-t-il.
Seul petit obstacle sur le front du digital : de nombreuses entreprises béninoises n’ont pas un accès fiable à Internet. Selon l’enquête sur la compétitivité des PME au Bénin menée en 2019 par le Centre de commerce international (ITC), « presque trois entreprises béninoises sur quatre n’ont pas de site internet ». La plupart d’entre elles citent comme motif « le manque d’accès à l’internet ».
Au troisième trimestre 2021, le taux de pénétration d’internet au Bénin était de 63,84 %, selon le rapport du 30 septembre 2021 de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). En 2020, sur la même période, le taux était de 55,02 %, et en 2019 de 52,02 %.
FMN/fd/md/ts
Vous voulez réagir à cet article ou nous signaler une erreur, envoyez nous un mail à info[@]ouestaf.com