Dernière ligne droite vers les APE : quels défis pour les communautés régionales africaines ?

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Le dossier APE constitue pour les CERs l’un des plus grands défis à relever pour la préservation de l’intégration africaine ; ce d’autant plus qu’une pression de plus vient d’être mise sur ces communautés par l’UE, qui semble ne pas vouloir reculer sur ces accords.

En effet, le 30 septembre 2011, la Commission de l’UE a décidé de donner au plus tard le 1er octobre 2014 aux pays signataires d’APE intérimaires – qui avaient jusqu’à présent bénéficié d’une sorte d’état de grâce de la part de l’UE – pour les appliquer effectivement. Dans le cas contraire, ils se verront simplement retirer les avantages commerciaux dont ils bénéficient pour l’accès au marché européen.

Cette décision, entérinée par le Parlement européen en avril 2013, constitue une sorte de pression sur les Communautés économiques régionales (CERs) notamment la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui n’a pas manqué de prendre des mesures  pour accélérer des négociations pour la signature d’un APE régional porteur de développement en vue de préserver l’intégration. L’option semble donc produire des effets avec le compromis obtenu à Dakar en janvier dernier et récemment validé sous réserve par les chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO réunis  les 28 et 29 mars à Yamoussoukro, République de Côte  d’Ivoire.

Etat des lieux des négociations

Lors du lancement des négociations pour les APE en 2002, l’Afrique avait été divisée en régions, étant entendu que les APE devraient être conclus sur une base régionale et non individuellement avec chaque pays. Bien que le choix des CERs mandataires eu posé d’énormes difficultés, compte tenu notamment de la multiplicité des accords régionaux sur le continent (quatorze au total), on note  cinq groupes de pays africains qui sont aujourd’hui engagés dans les négociations APE avec l’UE : en Afrique de l’Ouest, la CEDEAO plus la Mauritanie; en Afrique centrale, la Communauté économique de l’Afrique centrale (CEMAC); en Afrique de l’Est et australe les pays regroupés autour du Marché commun d’Afrique orientale et australe (COMESA) et de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) ; un autre groupe a émergé par la suite dans la même région, constitué des Etats de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC ) qui ont engagé des discussions autonomes avec l’UE vers la fin de 2004.

Sur ces  cinq groupes de négociations certains le sont par le biais de CER, tandis que d’autres sont de simples coalitions ad hoc. Ces groupes engagés dans les négociations  vont très vite faire face à d’énormes défis liés leur configuration : les PMA faisant de la résistance, et les non-PMA, qui risquaient de voir leur accès au marché européen se dégrader, se sont désolidarisés des PMA pour parapher des APE intérimaires, seule  solution pour garantir leur position commerciale dans l’UE au soir de la première date butoir du 31 décembre 2007. Dix-sept pays africains, incluant des PMA et des non-PMA, se sont engagés, entre 2007 et 2009, dans ce type d’accords.

Dans un tel contexte et devant l’impossibilité pour chaque CER de convaincre les signataires à renoncer à leurs APE intérimaires, la seule option qui restait était la reprise des négociations avec l’UE, dans l’espoir de parvenir cette fois-ci à des accords régionaux.  Ce second « round » de négociations, va être ouvert immédiatement après  l’échec des négociations en  2007 première date butoir fixait pour la signature des APE.  En Afrique de l’Ouest, les négociations  ont  officiellement repris en juin 2009.

Des avancées significatives ont été réalisées depuis, mais les discussions seront suspendues à partir de la mi-2012 à cause de divergences persistantes sur un certain nombre de points avant que les parties ne parviennent à un compromis à Dakar en janvier dernier mettant fin à des négociations entamées depuis plus de dix ans. Ce compromis vient d’être validé sous réserve par les leaders de l’Afrique de  l’Ouest qui ont reconnu « qu’il reste quelques questions techniques à résoudre » dans la négociation de l’APE et ont instruit « les négociateurs en Chef de prendre les mesures nécessaires, dans un délai de deux mois, en vue de trouver une solution aux questions soulevées par certains Etats membres, notamment le Nigeria, avant la signature de l’Accord ». Les Chefs d’Etat ont également instruit les Négociateurs en Chef de mettre en place un Comité technique incluant des représentants du Nigeria, du Ghana, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, pour examiner ces questions et soumettre leurs conclusions aux Chefs d’Etat et de Gouvernement. 
 Dans les autres régions les négociations se poursuivent actuellement.

Les principaux points d’achoppement restent nombreux

Parmi ceux-ci, deux questions ont retenu une attention particulière : il s’agit du Programme APE pour le développement (PAPED) et de l’offre d’accès au marché des pays africains.

Le PAPED est un programme financé par l’UE et destiné à accompagner les pays ACP dans la mise en œuvre des APE. Conscients que les APE vont entraîner des bouleversements dans leurs économies (pertes de recettes, ajustements, etc.), les pays ACP tiennent à ce programme, qu’ils lient intimement aux négociations des APE ; toute chose que l’UE tend à rejeter. Les besoins identifiés dans ce cadre par la région Afrique de l’Ouest par exemple ont été estimés par les pays à 15 milliards au départ avant d’être revus à 9,5 milliards d’euros sur cinq ans. De son côté, même si l’UE ne conteste pas l’estimation de ces besoins, elle ne s’est engagée qu’à hauteur de 6,5 milliards d’euros, et ce de surcroît à travers les programmes d’aide au développement européens déjà existants. La question de « l’additionnalité » des ressources   dans le cadre des APE, tant chère aux pays ACP, a donc été balayé du revers de la main par l’UE qui a réussi à faire renoncer à l’Afrique de l’Ouest le terme d’ « additionnalité » des ressources en contrepartie d’une promesse de respecter   leur engagement à rechercher l’adéquation entre les besoins exprimés et les financements.

