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Du scandale Segura aux relations Afrique-Fmi (Libre Opinion)

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Par Adama GAYE*

En d’autres temps, jamais le débat national ne se serait focalisé sur un fonctionnaire, un technocrate, chargé par définition d’appliquer, dans la discrétion, les préceptes de l’institution qu’il représente. S’il en est ainsi, avec ce qu’il est convenu d’appeler la Seguragate, c’est parce que le Sénégal vit des heures surréalistes. Presque aucune incongruité ne lui est épargnée. Mais cette fois ci, il ne s’agit pas d’un de ces nombreux événements qui pimentent passagèrement la vie publique. Trop grave pour être traitée à la légère, l’affaire Segura est de celles qui méritent d’être surveillées de près jusqu’à ce qu’elle livre tous ses secrets, sans qu’aucune des conséquences qu’elle doit nécessairement entraîner ne soient tronquées. Il s’agit rien moins que de redéfinir la nature et la substance des relations d’un pays africain, et par extrapolation, celles d’un continent, avec le Fonds monétaire international (FMI) qui a fait de ce sulfureux Espagnol son représentant à Dakar pour superviser la politique économique du Sénégal.
Bien qu’elle ait déjà suscitée un grand bruit, sur fond de dénégations et accusations de toutes sortes, la pire des choses c’est de n’en faire qu’une de ces nombreuses parenthèses verbales, au même titre que les conversations de salons, de bus, autour du thé, que les sénégalais affectionnent tant parce qu’elles leur permettent, sans frais, à la Tartarin de Tarascon, de faire et défaire le monde, en exerçant leur talent oratoire sur les sujets à controverses dont le pays est devenu le réceptacle, ces dernières années.
Tel ne doit –et ne peut- pas être le cas dans cette affaire Segura. Outre les questions de moralité qu’elle implique, notamment parce qu’elle met côte à côte, sur la même scène de la honte, l’Etat du Sénégal (par Abdoulaye Wade) et le Fonds monétaire international (par son ancien représentant résident), elle remet en question la sincérité des engagements éthiques au centre du contrat de services entre ces deux protagonistes. Ne pas crever l’abcès, c’est faire une croix sur l’ambition de développement national ou, à tout le moins, refuser de tisser des relations de qualité avec un partenaire majeur en acceptant d’entretenir avec lui des liens adultérins, au détriment des perdants –les pauvres populations.
On a déjà dit beaucoup de choses sur cette affaire, sauf qu’elle n’aurait jamais dû se produire.
Parce que d’abord rien, a priori, ne destinait Alex Segura a occuper les devants de l’actualité sénégalaise –et surtout pas de cette manière si tonitruante ! Pour qu’il s’y retrouve, divers facteurs ont joué. Dont, pour commencer, sa volonté personnelle d’être aux premières loges, dans le souci évident de se muer en ce qu’il n’avait pas vocation à devenir, à savoir une bête médiatique. Quiconque a suivi, même distraitement, la chronique des faits et gestes de cet homme, ne peut avoir le moindre doute qu’il n’était pas insensible aux lumières qui se focalisaient sur sa personne. Etourdi ou ébloui, il n’avait alors jamais laissé passer une occasion de déroger à toutes les précautions exigées par son statut. En somme, Segura a été victime des douceurs de la célébrité qui lui ont fait perdre le nord. En plein dans son aventure sénégalaise, il en était arrivé à donner l’impression d’être le régent d’une quasi-monarchie en déperdition. Dans ce rôle de Tarzan, il ne se rendait même plus compte qu’il envoyait un double signal. Tantôt, le voici pourfendeur du régime, ce qui le faisait apparaître dans les pages des gazettes en homme soucieux de l’éthique dans la gestion des biens publics. Tantôt, jouant d’une ruse aussitôt décelée par les sénégalais passés maîtres dans cet art, on le surprenait ailleurs, devant des caméras de télévision, à cajoler le même régime, presque à lui donner un quitus douteux dans des affaires fleurant bon le scandale, pour s’imposer comme son interlocuteur de choix.
Une autre raison qui aurait dû s’opposer a cette affaire: elle jure d’avec le souci du Fmi de vouloir se refaire une santé en profitant du boulevard que lui offre la crise financière actuelle. Elle le sauve de l’obsolescence qui la guettait il n’y a guère longtemps. Or, voir un de ses représentants se retrouver au cœur d’un scandale, d’une corruption, constitue un sérieux revers alors qu’il tente de devenir le régulateur de la finance internationale, c’est-à-dire sa moralisation. Cela fait désordre!
Une dernière raison aurait dû aussi empêcher que ce scandale se produise: c’est ce serment inlassablement répété par le Sénégalais Abdoulaye Wade quand il se posait, dans les heures épiques de son combat pour l’alternance et la démocratie, comme le champion de la lutte contre la corruption. Celui qui se faisait passer pour l’apôtre de la bonne gouvernance se trouve totalement disqualifié en raison de son implication dans cette sordide histoire de corruption. Comment peut-il vaincre le cancer de la mal gouvernance qui ronge la société sénégalaise à partir du moment où le monde entier sait désormais qu’il n’hésite pas à user de la corruption pour arriver a ses fins, ou qu’il convoque la religion, la tradition, les loges et autres forces occultes pour se maintenir au pouvoir?

