Barthélémy Blede – Cette situation nous inspire au moins trois choses. Premièrement, elle démontre encore une fois que les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts. Là où apparaissent des intérêts, surtout des intérêts économiques… la fraternité et l’amitié f… le camp. Sinon comment comprendre que la Côte d’Ivoire et le Ghana qui partagent de nombreuses valeurs depuis des lustres puissent en arriver à cette situation ? Deuxièmement, était-il nécessaire d’envoyer cette affaire sur la scène internationale ? Ne dit-on pas chez nous que « le linge sale se lave en famille »? A la suite de l’échec des négociations entre les deux pays, ils auraient dû recourir à une médiation régionale. Ceci, même si le Ghana et la Côte d’Ivoire sont parties à la convention sur le droit de la mer de 1982 dont le Tribunal International sur le droit de la mer est une institution. La troisième chose est une inquiétude par rapport à la sûreté maritime au niveau régional. On pourrait craindre que la mésentente entre deux pays autour de leur frontière maritime mette en mal les patrouilles maritimes mixtes souhaitées par la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest NDRL) pour lutter efficacement contre la piraterie, et l’insécurité maritime en général (…) Régler le problème en interne était l’idéal et la raison de la création de la commission mixte ivoiro- ghanéenne. Celle-ci a enregistré une dizaine de réunions entre les deux pays et c’est à la veille de la onzième rencontre que le Ghana a décidé de saisir le tribunal international du droit de la mer. Toutefois, il est important de souligner, que le tribunal international sur le droit de la mer a dans une certaine mesure renvoyé les deux parties à cette situation initiale. Il les a invitées à coopérer.
Ouestafnews – A quels genres de conséquences économiques et sociales peut-on s’attendre dans de telles situations ?
B.B – Chacun des deux pays espère augmenter sa production pétrolière pour son économie nationale. Perdre le procès sur le fond signifiera renoncer à cette manne financière. Le risque financier semble plus grand du côté ghanéen qui a de nombreux puits pétroliers dans la zone, et est déjà en train d’exploiter un important champ pétrolier dans la zone à travers une entreprise anglaise, TullowOil. Cette affaire fait une mauvaise publicité à cette société qui est en bourse. La valeur de ses actions aurait chuté à cause de cette affaire.
Ouestafnews – Qu’en est-il des éventuelles conséquences sociales ? Ne pensez vous pas que ce problème aura un impact sur les bonnes relations entre les peuples des deux pays.
BB – Il est clair que l’économique et le social sont liés. Si par exemple une société pétrolière arrêtait ses activités parce que l’Etat dont elle détient la licence d’exploitation avait perdu le procès, des travailleurs de ce pays se retrouveraient sans emploi. Si on sait que chez nous chaque travailleur travaille pour au moins 10 personnes, vous imaginez le résultat. Le chômage est le père de beaucoup de maux, y compris les soulèvements sociaux.
Ouestafnews – La solution du partage de la production choisie par la Guinée Bissau et le Sénégal, peut-elle servir de modèle ?
BB – C’est l’une des solutions proposées de notre article publié (…)sous le titre « Qui gagnera la bataille du pétrole ? ». Nous pensons également que les deux pays pourraient créer une société mixte comme la Joint Oil tuniso-libyenne où chaque pays devrait avoir 50% des bénéfices. Cela renforcerait davantage les liens entre les deux pays. Mais, nous savons que la réalisation d’une telle proposition pourrait se heurter à certains intérêts financiers en jeu.
Ouestafnews -Selon certains experts, l’incertitude des frontières terrestres héritées des puissances coloniales complique la délimitation des frontières maritimes, partagez vous cet avis ?
BB – Ce n’est pas notre avis, car la délimitation des frontières maritimes ne respecte pas forcement la même logique que la délimitation des frontières terrestres. La frontière maritime ne suit pas forcement le tracé terrestre ; c’est d’ailleurs le point de discorde entre le Ghana et la Côte d’Ivoire. Le Ghana est pour la méthode de l’équidistance qui consiste dans une certaine mesure à suivre la limite terrestre, au moment où la Côte d’Ivoire opte pour la méthode de la bissectrice qui consiste à tracer une ligne à partir d’un point de chaque côté et mettre la frontière à la jonction des deux droites. Par ailleurs, nous ne pensons pas qu’il y ait un problème de frontière terrestre entre le Ghana et la Côte d’Ivoire qui ait entraîné ce litige.
Ouestafnews – Doit-on s’attendre à l’éclatement d’autres différends frontaliers maritimes au fur et à mesure que des découvertes de pétrole sont annoncées dans les pays côtiers d’Afrique ?
BB – Oui, malheureusement. Il y a une forte probabilité de voir d’autres différends frontaliers maritimes. Même entre le Sénégal et la Guinée Bissau, ce n’est pas gagné, si le pétrole qui est annoncé se trouvait dans la zone maritime commune. Nous pouvons citer des conflits comme celui entre le Gabon et la Guinée équatoriale à propos de la souveraineté des îlots de Mbanié, de Conga et de Cocotier, et celui entre la Tanzanie et le Malawi sur le lac Malawi. Par ailleurs, le Nigeria vient de découvrir du pétrole dans le Bassin du Dahomey, non loin du Bénin. Cela suggère qu’il pourrait exister des gisements pétroliers à la frontière Bénin–Nigeria. Or nous n’avons pas connaissance de l’existence d’un mécanisme entre ces deux pays pour faire face à une telle éventualité.
Ouestafnews – Selon les experts, un tiers à peine des frontières maritimes en Afrique ont fait l’objet d’accords définitifs entre États, quels mécanismes pourrait-on mettre en place afin de corriger cette situation porteuse de crises ?
BB – L’Union africaine et la Cedeao ont adopté des stratégies maritimes en 2014 où elles conseillent à leurs Etats membres de procéder à la délimitation de leurs frontières maritimes de façon pacifique. Les cadres existent à travers ces stratégies. Mais procéder à une délimitation de frontière maritime nécessite de l’expertise et des moyens financiers. Nos pays étant confrontés à des problèmes d’existence, d’éducation, de santé, etc., il est évident que la délimitation des frontières maritimes ne semble pas constituer une priorité ; jusqu’à ce qu’un problème comme celui entre la Côte d’Ivoire et le Ghana survienne. La Cedeao, les autres communautés économiques régionales et mécanismes régionaux ainsi que l’UA devraient mettre cette question dans leurs agendas, parce qu’une forte volonté politique est nécessaire pour faire procéder à la délimitation des frontières maritimes et signer des accords bilatéraux pour prévenir les conflits.
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