Alors que l’élection présidentielle doit se tenir le 29 juillet 2018, la question sécuritaire est revenue en force au cœur des débats depuis la découverte de plusieurs fosses communes dans le centre du pays. En juin 2018, Bamako, qui a pendant longtemps démenti les allégations de la société civile sur des cas d’exécutions extrajudiciaires sur des civils, a reconnu l’implication d’une partie de l’armée et a promis une enquête.
Dans cet entretien accordé à Ouestaf News, Ibrahim Maïga, chercheur à l’institut d’études de sécurité de Bamako, estime qu’il s’agit pour l’instant d’un premier pas qui doit par la suite à une enquête transparente qui doit permettre de punir les responsables.
Ouestafnews – Le gouvernement malien, qui a jusqu’ici démenti les exactions, a reconnu en moins d’une semaine l’existence de deux fosses communes au moins dans le centre du pays. Qu’est-ce qui peut expliquer ce revirement des autorités de Bamako ?
Idrissa Maïga – Il est vrai que jusque-là, le gouvernement malien a systématiquement nié toutes les allégations faisant état de l’existence et de la découverte de charniers ou de fosses communes, impliquant des personnels des Forces armées. Mais cette stratégie du déni ne pouvait perdurer devant la persistance de ces accusations, la publication de vidéos accablantes sur les réseaux sociaux et l’indignation de la société civile. C’est probablement la combinaison de ces facteurs qui explique son revirement. Cette reconnaissance n’est pourtant qu’un premier pas et il faudrait que le gouvernement aille plus loin en situant les responsabilités et en sanctionnant les auteurs de ces actes. C’est seulement à ce prix qu’il pourrait à l’avenir prévenir ce genre d’actes et gagner la confiance des populations.
Ouestafnews – Le ministère de la Défense a reconnu l’implication d’une partie de l’armée pour ce qui est des deux fosses communes découvertes à Mopti. Il a aussi annoncé l’ouverture d’une enquête. Que peut-on attendre de cette enquête confiée à un procureur militaire?

I.M – Difficile de se prononcer sur cette question au regard des nombreuses enquêtes déclaratives sans réelle suite. Cela étant, le gouvernement est conscient que ces affaires nuisent grandement à sa crédibilité mais surtout à sa légitimité. Il ne faut pas oublier que la situation dans le centre résulte aussi d’une révolte sociale d’une partie de la population dirigée contre les structures représentants de l’Etat ainsi que certaines autorités traditionnelles. Ce qui s’est passé à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti, est suffisamment grave pour qu’il y ait un avant et un après 19 juin. L’ouverture d’une enquête ne doit pas juste être un exercice de communication visant à apaiser le climat. Elle doit absolument être menée jusqu’au bout et dans la transparence pour mettre fin à l’impunité. L’Etat doit se mettre du côté des victimes.
Ouestafnews – A quelles stratégies le gouvernement peut-il recourir pour pacifier le centre du pays où l’on trouve des milices d’autodéfense et des djihadistes ?
I.M – Il n’y a pas de solution facile ou encore immédiate à la situation dans cette partie du pays. La professionnalisation de la violence et l’émergence de groupes d’auto-défense est un symptôme de la défaillance de l’Etat à assurer la sécurité des populations et à pacifier les rapports sociaux. Quant aux mouvements qualifiés de djihadistes, il est avéré que leurs stratégies de recrutement reposent en partie sur les failles et les limites de la gouvernance étatique. Ainsi, les missions de bons offices dépêchées sur le terrain après chaque incident ne peuvent pas être une solution durable. Une résolution de cette crise passe par un diagnostic sans complaisance et surtout l’établissement d’un nouveau contrat social entre l’Etat et les populations. L’obsession de la restauration de l’autorité de l’Etat doit laisser place à la bataille de l’utilité de l’Etat.
Ouestafnews – Quel impact la découverte de ces tueries peut-elle avoir sur l’élection présidentielle du 29 juillet prochain?
I.M- Elle amplifie les doutes et les incertitudes sur la tenue de l’élection présidentielle dans cette région du Mali dont une partie de la population avait été privée de son droit de vote lors des communales en 2016. Le scrutin de juillet 2018 est déjà confronté à plusieurs défis liés à l’organisation matérielle, à la volatilité de la situation sécuritaire mais aussi à la montée des tensions communautaires. Il semble y avoir un sentiment de résignation au sein de la classe politique malienne mais plus largement au sein de la population sur le caractère « imparfait » du scrutin de juillet.
MN/ad