Ouestafnews – Au Mali, plusieurs malades de Covid-19 font recours aux recettes des tradithérapeutes pour se soigner. Certains affirment avoir été guéris grâce à ces praticiens. Mais aucun traitement traditionnel n’est autorisé par les autorités sanitaires maliennes pour l’instant, sauf le sirop Balembo qui est associé au traitement des malades atteints de la toux sèche. Des tradithérapeutes ayant soumis leur protocole au comité scientifique du ministère de la Santé pour les essais cliniques attendent toujours les résultats.
Boucary Togo (un prête-nom) est enseignant dans une école fondamentale en commune V du district de Bamako. Déclaré positif au Covid-19 en avril 2021, l’état du jeune de 37 ans n’a pas nécessité une hospitalisation, mais un suivi à domicile. Une aubaine pour lui. Il décide de faire recours aux médicaments traditionnels pour se soigner.
« J’ai tout de suite accepté la proposition de rester à la maison. Parce que c’était une chance pour moi de me traiter autrement. Je fais plus confiance au traitement traditionnel qu’à la médecine moderne. J’ai donc opté pour ce traitement traditionnel qui, en une semaine, a guéri ma maladie », a-t-il confié.
Au cours de son traitement, M. Togo a utilisé les recettes de plusieurs tradithérapeutes, à la fois. « J’ai suivi les recettes de certains guérisseurs (connus) dans les médias et sur les réseaux sociaux. Je me suis donc servi de certaines de ces recettes », affirme-t-il. Puis l’enseignant ajoute qu’il utilise « en premier » les recettes recommandées par un « célèbre » praticien qu’il a nommé et qu’Ouestaf News évite de mentionner faute de preuve sur ses compétences et l’efficacité de ses produits.
Et M. Togo de se lancer dans la description détaillée de recettes faciles à base de sirop, de poudre, etc., tirés de plante locales et conseillés par le praticien. Même à sa famille il a conseillé des produits à prendre ou s’enduire le nez pour se protéger de la contamination. S’il rend grâce à Dieu d’être guéri, il croit fermement que ses produits y ont contribué par beaucoup.
A l’image de M. Togo, de nombreux malades font recours aux médicaments traditionnels. Et ce n’est pas seulement les malades suivis à domicile qui prennent ces médicaments. Même certains patients admis dans les centres de traitement en consomment souvent au su et au vu des médecins. « Le tamarin, le bissap et le citron sont les produits qu’on retrouve avec les malades de Covid-19 très généralement », souligne Dr Yaya Ganamé, médecin traitant au centre de prise en charge de l’hôpital du Mali.
« Ces produits sont les éléments associés à tout médicament traditionnel contre le paludisme, car les signes du Covid-19 sont semblables à ceux du palu », a-t-il indiqué.
Contrairement à ce centre, celui de l’hôpital Gabriel Touré n’accepte pas que les patients prennent les médicaments traditionnels pendant leur traitement. « Quand un malade est admis chez nous veillons sur lui et sur tout ce qu’il mange. Nous n’acceptons pas les médicaments traditionnels dans notre centre. Aux malades qui veulent utiliser autre chose que notre traitement, nous leur disons d’attendre leur retour à la maison », a confié Pr Samba Karim Timbo, point focal Covid-19 à l’hôpital Gabriel Touré
Recettes diversifiées
Beaucoup de guérisseurs traditionnels ont proposé des solutions préventives et curatives contre la pandémie. Le président de la Confédération des tradithérapeutes et arboreuses du Mali, Baba Kassogué est l’un d’eux. Guérisseur traditionnel depuis plus de 60 ans, Baba Kassogué classe le Coronavirus dans la catégorie des « maladies du vent ».
« Le coronavirus fait partie des maladies du vent. Son traitement se fait comme toutes les autres +maladies du vent+ ou même d’autres maladies dangereuses », a-t-il expliqué au cours d’un entretien avec Ouestaf News.
Selon Baba Kassogué, il existe un « arbre sacré », connu de tous, et qu’il n’hésite pas de nommer, qui est le premier arbre de traitement de toutes les maladies virales et d’autres maladies dangereuses ».
Pour traiter le Covid, selon le tradithérapeute, il suffit d’enlever les feuilles de cette plante, de les bouillir et de se laver avec. Mais, précise-t-il, « il y a des incantations à faire en cueillant les feuilles ». Quelles sont alors ces incantations ? Un secret professionnel, selon Baba Kassogué !
Cette démarche faite de mythe, de secrets, de mysticisme constitue l’argument principal de ceux qui s’opposent aux tradithérapeutes, à qui on reproche d’user de méthodes irrationnelles et de prescrire des médicaments sans dosage précis.
Certaines solutions des tradithérapeutes sont réfutées par les experts, même si eux continuent de les conseiller à leurs patients.
Par exemple, au niveau de la prévention, Baba Kassogué propose de mettre du beurre de karité dans les narines tous les matins vers 8 heures avant de sortir et renouveler 8 ou 9 heures de temps plus tard. Une méthode à combiner avec des infusions à boire pendant cinq jours.
