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Dr Assane Diop : « Il manque une volonté politique pour enrayer le trafic de faux médicaments» (Entretien)

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Ouestafnews – Une grosse quantité de faux médicaments, d’une valeur estimée à « plusieurs milliards FCFA », selon les enquêteurs, a été saisie dans la capitale sénégalaise. Une nouvelle saisie qualifiée de « record » qui vient témoigner de l’ampleur de ce phénomène au Sénégal et en en Afrique de l’Ouest. Dans cet entretien téléphonique accordé à Ouestaf News, le président du Syndicat des pharmaciens privés du Sénégal, Dr Assane Diop, explique la persistance de cette situation par « un manque de volonté de l’Etat du Sénégal à enrayer ce trafic ».  

Ouestaf News – Encore une nouvelle saisie de faux médicaments effectuée à la Patte d’Oie (un quartier périphérique de la capitale, Dakar) le mardi 13 avril 2021. Qu’est-ce qui explique la persistance de ce trafic au Sénégal ?

Assane Diop – La persistance de ce trafic s’explique par l’absence d’une volonté ferme de l’Etat à y faire face. Il y a également quelques failles dans le dispositif de veille parce qu’on ne peut pas comprendre qu’une quantité aussi importante puisse entrer dans le territoire (sénégalais) sans que les services de contrôle des frontières ne soient au courant.

En plus du manque de volonté de l’Etat, il se trouve que les peines prévues pour les infractions liées au trafic de faux médicaments sont relativement trop légères pour être dissuasives.

Ouestaf News – Cela veut-il dire que les lois doivent changer et les peines devenir plus lourdes ?

A.D- Ce que nous demandons, c’est une criminalisation du trafic de faux médicament (…), les peines d’emprisonnement pourront être de cinq ans au moins. C’est-à-dire que les contrevenants peuvent écoper même de peines de dix ans, assorties d’amendes plus élevées. Présentement, les amendes sont de l’ordre d’un million 500 mille FCFA.

Pour corser les peines il faut également prévoir parmi les infractions à retenir dans ce trafic prohibé, la mise en danger de la santé d’autrui. Les infractions visées actuellement se rapportent uniquement à l’exercice illégal de la pharmacie.

Il faudrait désormais tenir compte des problèmes de santé qu’engendre ce trafic au sein de la population. De telle sorte que même les cas de personnes ayant rencontré des problèmes de santé dus à la consommation de faux médicaments puissent être pris en charge par les nouvelles dispositions. Dans ce cas, si mort s’en suit, les coupables peuvent être poursuivis pour homicide involontaire.

Ouestaf News – Le trafic de drogue et le viol ont été criminalisés avec des peines devenues plus lourdes. Toutefois, ce sont des fléaux qui persistent…

A.D- On peut aussi voir le problème sous cet angle, mais quand on change les textes de lois à propos de ce fléau, on donnera au juge des arguments pour prononcer des peines lourdes. Il faut reconnaître que la drogue est différente des faux médicaments. Pour la première, le consommateur choisit délibérément de s’y livrer alors que pour le médicament, c’est un malade en détresse qui se rend auprès d’un vendeur avec parfois une ordonnance établie par un médecin. Il n’a pas de choix car il peut ignorer la fausseté du produit qu’on lui vend.

Ouestaf News – Au moins un pharmacien a été arrêté dans l’enquête. N’est-ce pas un signe que les pharmacies elles-mêmes participent à entretenir ce réseau parallèle frauduleux ?

A.D – Non ! Les pharmaciens ne participent pas du tout à soutenir ce réseau. C’est le syndicat des pharmaciens privés qui est même à l’origine du démantèlement de ce réseau. Au contraire, c’est le syndicat qui signalé l’existence de ce trafic et a travaillé en étroite collaboration avec les forces de police et la direction de la pharmacie pour mettre la main sur les personnes interpellées et sur la quantité de faux médicaments.

Il se trouve juste que des pharmaciens sont employés dans une structure de distribution mise en cause. Cette structure est autorisée à distribuer des dispositifs médicaux qui n’ont rien à voir avec les médicaments.

C’est la structure qui importe qui a fraudé en important une quantité aussi importante de médicaments. Les pharmaciens ne participent pas du tout à la persistance de ce trafic.

Les deux pharmaciens employés dans la structure de distribution, impliqués dans cette affaire ne sont pas des trafiquants et n’ont pas non plus participé à l’importation de ces médicaments.     

Ouestaf News – N’êtes-vous pas en train de vouloir sauver la face de votre profession ou de dédouaner des confrères ?

Non, pas du tout. On ne veut sauver ni dédouaner personne. C’est nous-mêmes en tant que syndicat des pharmaciens privés, qui avons fait le signalement à la direction de la pharmacie et du médicament (Dpm). Nous sommes là pour lutter contre ce trafic et on ne protégera personne. C’est le syndicat qui a dit à la Dpm que telle structure est en train de vendre des médicaments alors qu’elle n’en a pas le droit.

Si demain, des pharmaciens se rendent coupables de ce trafic nous le regretterons. Mais dans cette affaire, le syndicat n’y est pas pour protéger les pharmaciens (…). Nous voulons juste rétablir la vérité des faits et prouver que ces pharmaciens ne sont pas les auteurs de trafic.

Ils ont travaillé dans la structure et y avaient des responsabilités que l’enquête en cours définira. Mais ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de l’importation ou du trafic de ces médicaments.     

Ouestaf News – Qu’est-ce qui manque dans le dispositif de lutte pour faire cesser une bonne fois pour toute ce trafic illicite de médicaments au Sénégal ?

A.D – Dans le dispositif de lutte, il y a tout ce qu’il faut (…) Les dispositions réglementaires, juridiques, tout est là. Il nous manque juste une volonté politique de l’Etat pour une application rigoureuse de ces dispositions.

Les forces de sécurité, l’administration, à savoir la direction du commerce extérieur, la direction de la pharmacie et du médicament ont les moyens de lutter efficacement contre ce trafic de faux médicaments.

Il faut juste une volonté politique affirmée pour mettre fin à ce fléau. Le phénomène est connu de tout le monde car il se pratique au vu et au su de tous. Celui qui a les moyens d’arrêter des trafiquants au cœur de Dakar, devrait, de la même manière, être en mesure de fermer « Keur Serigne bi » (un marché parallèle au cœur de la capitale sénégalaise, Dakar), ainsi de suite.

ON/fd


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