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Dak’Art 2022 : « Les Restes suprêmes », pour reconstituer l’histoire de l’Afrique

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Ouestafnews – Restituer l’histoire de l’Afrique en interrogeant les civilisations africaines telles que vécues par nos ancêtres pour enfin déconstruire le musée « vu d’Europe ». C’est une thématique que l’exposition « Les Restes suprêmes » a mis en avant pour faire vivre au public sa propre histoire.

« C’était puissant » ; « fort » ; « extraordinaire» ! Les superlatifs n’ont pas manqué à l’exposition de l’artiste rwandais Dorcy Rugamba, intitulée « Les Restes suprêmes ». Cette œuvre « plastique » et « performative » a séduit et mobilisé un public de connaisseurs au Musée des Civilisations noires de Dakar, dans le cadre de la 14e Biennale de l’art africain contemporain qu’accueille la capitale sénégalaise depuis le 19 mai 2022. 

Ici, le terme « Restes suprêmes » englobe à la fois les restes d’une civilisation et … des restes humains. « Au cours de l’histoire, (…) la spoliation du patrimoine africain est allée de pair avec la spoliation des corps », explique Dorcy. Des ossements humains ont servi à élaborer des « théories raciales » et « des stéréotypes » qui ont façonné des sociétés africaines comme occidentales, ajoute l’artiste rwandais.

Dans cette installation faite d’objets de tous genres (planches en bois, branches de bambous, mobiliers, matériels de laboratoire scientifique, tam-tams et calebasses, etc.), l’idée est tout trouvée pour établir  un autre rapport avec notre patrimoine culturel, car « 80% des patrimoines africains ne se trouvent pas sur le sol africain », souligne Dorcy Rugamba. Ce qui est une preuve de « notre déconnexion » par rapport à « notre histoire ».

« Les Restes suprêmes » est un projet articulé autour d’un espace de plus de 300 m2, organisé en quatre blocs distincts pour quatre époques, symbolisées par une Afrique des ethnologues,  deux  mondes  opposés : « civilisé » et « primitif »,  une époque des squelettes et des fossiles et des rituels et des mythes.

Dans l’exposition, plusieurs masques sont présentés par Ruganba. Et chacun d’eux  raconte le maître qu’il a eu et les scènes dont il a été témoin. Pour les visiteurs, chaque masque exhume également des histoires enfouies et « comble les trous de mémoire des récits officiels en éclairant les angles morts », explique l’artiste.

Dorcy Rugamba, artiste plasticien rwandais a émerveillé le public avec son expo performative à la 14è édition de la biennale de Dakar. / Photo – Ouestaf News

« Histoires enfouies et trous de mémoire »

Le spectateur regarde à travers des interstices, comme on regarde par effraction un secret de famille à travers le trou d’une serrure.

La « galerie des masques » reflète une certaine idée de l’Afrique, celle des ethnologues, opposant les mondes « civilisé » et « primitif ». Dans la salle d’exposition, les masques sont immergés dans une forêt de bambous suspendue au milieu de la faune et de la flore.

Pour Dorcy Rugamba, l’objectif est « d’interroger l’utilisation de ces masques dans les différents rituels et mises en scène auxquels ils ont été associés au cours de l’histoire ». Ces masques exposés au Musée des Civilisations noires, ainsi que d’autres patrimoines, ont des origines ayant souvent fait l’objet de réinterprétation. C’est ce que l’exposition tente de « déconstruire », explique Rugamba.

Dans l’exposition de  Ruganba, le masque séjourne dans une collection de fossiles, de squelettes et autres artefacts. Parmi eux, des crânes et des restes humains qu’un scientifique féru de « craniométrie » se faisait livrer depuis l’Afrique. Le lieu préfigure le Musée de l’Homme des années 1920, et d’autres Musées européens d’histoire naturelle.

Et au bout, « le salon du général Storms (1846-1918) ». Le masque a appartenu à cet officier belge, qui l’a rapporté d’Afrique lors d’une expédition pour le compte du Roi Léopold II, en même temps que les trois têtes des Rois Lusinga, Mpamba et Marilu qui seront exposées sur la cheminée de sa maison bruxelloise, sur la Chaussée d’Ixelles jusqu’à sa mort. Le masque y dépeint la mégalomanie d’une Europe impériale ivre de sa toute-puissance.

Pour Rugamba, ce « sanctuaire africain » restitue le point de départ du masque. Au cours d’une cérémonie d’initiation, le masque dévoile son mystère, le sens des rituels et des mythes. « Tout ne meurt pas, quelque chose demeure, à toi de le trouver », dit l’exposant.

L’artiste invite ainsi son initié à chercher dans les « restes » le fil inaltérable entre les vivants et les morts, entre le passé, le présent et le futur.

« S’ils prenaient la parole, que nous diraient les masques africains exposés dans les musées ethnographiques européens ? », se demande l’artiste rwandais. Dans cette œuvre, il s’agit de questionner le rôle que joue l’art africain dans la construction d’une vision euro-centrée du monde.

Recentrage et mémoire

« C’est la première fois que je vois cette +installation performance+ et c’est vraiment extraordinaire », souligne Jacob Bleu, opérateur culturel, artiste visuel ivoirien et curateur du pavillon de la Côte d’Ivoire à la Biennale. Le journaliste culturel Aboubacar Demba Kibili Cissokho salue une exposition « très bien faite ». « On n’en sort pas indemne », dit-il.

Kibili Cissokho considère que la thématique de l’artiste rwandais « rejoint un peu l’idée générale que nous avons depuis quelques années de nous recentrer sur nous-mêmes, d’interroger notre mémoire, de réfléchir sur le regard qu’on a porté sur nous, sur les cultures, sur les civilisations africaines. »

« Les Restes suprêmes », c’est la première œuvre d’art de Dorcy Rugamba répertoriée dans les arts plastiques et contemporains. Metteur en scène de profession, le Rwandais participe pour la première fois à la Biennale de Dakar qui en est à sa 14è édition et qui prend fin le 21 juin 2022.

La notion de transformation est au cœur même de cette édition de la Biennale de Dakar, qui a pour thème « I Ndaffa » (« Forger », en sérère, une des langues nationales sénégalaises). Un thème qui énonce aussi bien « la liberté de transformer que les multiples possibilités du créer ».

Initialement prévue en 2020, la 14è édition de la biennale a été repoussée de deux ans en raison de la pandémie de Covid-19. Au programme, 59 artistes africains ont été prévus pour présenter leurs œuvres. La sous-région ouest-africaine y est représentée par 10 artistes dont sept sénégalais et trois béninois.

RAB-KAN/fd/md/hts


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