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Terre de toutes les convoitises, l’Afrique, plus riche Continent du monde par ses ressources minières, son potentiel en eau, ses terres cultivables, sa population très jeune est –elle devenue un Continent de toutes les crises ?
Pourquoi nous abreuve-t-on très souvent des vocables « crise énergétique », « crise alimentaire » voire « sécuritaire » ?
Quelle est cette Afrique là qui s’obstine à s’enliser dans les crises ? Un diagnostic d’une situation aussi paradoxale s’impose.
Comparée aux autres régions en voie de développement (l’Amérique Latine et l’Asie du sud Est notamment), l’Afrique dispose d’un potentiel en ressources naturelles nettement supérieur.
Elle détient 30% des réserves minérales mondiales et 20% du potentiel hydroélectrique. En dépit de ses avantages naturels immenses, elle n’en demeure pas moins sujette à de fréquentes crises alimentaires et énergétiques.
Qu’on ne nous dise pas les crises alimentaires proviennent exclusivement de catastrophes climatiques car, en dehors des zones désertiques sahéliennes soumises aux aléas des pluies, l’immense majorité des terres africaines sont productives.
A noter que l’Afrique possède 15% des terres arables mondiales. Le continent est aussi riche d’une hydrographie très mal exploitée. La technique de l’irrigation n’est toujours pas totalement maîtrisée.
La surface de terres irriguées représente moins de 10% des terres cultivées dont 4% en Afrique subsaharienne. Sur ce plan, l’Afrique, et principalement l’Afrique subsaharienne occupe la queue du peloton mondial.
Population essentiellement rurale, soit plus de la moitié des actifs, elle ne parvient pourtant pas à réaliser son autosuffisance alimentaire. En Europe par exemple, l’agriculture occupe moins de 10% de la population, pourtant depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, on n’entend plus parler de la crise alimentaire.
La Chine, avec son milliard et demi de population couvre ses besoins alimentaires depuis qu’elle a opérée sa révolution agricole.
Pourquoi les gouvernements africains ne se fixent-ils pas pour priorité l’autosuffisance alimentaire, car jusque là, la plupart des sommets régionaux se contentent de promesses non tenues.
Concrètement, en Afrique, il n’y a pas eu une politique agricole réelle et significative. L’Afrique passe pour le Continent spécialisé dans les produits de rentes. Pire, elle produit ce qu’elle ne consomme pas (café, cacao, coton) et consomme ce qu’elle ne produit pas (riz, lait, volaille congelée, sucre, tomate…).
En même temps que les prix des produits de rente sont en baisse constante du fait de la concurrence de nouveaux producteurs (Amérique Latine, Asie du Sud Est), du fait aussi que les prix leur sont imposés par les acheteurs occidentaux (la détérioration des termes de l’échange), les africains s’obstinent à maintenir cette configuration de rente, caractéristique d’une économie du 18ème siècle.
Nous sommes au 21ème siècle, et il serait grand temps, pour le bien des peuples africains, que les dirigeants politiques africains arrêtent des discours creux et passent véritablement à l’acte.
La crise alimentaire que vit l’Afrique n’est pas le résultat d’une fatalité, mais la conséquence directe des errements de leaders politiques en manque d’inspiration et de priorités. La ressource humaine pour opérer ces changements est l’une des plus dynamiques au monde. Elle n’attend qu’à être formée et dotée de moyens pour accomplir la mission qui est la sienne.
Des centres de recherches et de conception d’outils et de machines adaptées existent comme ceux du projet Songhaï implantés dans plusieurs villes du Bénin. L’Afrique dispose aussi de facultés de sciences agronomiques, des Lycées agricoles, quand bien même, reconnaissons-le, ils sont insuffisants et par ailleurs dotés de maigres moyens consacrés à la recherche-innovation ou à la modernisation.
Il existe des centres de recherches régionaux tels que l’ADRAO (Association intergouvernementale pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest, créé en 1971, il est devenu en 2009, le Centre Africain pour le riz, suite à l’élargissement de ses membres à six Etats d’Afrique du Centre, de l’Est et du Nord) qui a réussi, en partenariat avec des chercheurs du monde entier, à créer le nerica (new rice for africa) une nouvelle variété de riz peu gourmande en eau avec un rendement beaucoup plus important que le riz traditionnel africain.
Ce sont bien des initiatives du genre qu’il faut encourager à travers une synergie d’actions. Il faudra aussi accompagner les petits producteurs à travers des formations destinées à l’amélioration de leurs techniques de productions en mettant à leur disposition des outils modernes adaptés afin d’optimiser leur gain de temps, d’énergie et de rendement.
A l’heure des regroupements régionaux pour faire face à la poussée de la mondialisation, il urge pour les Communautés régionales Africaines (CER) de se doter de politiques communes agricoles pragmatiques, de se fixer des objectifs quantitatifs mais aussi qualitatifs, afin de maximiser leurs gains.
Sur le plan des ressources énergétiques, on constate là aussi une véritable carence dans la mise en valeur des ressources potentiellement exploitables.
L’énergie solaire, encore très insuffisamment utilisée, pourrait révolutionner le secteur énergétique en Afrique. Des centres de recherches comme le CRES (Centre Régional d’Energie Solaire), laissé à l’abandon depuis 1994, ressuscite l’intérêt des gouvernements de Etats membres de l’UEMOA, qui, en dépit de leur Politique Energétique Commune (adoptée en décembre 2001), n’arrivent cependant pas à concrétiser leurs discours et déclarations.
Bien que l’Afrique soit l’un des grands producteurs du pétrole (Nigeria, Lybie, Algérie, Gabon, Congo, Cameroun, Côte d’Ivoire…), l’énergie fossile (pétrole et gaz naturel) est inaccessible à la plupart des populations africaines, sans doute due au manque de solidarité économique entre les Etats producteurs et non producteurs.
Malgré ses grands cours d’eau : le Niger, le Congo, le Zambèze, le Nil, l’Okavango, le potentiel hydroélectrique de l’Afrique est largement sous exploité.
Pour se justifier de leurs inerties, les leaders africains n’hésitent pas à évoquer la question du financement comme étant le seul handicap à la réalisation des grands projets d’infrastructures. Investir dans des projets, qui ont pour finalité l’acquisition de l’indépendance énergétique, est bénéfique pour la relance économique, pour les générations actuelles et celles à venir.
Sans indépendance énergétique, toute tentative d’industrialisation serait tâche vaine. L’un des facteurs qui empêchent les industries africaines d’être compétitives ou qui inhibent la création de nouvelles industries, est le coût très élevé de l’énergie.
En dehors du Nigéria, de la Libye et de l’Algérie où les coûts de l’énergie sont relativement faibles (parce que producteurs de pétrole), la plupart des Etats africains y ont accès à un coût relativement très élevé.
Résoudre les problèmes de développement en Afrique, revient essentiellement à résoudre l’équation crise alimentaire/crise énergétique. Parler de crise énergétique et de crise alimentaire en Afrique, en dépit de tous les atouts dont dispose le Continent est une aberration politique.
*Sanny Agnoro, est docteur en sciences politiques et membre du Groupe de recherche sur le coninent africain
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