«On est très loin du top 100. Etre 140e sur 190 pays, je dis que ces sept places gagnées, c’est des réformettes», a déclaré l’économiste Meissa Babou, dans un entretien avec Ouestafnews.
Selon cet enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, ce rang «ne valorise pas en tout cas notre pays face à d’autres pays».
Ce bond de sept places du Sénégal dans le rapport 2018 du Doing Business est lié à la mise en œuvre de cinq réformes. Il s’agit de la création d’entreprise, de l’obtention de prêts, du transfert de propriété, du paiement des taxes et impôts et de l’exécution des contrats.
«Grâce à ces réformes, le Sénégal se retrouve parmi les cinq pays les plus réformateurs d’Afrique subsaharienne, aux côtes du Malawi, de Djibouti, de la Zambie et du Nigeria. Avec ses cinq réformes mises en œuvre cette année », indique un communiqué du Groupe de la Banque mondiale consulté par Ouestafnews.
«Les réformettes que nous avons faites, c’est-à-dire la création d’entreprise, le raccordement à l’électricité, etc. Ce n’est pas ça qui nous valorise. Si on était de grands réformateurs, on aurait gagné plus de places», a souligné M. Babou.
L’objectif top 100 pas encore atteint
«Il faut insister sur ce qu’on doit faire pour entrer dans le top 100 et pour cela, il faut effectivement réformer en profondeur, c’est ce que la Banque mondiale et toutes les institutions demandent. Et c’est ce qui tarde à se faire», a insisté Meissa Babou.
Le directeur de l’environnement des affaires de l’Agence pour la promotion de l’investissement et des grands travaux (Apix), Amadou Lamine Bâ, a rappelé, dans le journal Enquête, que «l’objectif du Sénégal, c’était d’être dans le top 100, mais en 2020. Ce n’était pas pour cette année ».
«On a formulé la 2e phase du programme de réformes dans un objectif qui, dans les trois ans à venir, devrait nous porter sur le top 100», a-t-il indiqué.
Toutefois, M. Bâ a soutenu que «si on regarde par rapport aux objectifs qu’on s’était fixés, on peut dire qu’on les a atteints en partie».
Mais pour cela, avertit Meissa Babou, «il faut effectivement réformer en profondeur, c’est ce que la Banque mondiale et toutes les institutions demandent. Et c’est ce qui tarde à se faire ».
Selon lui, il faut «une réforme foncière, qui n’a pas été faite ; il faut une réforme fiscale, qui tarde encore à venir» et également une réforme sur «le plan judiciaire».
«La majorité des pays d’Afrique subsaharienne, même s’ils sont en nette progression, demeurent au bas du classement», a constaté la directrice des opérations de la Banque mondiale au Sénégal, Louise Cord.
Le 6 février 2017, le gouvernement sénégalais avait tenu un conseil interministériel sur la validation d’une feuille de route sur le Doing Business.
Au sortir de cette rencontre, une stratégie comportant neuf mesures avait été adoptée pour améliorer le classement du pays dès l’édition 2018 et « progressivement intégrer » le top 100 du classement, selon le porte-parole du gouvernement, Seydou Gueye. Ce dernier n’avait pas précisé que l’échéance c’était en 2020, contrairement au responsable de l’Apix.
Controversé et convoité
Ce classement annuel de la Banque mondiale (publié depuis 2004) n’a jamais fait l’unanimité au sein des gouvernements et des observateurs.
Sur la base d’une dizaine d’indicateurs dont la création d’entreprises, l’octroi de permis de construire, l’embauche des travailleurs…, ce classement se veut un élément de mesure de la compétitivité des économies à travers le globe.
Le Sénégal qui, aujourd’hui, se gargarise de sept places gagnées avait critiqué les résultats de l’édition 2014. Le président Macky Sall désormais convaincu des bienfaits du Doing business avait à l’époque, contesté le rang (178e sur 189, reculant de deux places) de son pays.
L’on se souvient aussi qu’en 2014, un rapport du think thank américain, l’Institut Oakland, parlait du Doing business comme un moyen détourné de favoriser l’accaparement des terres dans les pays en développement.
Bien que n’étant pas directement focalisé sur le secteur agricole, le classement Doing Business a pour «effet collatéral de faciliter l’accaparement des terres en plaidant pour la protection des investisseurs et la réalisation de réformes foncières qui font de la terre un bien commercialisable et facilitent les grandes acquisitions de terres», déplorait le rapport.
Le Sénégal désormais fait une fixation sur ce classement, lors de la publication de l’édition 2017, le gouvernement par la voix de son porte-parole affirmait que le pays a gagné 30 places en quatre ans. Une affirmation fausse, selon Africa Check qui avait, à l’époque, procédé à la vérification de cette affirmation.
ON-MN/ad