Ouestafnews- Résultats contestés, arrestations de journalistes et des partisans de l’opposition, coupure d’internet : l’élection présidentielle du 22 juillet en Mauritanie a été un rendez-vous manqué pour la démocratie. De ce scrutin mouvementé, le candidat du pouvoir, Mohamed El Ghazouani, est sorti vainqueur avec 52,01% des voix, selon les résultats contestés par ses principaux challengers, mais confirmés par la Cour constitutionnelle. Âgé de 62 ans le nouveau président est un soldat plutôt méconnu de ses compatriotes.
«Situation très indécise» : c’est ce que l’analyste Babacar N’diaye veut retenir de l’issue de ce scrutin présidentiel. Membre du West Africa Think Tank (wathi, basé à Dakar) M. Ndiaye ne s’attend pas non plus à de gros changements par rapport au régime précédent du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Une «continuité» que l’analyste justifie par le fait que Ghazouani est un «homme du système».
Général de l’armée mauritanienne, Ghazouani a fait un passage remarqué à la tête de services de renseignements, il a aussi occupé le poste de chef d’état major des armées avant d’être nommé au ministère de la Défense, soit le dernier poste qu’il a occupé avant son élection. Il est considéré comme un fidèle du désormais ex-chef d’Etat Ould Abdel Aziz.
Selon Babacar Ndiaye, interrogé par Ouestaf News, on peut mettre au crédit du président nouvellement élu « un travail efficace » au niveau des renseignements qui a permis à son pays de déjouer plusieurs attaques terroristes. Joint au téléphone par Ouestaf News, le journaliste mauritanien Kissima Diagana, voit dans l’élection de Ghazouani une victoire plutôt flatteuse.
Candidat du pouvoir sortant, Ghazouani a obtenu 52% des voix, en 2014, son prédécesseur avait été réélu avec 81%. «Le score de Ghazouani peut être interprété comme une chute de la popularité de ceux qui ont géré le pays ces dix dernières années. Il y a un recul clair de la confiance des mauritaniens», souligne Kissima Diagana.
Tensions sociopolitiques
Peuplée de 4 millions d’habitants, la Mauritanie est un pays grevé par des problèmes sociaux complexes. Sa population mixte est composée de Maures qui contrôle l’appareil d’Etat, dominent la vie politique et économique face à des Négro-mauritaniens qui se plaignent depuis toujours de discrimination. Il faut y ajouter la lancinante question de l’esclavage dans le pays, officiellement abolie depuis 1981 mais toujours pratiquée dans la réalité.
«L’Indice mondial de l’esclavage estime qu’il y a 90.000 esclaves en Mauritanie, soit 2 % de la population, y comprises les personnes qui subissent des formes «modernes» de cette pratique, comme le travail forcé ou la servitude», souligne Human Rights Watch. Du coté des autorités mauritaniennes, la réalité de l’esclavage a toujours été niée avec vigueur. Dans sa rhétorique le gouvernement rappelle toujours qu’il s’agit d’une pratique abolie, et en sus sa criminalisation est intervenue en 2007.
Pour le journaliste Kissima Diagana, les Mauritaniens sont en droit d’espérer que le nouveau président puisse «apaiser le climat social», surtout que dans les programmes électoraux, la question du vivre ensemble entre toutes les communautés du pays a été souvent évoquée. Un problème latent qui s’accompagne d’une liberté politique pas totalement garantie avec de multiples entorses à la liberté d’association et à la liberté d’expression.
«Les autorités mauritaniennes ont restreint la liberté d’expression et de réunion, particulièrement, lorsque des activistes indépendants protestaient contre le racisme et la discrimination ethnique, la persistance de l’esclavage et d’autres sujets sensibles », souligne Human Right Watch dans un rapport publié en janvier 2019. L’ONG avait aussi dénoncé l’emprisonnement de plusieurs activistes sur des «bases peu crédibles».
Les troubles post-électoraux ont sonné comme un reflet des clivages et problèmes sociaux évoqués tantôt. La victoire de Ghazouani fortement contestée par l’opposition a suscité des manifestations populaires, réprimées par les forces de l’ordre qui avaient procédé à l’arrestation de plusieurs centaines de personnes.