A ce jour, aucune étude scientifique ne prouve l’efficacité dans la prévention du Covid-19.
Des spécialistes interrogés par Ouestaf News, dès la première année de la pandémie, avaient déjà démenti que le beurre de karité puisse guérir le Covid-19. Pour le Docteur Mawade Ndiaye, médecin généraliste à l’hôpital de Pikine, dans la banlieue dakaroise, tenir de tels propos traduit une réelle méconnaissance du virus. « La poussière peut se coller sur le beurre, mais pas le virus, car, en plus d’être un être vivant, il est plus fin que les particules de poussière », explique le médecin sénégalais.
Au Mali, certains parmi les tradithérapeutes ont soumis leurs produits pour approbation au Comité scientifique national.
Le « Phyto Comarus», un Sirop du tradithérapeute Lassana Sidi Mouleïkafo a été soumis à l’étude des services techniques du ministère de la Santé. « C’est un médicament qui guérit les malades atteints de Covid-19 en 72 heures ou une semaine de traitement », avait-il confié à des médias maliens en janvier 2021.
Depuis la soumission de son protocole, l’intéressé a arrêté de faire la promotion de son sirop « sur conseil du ministère de la Santé », en attendant le résultat du Comité scientifique.
Le président du Comité scientifique national, Pr Ousmane Koïta, confirme la soumission du protocole de Lassana Sidi Mouleïkafou. Selon lui, y a deux étapes à suivre pour la validation d’un protocole : la phase de l’innocuité et la phase de l’efficacité.
« La phase de l’innocuité ou la tolérance permet d’évaluer la sécurité d’emploi du produit, son devenir dans l’organisme, son seuil de tolérance ainsi que les effets indésirables », explique le professeur Koïta. Cette phase permet également de définir la dose et la fréquence d’administration qui seront recommandées pour les études suivantes. Selon lui, cette partie comporte une étude sur 30 volontaires qui n’ont pas de covid-19 et qui ne sont pas malades. Cela permet de voir si le médicament entraine des effets secondaires.
Quant à la 2e étape appelée phase de l’efficacité, elle permet « de déterminer si la recette de Mouleïkafo est capable d’éliminer le virus ». Selon Pr koïta, « cette étude se fait sur des gens qui seront mis sous traitement avec le protocole durant une semaine pour voir si le virus est éliminé. Et la vitesse d’élimination du virus est comparée au protocole national : la chloroquine, l’azithromycine et un peu de vitamine C ». Là, il s’agit de prouver si la recette de Mouleïkafo est « comparable ou plus efficace que le traitement actuel », explique le président du comité scientifique.
Lassana Sidi Mouleïkafo doit encore attendre, car selon le professeur Koïta, son protocole est à la première phase. Il faut donc la phase II de l’étude avant que le comité scientifique ne se prononce sur sa validation ou non.
Un seul produit « toléré »
A ce jour, le seul médicament traditionnel dont l’utilisation est tolérée par le ministère de la Santé dans le traitement du Covid-19 est le Sirop Belembo.
Même s’il porte l’attribut « traditionnel », ce produit sort d’un laboratoire de recherche « moderne » et reconnu, usant de procédés scientifiques standardisés. On est loin des concoctions et des incantations des tradithérapeutes les plus connus et les plus fréquentés.
Ce sirop produit par le Département de médecine traditionnel de l’Institut national de recherche en santé publique est prescrit aux patients de Covid-19 atteint de toux sèche.
« C’est un produit issu de la recherche, un produit qui a une autorisation de mise sur le marché. C’est notre produit phare. Je peux dire, parce que c’est très efficace, très utilisé contre la toux sèche », soutient Pr Rokia Sanogo, cheffe du Département de médecine traditionnel de l’Institut national de recherche en santé publique.
Toutefois, Mme Sanogo ne confirme pas son utilisation par les médecins dans les centres de prise en charge de Covid-19. « Il va falloir faire une petite enquête pour voir si le produit est utilisé et si cela a servi à quelque chose », indique-t-elle.
Le Pr Rokia Sanogo qui a remporté Le Prix Galien Afrique 2021 dans la catégorie Meilleur produit de tradithérapie, le 11 décembre au Sénégal, grâce au Sirop Balembo, soutient mordicus que la médicine traditionnelle peut bien contribuer dans la lutte contre le Covid-19. Toutefois, elle en veut aux praticiens qui piétinent la règlementation notamment la publicité de leurs produits qui n’ont d’ailleurs aucune autorisation. « La publicité est interdite sur la santé. Il existe des textes au Mali qui interdisent la publicité sur la santé. Donc, nous demandons que notre pays applique ce texte », insiste Pr Sanogo.
La loi 2017-017 du 12 juin 2017 fixant le régime de la publicité stipule dans son article 28 que « la publicité de produits pharmaceutiques ou de pharmacopée doit, au préalable, obtenir un visa délivré par les ministères en charge de la Santé ou de l’Élevage ».
Aucun des deux ministères ne confirme avoir délivré de visa pour des médicaments contre la Covid-19. En attendant, chez les tradithérapeutes, les annonces se poursuivent et les produits prolifèrent.
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