Face a ce marché de dupes, mettant à nu les contradictions des discoureurs de la bonne gouvernance et leurs pratiques réelles, on aurait pu être tenté de céder au sarcasme. D’en rigoler. Même jaune…Et on aurait pu même été enclin à comprendre le souci de sauver la peau de son agent par le Directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, qui semble être à l’origine de son intervention maladroite dans le débat lorsqu’il a donné l’impression de passer l’éponge sur une affaire aussi grave à la condition que Maitre Wade en assume, tenez-vous bien, la paternité. Disons-le sans détour: cette légèreté partagée par le patron du Fmi et Monsieur Wade est condamnable. C’est comme si l’un et l’autre n’ont pas encore mesuré la gravité de l’affaire dont il est question. En un mot, malgré les bizarreries qui la ponctuent, il ne faut surtout pas céder à l’envie d’en rire. Car nous sommes au centre d’une affaire qu’il faut prendre au sérieux. Tant l’acte posé, les protagonistes en cause, et les méthodes jusqu’ici employées pour soit le justifier ou l’étouffer, sont autant de facteurs explicatifs de la pérennisation du sous-développement du continent africain.

Que faire dans ces conditions ? De prime abord, l’on est tenté de dire que le régime multirécidiviste de Wade est incurable. Coutumier de tels faits, il n’en est pas à ses débuts. Ce triste constat est confirmé par ses ‘exploits’ qui le voient voler de scandales en scandales. Au point que certains se demandent comment l’Administration Obama a pu accepter ce régime dans son programme d’action du millénaire qui s’articule autour de la bonne gouvernance. En plus, est-on tenté de se demander, comment des partenaires au développement, notamment ceux du G8, continuent de se mettre autour de la même table avec le chef de ce régime en étant au parfum des actes qu’il pose au quotidien à domicile contre les libertés et la bonne gouvernance ?

Nulle part ailleurs au monde, un tel régime abonné aux bourdes n’aurait survécu longtemps. Question à un million de dollars: le Sénégal a-t-il vocation à ne pas faire face à son destin? Son peuple est-il voué à accepter de voir son label, ses traditions, ses valeurs et vertus, être déchiquetés et jetés dans une mer de honte? Les Sénégalais ont-ils choisi d’être écrasés par un régime qui multiplie les gaffes en leur nom? Le libre arbitre ne signifie pas se jeter dans une fosse aux lions, comme l’enseignent les philosophes.

Si le régime en place au Sénégal relève de l’anomalie, quid du Fmi. Ses explications dans l’affaire Segura sont loin de convaincre. Passons sur les contradictions que contiennent ses différentes thèses en la matière, qui l’amènent tantôt à admettre que son agent a été arrêté à Paris, ensuite à affirmer que les sous qui lui ont été remis l’ont été à l’aéroport, enfin que l’argent lui aurait été remis à la présidence de la république du Sénégal –transformée en lieu de corruption dans le cas d’espèce.
On ne peut qu’être abasourdi face à cette situation. Tant les questions deviennent encore plus brûlantes : pourquoi simplement Monsieur Segura n’a-t-il pas remis l’argent à son remplaçant –puisque dit le communiqué du Fmi (une dame), il s’est arrêté chez elle avant de continuer sa route vers l’aéroport de Dakar. Non content de ne pas l’avoir fait, il a voyagé avec une somme d’argent aussi importante sans l’avoir déclarée aux douaniers de l’aéroport ?
Quelqu’un a pu dire de Segura que l’argent qui lui a été donné récompensait ses accointances masquées avec le régime qu’il dénonçait dans un exercice de double jeu dont la conclusion n’est guère mieux qu’un vaudeville aussi burlesque que criminel.
Sous cet éclairage, autant les Sénégalais ont le droit de sanctionner le régime à l’origine de cet acte qui fait honte, autant le Fmi doit cesser de ‘couvrir’ son agent s’il veut être pris au sérieux dans sa volonté d’engager un dialogue de type nouveau avec les pays africains. Penser que cette affaire retombera comme un soufflé revient à se tromper lourdement : c’est rien moins que d’un Watergate financier tropical dont il s’agit. Il n’en est qu’à ses débuts. A quelque chose, malheur peut cependant être bon. Tel sera le cas si cette affaire permet de mettre fin aux rapports bizarres que les fonctionnaires du Fmi, des Nations-Unies, de certains pays développés, pour tout dire des différents partenaires bi-et-multilatéraux, entretiennent avec les régimes africains. Agneau du sacrifice ou révélateur, l’acteur Segura, pris la main dans le pot de confiture, aura, au moins, servi à quelque chose ! Cela, le Directeur du Fmi doit être le premier à en être conscient: hélas, quand il est venu au mois de Mai a l’université Johns Hopkins de Washington présenter ce que certains ont qualifie de ‘kinder, gentler Imf’, c’est à dire d’un FMI plus compatissant, en mettant en avant ses nouvelles préoccupations sociales, il avait pris la mouche lorsque j’avais attiré son attention sur le fait que cela risquait de n’être qu’une nouvelle stratégie de relations publiques, une de plus. Jouer a l’autruche en faisant semblant de ne pas voir la responsabilité de Segura n’augure rien de bon dans la conduite des rapports d’une institution souvent accusée de pécher par arrogance et qui n’arrive toujours pas a faire sa propre introspection sur les dégâts causés à travers le monde par ses politiques néolibérales. C’est à l’Afrique de se redresser pour lui imposer un débat sérieux. Tant sur les hommes que sur les politiques. Le FMI ne peut s’en soustraire s’il veut que l’affaire Segura lui serve à quelque chose. Quand au régime Sénégalais, c’est au peuple sénégalais, souverain, de décider de son sort. Son choix est clair comme l’eau de roche: soit il peut faire du « dolli » -encore, soit il peut affirmer un vigoureux « doyna » -ça suffit!

*Adama GAYE, journaliste, adamagaye@hotmail.com

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