Ouestafnews – Mahamadou Camara, ancien ministre et homme de médias malien, en est convaincu : le bilan du Covid-19 dans son pays est plus lourd que celui qu’annoncent les autorités.
M. Camara l’a déclaré dans un tweet publié le 5 décembre 2020 sur son compte personnel : « La situation de la #Covid au #Mali est beaucoup plus grave que les chiffres officiels ne la présentent ». « Il est urgent d’accentuer la sensibilisation à grande échelle afin de créer une prise de conscience collective, rempart contre la propagation de la maladie. Soyons prudents ! », a conclu cet homme qui est également directeur de publication du média en ligne et hebdomadaire papier Journal du Mali.
Lire aussi : Covid-19 – Réussir à retenir son souffle pendant longtemps ne prouve rien (Fact-checking)
Sur quoi se fonde-t-il ?
Ouestaf News a demandé à Mahamadou Camara sur quoi reposait sa déclaration.
L’ex-ministre, s’exprimant avec courtoisie, a évoqué des déductions faites sur des expériences vécues par son entourage et tirées de ses propres observations à Bamako, la capitale.
« On est là, on constate que beaucoup de gens sont malades et que leurs symptômes ressemblent à ceux [du] Covid-19. Deuxième constat : la plupart des gens ne sont pas testés. Les gens se font tester à l’occasion d’un voyage, parce qu’ils ont besoin d’une attestation pour prendre l’avion ou bien parce qu’ils deviennent très malades. Il n’y a pas de test automatique » de dépistage, « donc, on en déduit qu’il y a forcément une minoration des chiffres », a-t-il expliqué.
« Le troisième constat, c’est qu’il y a beaucoup de morts. Tous les jours, on entend un tel est décédé, un tel est décédé” dans son entourage – qu’il s’agisse de la famille ou au sein de connaissances, après avoir montré des signes ressemblant aux symptômes du Covid-19 », a-t-il ajouté. Quand on considère ces décès et qu’on les compare avec le bilan quotidien officiel, on constate « qu’il y a un décalage. Est-ce qu’il y un décalage dans le sens où les morts du jour sont pris en compte dans la situation du lendemain ? Je ne sais pas. Mais je constate que tous les décès liés [au] Covid-19 ne sont pas inclus dans les chiffres officiels », a-t-il poursuivi.
Plus de 200 morts de Covid-19 en moins de neuf mois
Le Mali a enregistré son premier cas confirmé de Covid-19 le 25 mars 2020. Au 23 décembre 2020, le pays cumulait 6.347 cas. Ce total comprend 229 décès et plus de 3.900 guérisons
Les autorités maliennes et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) publient conjointement des rapports sur la situation, appelés « SitRep » dans le jargon officiel (pour l’expression en anglais « Situation Report »).
Le dernier “SitRep” publié, couvrant la période du 14 au 20 décembre 2020, fait état de « la première diminution après une hausse de six semaines successives » du nombre de cas confirmés au Mali, où « neuf régions et 41 districts sanitaires sont touchés ». Plus de la moitié des cas rapportés concernent Bamako.
Face à la hausse des nouvelles infections, le gouvernement malien a annoncé de nouvelles mesures le 18 décembre 2020, lors d’un Conseil extraordinaire des ministres. Il a instauré l’état d’urgence pour dix jours à compter de cette date ; les festivals et spectacles culturels ont été suspendus pour deux semaines, les écoles primaires et secondaires fermées. Les autorités maliennes ont aussi interdit les rassemblements de plus de cinquante personnes, « y compris les cérémonies de mariages, baptêmes et les funérailles », assurant que « des comités de veille et de suivi des gestes barrière » seront créés pour y veiller.
D’où viennent les chiffres du bilan officiel ?
Dans le pays, « la réponse » ou « la riposte » au Covid-19 – expressions utilisées pour la lutte contre cette maladie – implique plusieurs acteurs et structures, que coordonne le professeur Akory Ag Iknane, médecin et directeur général de l’Institut national de santé publique (INSP, public).
Placé « sous la tutelle du ministère de la Santé et des Affaires sociales, l’INSP “coordonne les activités de tous les comités régionaux Covid-19 et les différents maillons de la pyramide sanitaire (CHU [centres hospitaliers universitaires, NDLR], Hôpitaux nationaux et régionaux, CSréf [centres de santé de référence, NDLR] et les CScom [centres de santé communautaires]) », entre autres missions, peut-on lire dans un document du ministère malien de la Santé, consacré aux « procédures de gestion de la main-d’œuvre » pour la lutte contre le Covid-19 au Mali.
Ouestaf News a consulté ce document officiel de 46 pages datant de juillet 2020, qui précise par ailleurs que l’INSP a « constitué des équipes d’intervention dans chaque centre de prise en charge des cas de Covid-19 à travers tout le pays ».
Bilan ni réduit, ni gonflé
Interrogé sur un éventuel bilan du Covid-19 au Mali plus bas que dans la réalité, le Pr Akory Ag Iknane a répondu que les équipes qu’il dirige font un rapport quotidien de tous les cas dont elles ont connaissance. Il a réfuté toute manœuvre visant à modifier les chiffres, pour les réduire ou les gonfler, sans exclure que des décès surviennent en dehors des circuits mis en place, « sans être testés ».
