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Ouestafnews – Vous conseillez de grandes institutions à la recherche de compétence sur le marché ouest africain, les grandes écoles de la sous région, fournissent-elles souvent les cadres dont vous avez besoin ?
Yann Hazoumè – Le constat général que nous faisons est une inadéquation entre les exigences de nos clients et les profils des candidats. Mais ce dessin à grands traits nécessite cependant d’être affiné selon le secteur. Pour le secteur du développement, qui est aussi un pourvoyeur d’emplois, souvent ignoré des cabinets de conseils et de recrutement, c’est une réalité sans conteste ; avec ses métiers assez nouveaux et très spécifiques et auxquels peu d’écoles et d’institutions régionales forment en réalité. Nous avons ainsi eu à chercher certains profils pendant près de 2 ans ! Pour le secteur privé, la réalité est plus contrastée. Certains instituts de formation en Afrique de l’Ouest, au Sénégal et en Côte d’Ivoire notamment, parviennent à former et à placer sur le marché des cadres de niveau bac+3 à bac+5 issus de filières commerciales voire techniques. Mais ils sont souvent en « concurrence » avec des cadres de la diaspora, souvent mieux formés, à l’extérieur, et de plus en plus en quête d’opportunités de carrières sur le continent.
Ouestafnews – Quels sont les faiblesses le plus souvent constatés chez les postulants et que l’on peut imputer à une mauvaise formation ?
Yann Hazoumè – Ils manquent souvent de prise avec la réalité du marché du travail en général, et avec celle de leur propre secteur, ce qui est plus problématique ! A leur décharge, leurs cursus manquant d’aspects professionnalisant, les ont peu exposés au monde du travail durant leur formation. Les solides partenariats entre instituts de formation et employeurs qui permettent ailleurs, au système éducatif, de bien répondre à la demande du marché, et aux étudiants de se confronter de façon très régulière au marché du travail tout le long de leurs cursus, sont encore assez embryonnaires dans notre région. On note également un manque de pro activité des postulants, qui ne se prennent pas assez en charge et semblent attendre que tout leur soit servi. Ils sont, de mon point de vue, parfois victime de la certitude (trompeuse) que la simple obtention de diplômes d’écoles et d’instituts sont des sésames.
Ouestafnews – Votre cabinet fait aussi de l’orientation et/ou du conseil pour des cadres déjà en entreprise, qu’est-ce qui leur manque qu’ils n’ont pas acquis au cours de leur formation, pour qu’ils sentent le besoin de venir consulter des structures comme la vôtre?
Yann Hazoumè – Il faut préciser que ce sont d’abord leurs employeurs qui sont à l’origine de ces demandes d’intervention… Les besoins auxquels nous répondons concernent essentiellement des formations en ce que nous appelons, dans le jargon, des « soft management skills ». Il s’agit de « savoir-être » et de comportements (par opposition aux habiletés et savoirs techniques), tels la capacité à communiquer, à innover, à créer une cohésion d’équipe, à gérer efficacement son temps, qui deviennent indispensables, en compléments aux connaissances techniques, à certains niveaux de responsabilité et de carrière, pour le succès et la pérennité des organisations et entreprises. Ces éléments qui sont des compétences à part entière, sont rarement maîtrisés au terme des formations initiales types, telles celles dont nous parlons.
Ouestafnews – Dans votre rôle de conseil en recrutement, vous arrive-t-il d’avoir des candidats dont le profil est ou les diplômes mentionnés sur le CV est en déphasage total avec le niveau ? Ces cas sont-il nombreux ou le phénomène reste-t-il marginal ?
Yann Hazoumè – Tout à fait. Nous constatons une véritable surenchère autour du marketing des diplômes délivrés par certains instituts de formations dans la région. Typiquement, certains tendent à faire passer des Bachelors, Masters ou Masters spécialisés tels les MBA pour ce qu’ils ne sont pas. Et ces abus vont croissants ! Lorsque nous recevons en entretiens certains de ces candidats aux titres ronflants, nous tombons parfois des nues : quand ils n’ont pas simplement des difficultés à s’exprimer dans un langage simple et clair et à conceptualiser, ils peinent à convaincre de l’utilité opérationnelle de leurs connaissances. Nous nous rendons ainsi compte que certains de ces titres sont tout simplement des coquilles vides ! Sans doute qu’une normalisation nationale, voire régionale de la qualité et des contenus de ces enseignements et de ces titres permettrait de contenir certains abus que l’on peut constater sur le marché, et dont les étudiants et leurs familles sont principales les principales victimes.
Ouestafnews – Quels sont les profils les plus demandés aujourd’hui sur le marché ouest africain ? Quelles sont les filières où il y a encore de réels débouchés et de bonnes perspectives d’avenir pour les jeunes ?
Yann Hazoumè –Les profils les plus demandés dans notre sous région sont les profils types bac+4 à 5, dans les filières commerce, finance et audit, communication. Les filières techniques, bien qu’arrivant derrière, sont en hausse avec des secteurs comme les télécommunications et les TIC de façon plus large, ainsi que les industries extractives qui recrutent de plus en plus. Pour répondre à votre question sur les débouchés et les perspectives d’avenir pour les jeunes, je suis contraint de constater que ces secteurs générateurs d’emploi que je viens de citer, auxquels il faut ajouter le secteur du développement, ne contribuent à fournir qu’une infime partie des emplois nécessaires pour résorber le chômage endémique de la sous région. Les conclusions du dernier rapport de la banque mondiale sur l’emploi des jeunes en Afrique de l’ouest sont de ce point de vu très alarmantes : le chômage des jeunes, d’enjeu socio-économique pendant longtemps, devient aussi, depuis quelques années, un très sérieux enjeu de sécurité et de stabilité! La réalité du chômage des jeunes dans notre région, ce n’est pas la très petite minorité de jeunes plus ou moins bien formés pendant 3, 4 ou 5 dans des écoles ou d’instituts privés de commerce ou techniques. C’est plutôt la grande masse de jeunes sans la moindre formation, constituant le gros du lot des migrants des campagnes à la ville, et à la recherche d’opportunités de travail parce que le monde et le développement ruraux ont été totalement délaissés par les politiques, en dépit de tout bon sens. Les vraies possibilités de création d’emploi efficaces pour résorber le chômage des jeunes au sens large sont donc plus à rechercher, de mon point de vue, dans ce secteur agraire voire agro industriel, avec un système éducatif supérieur et technique mieux pensé et centré sur les besoins des populations, doté de plus de moyens, intégrant les enjeux de développement régionaux. En parallèle, il me semble indispensable de booster la création de filières courtes de formation à l’entreprenariat et axées sur le développement des ressources dont nous disposons.
Ouestafnews – Beaucoup de jeunes rêvent de faire carrière dans l’international, quels sont les atouts qu’ils doivent capitaliser pendant leur formation pour donner des chances à ce rêve de se réaliser ?
Yann Hazoumè – Le choix, renseigné et accompagné, d’une bonne formation me semble être la 1ère chose à faire. La renommée, les résultats, et les contenus de formation de l’institut ou de l’école, indiqueront au jeune se destinant à une carrière dans l’international, l’option à choisir… Au-delà de cet aspect purement académique, il ne faut pas perdre de vue ce que requiert en termes de dispositions personnelles et de « soft skills », justement, une carrière internationale. Outre la parfaite maîtrise d’une ou de deux langues internationales, en plus du français, il faudra disposer de réelles capacités de communication et d’adaptation à des contextes et situations multiculturels et changeants, et avoir une véritable culture de la performance et du résultat.
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