Sur l’offre d’accès au marché, le désaccord se situait à deux niveaux : (1) le seuil de libéralisation ; (2) le calendrier de démantèlement tarifaires. Pour ce qui concerne l’APE Afrique de l’Ouest un compromis a été trouvé récemment à Dakar. L’Accord porte sur une ouverture de 75 pourcent du marché de l’Afrique de l’Ouest sur une durée de 20 ans selon les modalités suivantes :
– Libéralisation des produits du groupe A (produits à 0 pourcent)  dès l’entrée en vigueur de l’accord ;
– Libéralisation des produits des groupes A ; B ; et C à la fin de chacun des quatre quinquennats suivant l’entrée en vigueur de l’Accord.
A la fin de la quinzième année, l’essentiel des échanges devrait être libéralisé.

Mise à part l’Afrique de l’Ouest qui a trouvé un compromis  sur ces questions restées en suspens,  de nombreux points se retrouvent encore  au cœur des blocages dans les autres régions : les taxes à l’exportation, les règles d’origine, la clause de non-exécution, la clause de la nation la plus favorisée, l’obligation de négocier des accords de libre-échange avec les pays avec lesquels l’UE entretient une union douanière (Turquie, Saint Marin, Andorre), etc.      
Ces questions font peser un climat d’incertitude quant à l’issue des négociations, même si l’ultimatum lancé par l’UE pour octobre 2014 semble faire bouger certaines lignes.  

Défis et risques pour les CERs africaines

Plusieurs enjeux et défis sont posés au régionalisme africain dans le cadre des négociations APE à la lumière de la « course contre la montre » engagée pour la conclusion de ces accords. Dans ce contexte le risque d’un accord à minima (ou « anti-développement » africain), dans le but de sauver l’intégration, n’est pas écarté. Concomitamment et dans le sens opposé, la menace européenne sur les signataires d’accords intérimaires risque d’entrainer l’éclatement des CERs.

En effet la fixation unilatérale d’un délai aussi court – 1er octobre 2014 – par la partie européenne, entraîne une montée soudaine de la pression et met la partie africaine dans une situation où le plus important devient la « sauvegarde de l’essentiel », à savoir les processus d’intégration régionale. Dans un tel contexte l’objectif central qui était au départ de trouver des accords porteurs de développement du continent tout en minimisant les risques, devient secondaire.

Déjà, en Afrique de l’Ouest par exemple, bien que cela soit en deçà des exigences européennes (80 pourcent), l’offre d’ouverture de marché à 75 pourcent sur laquelle les parties se sont accordées à Dakar alors que la région campait pendant longtemps sur sa position de 70 pourcent montre bien la volonté de l’Afrique de l’Ouest de sauver l’intégration à travers la signature d’un APE régional . Mais ont-ils pris le temps d’évaluer l’impact de cette nouvelle offre sur leurs économies ? Rien n’est moins sûr.

Le risque d’éclatement des CERs est le plus redoutable pour les décideurs africains. Ou ils se « ménagent » pour parvenir à un accord régional – fut il à minima – et sauver ainsi leurs intégrations régionales, ou ils optent – et ce serait de leur faute ! – pour l’éclatement de leurs communautés régionales en traînant les pieds. En Afrique de l’Ouest, ce risque était un tant soit peu réduit avec le compromis trouvé à Dakar mais les réserves posées par le Nigéria lors du Sommet de Yamoussoukro font planer à nouveau des incertitudes quant à l’avenir du processus d’intégration de la région. En effet, on pourrait se demander quelle serait l’attitude des autres pays au cas où ces réserves n’arrivaient pas à être satisfaites ? Vont-ils signer sans le Nigéria (auquel cas le processus d’intégration de la CEDEAO en prendrait un coup) ou vont-ils suivre ce dernier dans son refus de s’engager ? Les prochaines semaines ne donneront sans doute la réponse.

Conclusion

Au fond, les défis et les diverses incertitudes provoqués par les APE reposent la question centrale de leur pertinence et leur opportunité pour l’Afrique et les pays ACP en général. Il n’est point besoin de rappeler ici toutes les études qui ont montré leurs potentiels effets néfastes sur les économies africaines. Les difficultés d’application dans les Caraïbes, qui étaient pourtant la seule zone à parvenir en 2007 à un accord régional avec l’UE, sont là pour nous rappeler les doutes quant aux bénéfices réels de ces accords. Rien pourtant ne semble arrêter la ferme volonté de l’UE de parvenir à ces accords ; même si cela se fera au prix de l’intégration africaine. L’ultimatum lancé par la Commission européenne et confirmé en avril 2013 par le Parlement européen est là pour le rappeler. Ceci étant du reste plutôt paradoxal, puisque l’un des objectifs des APE est justement de renforcer l’intégration africaine. En tout état de cause, c’est aux Africains de prendre leur responsabilité.
 
Dr. Ousseni Illy
Directeur exécutif du Centre Africain pour le commerce international et le développement au Burkina Faso.
 

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