Toutefois, a-t-il insisté, les cas testés positifs au Covid-19 sont suivis à la fois « en milieu de soin et en milieu communautaire », c’est-à-dire « pris en charge en dehors des structures de santé », à domicile pour certains. Et « tout décès suspect dont nous sommes informés fait l’objet d’un test (au Covid-19). Si le test est positif, il fait l’objet d’un enterrement sécurisé. S’il est négatif, la famille peut récupérer le corps », a-t-il assuré.
Les bilans officiels communiqués quotidiennement précisent d’ailleurs combien de décès sont survenus « dans les centres de prise en charge » (168, au 23 décembre) et combien sont survenus « dans la communauté » (61, au 23 décembre).
Qu’en dit l’OMS ?
Abdoulaye Cissé est le responsable de la communication de l’OMS au Mali. Joint par Ouestaf News, il a estimé « plausible » que le bilan du Covid-19 au Mali puisse être plus élevé que les chiffres officiels communiqués.
« Nous, en tant que OMS, nous nous en tenons aux +SitRep+ », a affirmé M. Cissé, indiquant que l’agence onusienne dispose elle-même d’agents impliqués dans le travail au sein de la coordination de lutte contre le Covid-19 au Mali.
Les hommes et femmes ayant Pr Ag Iknane à leur tête « travaillent avec les directives, les normes de l’OMS. Nous avons des collègues dans le comité de rédaction des +SitRep+, des collègues dans la prise en charge des cas, des collègues dans le suivi des contacts” entre autres missions ». Il a assuré n’avoir connaissance d’aucune pratique, passée ou en cours, visant à gonfler ou à réduire les bilans du Covid-19 dans le pays.
Abdoulaye Cissé a toutefois indiqué avoir entendu des témoignages allant dans le sens de la déclaration de l’ex-ministre Mahamadou Camara. Des témoignages incluant des messages circulant sur WhatsApp et attribués à des médecins lançant des « cris de cœur ».
Deuxième vague : plus de vieux malades
Dr Abdoulaye Mamadou Traoré est infectiologue à l’Hôpital du Point G, sur les hauteurs de Bamako. Sollicité par Ouestaf News, ce médecin spécialisé notamment dans la prise en charge des maladies infectieuses aux plans individuel et collectif ainsi que des maladies liées aux voyages, a estimé que les bilans officiels pourraient être « sous-estimés ».
« Ce qu’on rapporte » sur les chiffres du Covid-19, « peut être sous-estimé, très certainement, parce qu’il y a encore la réticence par rapport au dépistage pour certains », a-t-il dit, en souhaitant surtout attirer l’attention sur « la saturation » des centres de prise en charge des malades du Covid-19 au Mali.
« Il est aujourd’hui évident que nous avons beaucoup de malades, de plus en plus de malades dans ces centres. Au point qu’ils n’hospitalisent que ceux qui sont en besoin d’hospitalisation. Pour les autres patients, faute de place, ils sont renvoyés au domicile avec des consignes de traitement et le suivi se fait par téléconsultation. Tous les centres sont saturés actuellement. C’est ça, la situation réelle actuelle », a déclaré Dr Traoré.
Selon lui, les « besoins en hospitalisation » concernent surtout « les patients qui ont vraiment besoin d’être intubés, mis sous respirateur », dont « la plupart doit être adressée au CHU du Point G ».
« Et contrairement à la première vague de l’épidémie où on avait pratiquement très peu de personnes âgées, aujourd’hui, nous avons beaucoup plus de personnes âgées qui sont atteintes, et qui nécessitent des hospitalisations dans la plupart du temps dans les unités de soins intensifs », a ajouté le praticien, regrettant un faible respect de mesures de prévention du virus, particulièrement à Bamako : « Les populations vaquent à leurs activités comme si rien ne se passe. Il y a des mariages, des festivités avec des foules énormes sans mesures de protection du tout. On enregistre beaucoup plus de morts et de formes sévères surtout. Et les hospitalisations sont pratiquement occupées par les personnes âgées. C’est cela qui nous inquiète. »
Il est possible que les chiffres du bilan officiel ne reflètent pas la réalité
Dans un tweet publié le 5 décembre 2020, l’ex-ministre malien Mahamadou Camara a affirmé que la situation du Covid-19 dans son pays était « beaucoup plus grave que les chiffres officiels ne la présentent ». Il a précisé à Ouestaf News s’être fondé sur des expériences vécues par son entourage et ses propres observations à Bamako.
Cela peut-être plausible, à en croire des acteurs de la lutte et l’OMS, impliquée dans l’établissement du bilan dans le pays.
Toutefois, la manière d’établir des statistiques suit des directives précises et une procédure qui ne permettent ni de réduire les chiffres, ni de les gonfler, ont expliqué à Ouestaf News le coordinateur de la lutte anti-Covid-19 au Mali, Pr Akory Ag Iknane, et le responsable de la communication de l’OMS au Mali, Abdoulaye Cissé.
CS/
Voulez-vous réagir à cet article ou nous signaler une erreur ? Envoyez-nous un message à info(at)ouestaf.com.