Ouestafnews – Depuis le 1er juillet 2023, le coût de l’énergie a subi une hausse de 10 % annoncée par le Ministère des mines, du pétrole et de l’énergie. Même si la mesure est dite « ciblée » et « maîtrisée », elle restreint les possibilités d’accès universel à l’électricité et porte en elle des risques de mécontentement au sein des couches défavorisées de la population.
Itratou 2. Quartier d’une banlieue à la périphérie d’Abidjan. Ici résident Lamine Doumbia, conducteur de taxi et sa petite famille. « Nous dormons la plupart du temps dans le noir. Notre quartier est un peu reculé, l’électricité qu’on a ici est transportée sur des poteaux de fortune que nous-même avions implantés. Et pour une seule ligne, nous sommes plus de sept ménages raccordés », explique le conducteur.
Ce quartier sombre « fréquemment » dans le noir à cause des coupures intempestives d’électricité et des difficultés des habitants à « payer les frais d’abonnement » au réseau électrique, explique Ouedraogo Salif, résident du quartier.
A Boribana, bidonville situé dans la commune abidjanaise d’Attécoubé, une situation identique perdure. « Ici c’est un compteur d’électricité pour au moins cinq ménages, voire plus », confie Isidore Yao, un habitant. Le coût de l’abonnement fixé par la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), la société ayant le monopole national de la distribution et de la commercialisation de l’électricité en Côte d’Ivoire, « est très élevé » pour Isidore Yao qui peine déjà à boucler ses fins de mois. « 150 à 200 mille francs CFA pour être raccordé, c’est quasi impossible pour moi qui gagne environ 35 000 FCFA par mois », désespère-t-il.
Dans plusieurs coins populaires de la capitale ivoirienne, c’est le même décor, les mêmes complaintes. La plupart des habitants, débrouillards qui s’activent au quotidien dans le secteur informel, l’absence de revenus à la fois fixes et substantiels constitue un frein pour se procurer « ce luxe » d’avoir un compteur CIE individuel.
L’alternative c’est donc le recours à un abonnement collectif pour ne pas vivre dans le noir en famille.
C’est dans ce contexte d’un accès déjà limité à l’électricité que l’Etat de Côte d’Ivoire a décidé de procéder à une hausse de 10 % sur le tarif de l’électricité.
Incidence non maîtrisée
Pour atténuer la portée de cette hausse du coût de l’électricité dans l’opinion, la note du Ministère en charge de l’Energie indique que 89 % des abonnés de la CIE, soit 3 340 000 clients, ne sont pas touchés. Seuls 11 % des abonnés sont concernés, soit 412.000 ménages : ceux dont la consommation atteint 15 ampères et plus, les abonnés en mode triphasé, les professionnels et les industriels (moyenne et haute tension).
En 2019, selon la direction générale de l’énergie, la consommation d’électricité se répartissait selon la grille suivante en Côte d’ivoire : les ménages (36,6 %), les services (30,6 %), les industries minières et manufacturières (28,2 %) et le secteur de l’agriculture, ainsi que d’autres secteurs non spécifiés (4,6 %).
Si officiellement les abonnés aux tarifs domestiques, situés entre cinq et dix ampères, ne subissent directement aucune hausse, ils pensent quand même aux effets induits par la hausse.
« Les industriels et entreprises sont principalement frappés par cette mesure. Il s’en suivra inévitablement une augmentation substantielle des prix de produits et services », argumente Fofana Ibrahim, un agent de l’Etat.
Une réaction soutenue par Boulou Françoise, une vendeuse de chaussures et d’articles divers dans la commune d’Adjamé pour qui « rien ne se fait sans électricité. Dès qu’ils ont annoncé l’augmentation, mon fournisseur m’a signifié que les prix des articles changeront », explique-t-elle.
Du côté des autorités, les objectifs sont ailleurs et le discours différent. On se félicite des grands progrès dans l’accès des populations à l’électricité.
Le Président Alassane Ouattara, dès sa prise de pouvoir en 2011, a lancé un vaste programme de raccordement électrique de tous les villages de plus de 500 habitants. Selon les chiffres de la Direction Générale de l’Energie (DGE), les résultats obtenus sont significatifs : un taux d’accès à l’électricité de 95 % au niveau national en 2022, un taux de couverture d’environ 85 % et un taux de desserte de 65 %.
Dans une de ses publications en date du 23 juillet 2020 et intitulée « le secret du succès électrique de la Côte d’Ivoire », la Banque mondiale, explique ces exploits par « l’implication du secteur privé et des soutiens financiers complexes ».
Cependant, ce volontarisme de l’Etat a un coût insupportable pour la Compagnie ivoirienne d’électricité. La hausse des tarifs vise donc à « sauver un secteur dont l’équilibre financier devient de plus en plus précaire », justifie Mamadou Sangafowa Coulibaly, le ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie.
Certains observateurs du secteur énergétique n’y voient, quant à eux qu’une simple « injonction » de la Banque mondiale, suite à un prêt accordé au pays.
Le Conseil national des organisations de consommateurs en Côte d’Ivoire (CNOC-CI) relativise. Son président, Marius Comoé, soutient que le bas niveau de l’eau dans les barrages a engendré une limite de la production hydroélectrique. Il pointe également du doigt « la fraude sur l’électricité qui occasionne chaque année un déficit financier énorme dans ce secteur stratégique. »
Jointe au téléphone par Ouestaf News, la présidente de la coopérative agricole Wobin, Sita Yao envisage de revoir les prix de ses produits une fois que la hausse des tarifs de l’électricité est effective. La coopérative Wobin est installée dans le nord de la Côte d’Ivoire où elle détient une unité de transformation de produits agricoles (noix de cajou, karité, arachides, maïs, mil et autres céréales).
Face aux craintes d’une inflation généralisée qui naîtrait de cette hausse des tarifs de l’électricité et afin de prévenir de possibles remous sur le front social, le gouvernement a pris les devants et engagé des négociations avec les industriels.
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