Ouestafnews-La liberté d’expression en ligne est garantie dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest grâce à des cadres juridiques relativement favorables. Cependant, l’utilisation croissante de l’espace numérique a conduit certains Etats à modifier les lois existantes, au nom de la cybersécurité ou de la lutte contre la cybercriminalité.
Dans nombre de pays de la zone ouest africaine, il y a « un contournement de toutes les libertés acquise aux niveaux des législations, notamment le code de la presse, pour restreindre l’espace numérique », indique le directeur Afrique l’Ouest et Sahel de Reporters sans frontières (RSF), Sadibou Marong.
Alors qu’on espérait que l’espace numérique soit un facteur de promotion de la démocratie et des libertés, c’est tout le contraire qu’on observe : que ce soit au Togo, au Bénin au Sénégal ou ailleurs dans la sous-région, les citoyens et le plus souvent des journalistes, sont de plus en plus arrêtés et envoyés en prison sur la base de publications sur les plateformes numériques.
Selon M. Marong, qui intervenait lors d’un panel en ligne organisé le 6 juillet 2023 par Ouestaf News sur le thème : « Numérique, liberté d’expression et démocratie », il existe, au niveau des pouvoirs publics ouest-africains, de fortes velléités de contrôle de la liberté d’expression dans l’espace numérique ». Pour lui, ce sont « les journalistes (qui) en paient le prix fort ».
Cette forme de restriction des libertés est vécue au Bénin alors que naguère, des lois sur l’accès à l’information ou la dépénalisation des délits de presse ont été adoptées par les autorités, note Dr Wenceslas Mahoussi, directeur de l’Observatoire des sciences de l’information et de la communication.
Aujourd’hui, regrette Dr Mahoussi qui a débattu aux côtés de M. Marong, le code du numérique du Bénin, voté en 2018, « entrave la liberté d’expression et les droits du numérique » des Béninois.
En 2018, le Bénin a adopté un Code du numérique jugé « hostile » à la liberté d’expression en ligne, par les défenseurs des droits humains. En son article 55, ce code punit la diffusion de fausses informations d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement ferme. « En termes de menace, ce sont les journalistes qui publient (sur les réseaux sociaux) qui sont (souvent) arrêtés », explique Dr Mahoussi.
Les journalistes Ignace Sossou, Casimir Kpédjo, Donatien Djéglé et l’activiste Jean Kpoton, ont été arrêtés et traduits en justice en vertu du Code du numérique. Pourtant, la liberté d’expression en ligne et hors ligne est garantie par l’article 23 de la Constitution béninoise.
Au Niger également des délits de presse ont été dépénalisés mais « des journalistes ont été arrêtés sous le coup de la loi sur la cybercriminalité » adoptée en juin 2019, souligne Sadibou Marong. Cette législation prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement et des amendes pouvant aller jusqu’à quatre millions FCFA.
En 2020, plusieurs journalistes, notamment Samira Sabou, Kaka Touda, Ali Soumana ont été arrêtés en vertu de la loi sur la cybercriminalité.
Ces nouvelles lois, pour réguler l’espace numérique, ont été souvent évoquées et interprétées pour cibler et étouffer les critiques et les dissidents des gouvernements dans les pays ouest africains.
Juriste et Responsable du bureau Sénégal à Internet sans Frontières, Emmanuel Dioh, un des intervenants à ce Forum Ouestaf, souligne que les gouvernements ne prennent pas le temps de bien comprendre et appliquer les législations concernant le numérique.
Selon lui, les autorités n’appliquent pas suffisamment les textes en amont. Elles attendent « qu’il y ait un évènement et c’est sur la base de cela qu’elles essayent de voir au cas par cas quelles sont les infractions sur lesquelles il faut alerter », explique-M. Dioh. A partir de ce moment, poursuit-il, les Etats, préfèrent «restreindre les réseaux sociaux » ou « couper l’Internet ». Or, « couper l’Internet ne saurait être une solution viable », estime M.Dioh.
Début juin 2023, le gouvernement sénégalais avait décidé de restreindre l’accès à Internet lors des manifestations dans plusieurs villes du pays suite à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ».
Cette mesure avait été justifiée par le ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Economie numérique par « la diffusion de messages haineux et subversifs dans un contexte de trouble à l’ordre public dans certaines localités du territoire national ».
Au-delà des journalistes, tout citoyen à le droit de s’exprimer et quel que soit le canal « si on se réfère à l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme », souligne Emmanuel Dioh.
« Il faut que cette activité se fasse parce que les citoyens participent aux débats publics. Dans ces débats, il n’y a pas seulement les hommes politiques », explique-t-il. Mais il précise que ces débats ne peuvent pas se faire avec « des messages de haine, de diffusion de fausse information, diffamation », entre autres.
Selon Emmanuel Dioh, la fausse information se vend mieux aujourd’hui que la bonne information. «Tout ceci conduit à l’instrumentalisation et à la non prise en compte des droits des personnes dont les données personnelles sont traitées », indique le juriste.
Par ailleurs, « la limitation de l’accès à l’information publique dans l’espace numérique contribue à la production de fake news », déplore-t-il.
ON/fd/md/ts
Vous voulez réagir à cet article ou nous signaler une erreur, envoyez nous un mail à info[@]ouestaf.com