Symbole du combat contre la discrimination, l’opposant et ancien exilé, Samba Thiam a été arrêté pendant plusieurs jours avant d’être relâché. Les lendemains d’élection ont aussi été marquée par l’arrestation des journalistes Moussa Seydi Camara et de Ahmedou Ould al-Wadea, respectivement directeur de l’hebdomadaire ‘’La novelle expression’’ et présentateur à la chaine locale ‘’Al Mourabitoun’’.
Figure bien connue de la presse mauritanienne, Camara a été arrêté et détenu du 26 juin au 03 juillet 2019. Alors que Moussa Seydi Camara sortait de prison, son confrère Ould Al Wadea, prenait le même jour le chemin inverse, Selon un article de globalvoices, on a plus de nouvelles de AhmedouOuld al-Wadea depuis et, comme pour Camara, le motif de son arrestation n’est pas rendue public.
La présidentielle du 22 juin qui devait consacrer une alternance pacifique à la tête de l’Etat a donc plutôt laissé place à un chaos qui a vu le pouvoir renouer avec les méthodes martiales d’antan.
En plus de l’arrestation des partisans de l’opposition, le gouvernement a procédé à une coupure d’Internet dès le lendemain du vote. Selon des journalistes mauritaniens contactés par Ouestaf News, le retour à la normal d’internet a eu lieu dans la journée du 03 juillet, soit dix jours de coupure.
Ghazouani, un clone d’Aziz ?
Souvent présenté comme un «fidèle» de son prédécesseur, Mohamed El Ghazouani reste tout de même un homme méconnu de ses compatriotes. «L’ensemble de l’opposition aurait alors fait bloc autour d’un candidat unique, qui l’aurait forcément emporté, Ghazouani n’est vraiment pas populaire », estime la présidente de l’Organisation mauritanienne des droits de l’Homme, Fatima Mbaye, citée par JeuneAfrique.
Prudence ou méfiance ? Ghazouani qui sera investi le 02 août 2019, n’a pas fait la moindre déclaration publique depuis la proclamation des résultats officiels. « En tant que président élu, il n’est même pas sorti pour apaiser les choses durant les manifestations post-électorales sans compter qu’il a refusé de parler aux journalistes durant la campagne électorale», déplore M. Diagana.
Titulaire d’un master en Administration et sciences militaires, Ghazouani a ensuite été formé au Maroc à l’académie militaire de Meknès, une école aussi fréquenté par son prédécesseur et mentor Mohamed ould Abd el Aziz.
Ensemble, ils ont en 2008 organisé le coup d’Etat contre le président démocratiquement élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi. En 2005, déjà Ghazouani faisait partie du Conseil militaire qui a chassé du pouvoir le président Maaouya Ould Sid’ Ahmed Taya.
Mais pour le politologue Babacar N’diaye, rien n’écarte dans le moyen terme un scénario à la Putin (Vladimir Putin, le président russe). «Rien ne garantit que Ghazouani fera deux mandats et Aziz peut revenir même dans cinq ans», estime Babacar N’diaye. Un scénario possible puisque l’ancien président n’écarte pas la possibilité d’un retour aux affaires.
En tant que chef de l’Etat, le général Ghazouani sera attendu au tournant sur les problèmes politico-sociaux qui minent le pays, notamment la question de l’esclavage et celle de l’égalité, des questions qui restent entière. Certains analystes craignent l’éclatement d’une crise si les challengers de Ghazouani persistent à contester les résultats des urnes.
Arrivée en seconde position avec 18,58% des voix, le négro-mauritanien, qui s’est fait connaitre à travers son combat contre l’esclavage, Biram Dah Abeid. Élu député lors des dernières législatives, il a amélioré son score de 11,91 points par rapport à sa première participation à l’élection présidentielle en 2014.
Une « percée » qui selon Babacar Ndiaye montre que son discours «anti-esclavagiste» et «anti-discrimination» est en train de prospérer et qu’il faudra compter encore avec lui lors des prochains rendez-vous électoraux.
Plusieurs fois emprisonné pour son militantisme, M. Dah Abeid est suivi par l’ex-Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar 17,87% et par le journaliste Baba Hamidou Kane (8,71%).Mohamed Ould Mouloud et le candidat indépendant Mohamed Lemine El-Mourteji El-Wavi ferment la marche avec respectivement 2,44% et 0, 40% des voix.
Le total des voix des opposants leur donne un peu moins de la moitié de l’électorat. Une manière de dire que la marge de manœuvre de Ghazouani sera de loin plus réduite que celle de son prédécesseur.
MN/ts
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