Ouestafnews – Le 6 novembre 2021, Mariam Kaïdama Sidibé décède à Tunis. Avec elle, c’est aussi tout un symbole qui disparaît. Mme Sidibé reste, à ce jour, la seule femme à avoir été Première ministre au Mali, la plus haute fonction occupée par une femme dans le pays depuis son indépendance. C’était en 2011. Plus d’une décennie après, les femmes maliennes restent largement sous représentées dans les instances de décision. Pourquoi ? Ouestaf News a essayé de comprendre.
« Les femmes maliennes, comme toutes les autres de la sous-région africaine, ne sont pas représentées à hauteur de leur souhait dans les instances de prises de décisions ». Les propos sont ceux de Bintou Founé Samaké, ancienne ministre de la Promotion de la Femme du Mali entre octobre 2020 et juin 2021. Pour expliquer cette situation, l’ex-ministre accuse le système du « patriarcat », largement répandu, dans les sociétés ouest africaines.
Aujourd’hui présidente de la Wildaf (un réseau d’associations et d’organisations de protection et de promotion des droits des femmes créé en 1995), cette juriste engagée estime que la société malienne attend plus des hommes que des femmes, lorsqu’il est question de prise de décisions. Sans hésiter, elle pointe un doigt accusateur vers les « traditions et coutumes ».
Le docteur Fodé Moussa Sidibé, sociologue et enseignant à la faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’université de Bamako avance l’hypothèse que la société a hérité du patriarcat avec les influences extérieures.
Un évènement majeur qui symbolise ce poids des coutumes et traditions et dont nombre de Maliens se souviennent : le projet de vote d’un nouveau code de la famille en 2011.
La première version du texte votée par l’Assemblée nationale avait suscité une levée de bouclier des organisations religieuses. Le texte élargissait les droits aux femmes, notamment sur l’héritage ou sur l’âge légal du mariage porté à 16 ans pour les femmes et à 18 ans pour les hommes. Le projet finit par être voté en décembre 2011, mais amputé de ces propositions initiales.
« Souvent dans les familles, surtout polygames, il n’y a pas égalité et équité de traitement entre les deux sexes », dénonce l’ancienne ministre.
Si elles sont présentes et actives dans tous les secteurs socio-économiques, « leur poids démographique et leur contribution au processus de développement et de création de richesses ne se reflètent pas à travers leurs positions dans les instances de prise de décisions », renchérit Sina Damba Maïga, présidente fondatrice du Réseau des femmes africaines ministres et parlementaires (Refamp).
Chiffre à l’appui, Mme Maïga qui est aussi première vice-présidente du Comité directeur du CNID-FYT (Congrès national d’initiatives démocratiques, un parti proche des autorités de la transition) déplore que la présence des femmes reste minimale dans les instances de décision y compris dans les organes de transition qui dirigent actuellement le Mali, pays de 21,6 millions d’habitants en 2022 dont 50,4 % de femmes, selon les projections démographiques de la direction nationale de la population.
Selon Mme Maïga, les femmes occupent, respectivement, 21, 26 et 20 % des postes au gouvernement de transition, au Conseil national de transition et à la Commission vérité, justice et réconciliation. Leur présence est également minime dans les autres administrations, que ce soit au niveau central ou local.
Des us et coutumes à la peau dure
Les us et coutumes sont invoqués pour expliquer le faible niveau d’éducation et le taux élevé d’analphabétisme chez les femmes. Deux phénomènes qui les empêchent de prétendre au sommet à armes égales avec les hommes.
Pourtant, selon l’islamologue, Alhassane Bah, il n’y a pas de texte religieux musulman formel qui interdit aux femmes d’occuper des postes de responsabilités. « C’est plutôt, la culture arabe, notamment dans l’école salafiste, une tendance conservatrice, qui limite la responsabilité des femmes », estime celui qui est secrétaire général adjoint au Mali du Centre islamique de formation et de documentation. C’est une organisation d’intellectuels musulmans évoluant dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest
Le religieux qui se revendique d’une « tendance religieuse moderne » souligne que les conservateurs mettent en avant des hadiths et des récits pour expliquer leur position.
Cette attitude n’est pas de nature à promouvoir la situation de la femme, même dans l’éducation. Selon un article du bureau de l’Unicef Mali publié en 2020, 73.8 % des inscrits dans l’enseignement primaire de base sont des filles, contre 85.8 % pour les garçons. Cette proportion de filles scolarisées chute à 15 %, contre 21 % chez les garçons dans l’enseignement secondaire.
A tout cela est venue s’ajouter la crise multidimensionnelle que connait le Mali depuis 2012. Cette crise a « anéanti les efforts des femmes », selon la vice-présidente du CNID-FYT.
D’une autre génération que les deux ministres précitées, Adam Dicko, directrice exécutive de l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD), tient un discours différent dans le ton mais déplore les mêmes tares. Devenue une figure influente de la société civile malienne, elle dénonce un contexte hostile à l’affirmation d’un leadership féminin.
Selon elle, il est difficile d’être leader, mais deux fois plus pour une femme. « On attend d’elle qu’elle soit mariée ou qu’elle soit une bonne copine. Elle participe à une réunion mais les autres passent leur temps à la mater au lieu de l’écouter. Il arrive qu’on entende des appréciations sur son physique plutôt que sur la qualité de son discours », s’indigne la jeune activiste qui trouve ces attitudes « frustrantes ».
Habituée des médias et des réseaux sociaux, Adam Dicko regrette les prises à partie « misogynes » dont elle et d’autres femmes publiques se disent victimes. « Il faut beaucoup de courage pour supporter ces attitudes qui peuvent être violentes », explique-t-elle.
« Avancées timides »
Des avancées « timides » sont pourtant saluées par certains groupements féminins, en particulier la loi 2015/052 du 18 décembre 2015 sur la promotion du genre dans les fonctions nominatives et électives qui a renforcé la moyenne de présence des femmes dans les instances décisionnelles.
L’ONU Femmes au Mali, souligne dans un document d’activités de 2022 que de 9,5 % en moyenne au niveau national entre 2013 et 2018, la représentativité des femmes a progressé dans certaines institutions aujourd’hui. L’organisme onusien cite l’exemple de la Cour suprême où elles sont 41,02 %.
Cependant, la loi de 2015 qui « accorde 30 % à l’un ou à l’autre sexe » sur les postes électifs ou nominatifs n’est pas toujours appliquée partout, explique Bintou Founé Samaké.
« Pour les nominations, la loi n’est pas effective parce que tout dépend de l’initiative de la personne qui nomme. Il n’y a pas de mécanisme pour influencer sur le choix pour le moment », déplore-t-elle.
« Il faudrait susciter la volonté politique comme en 2016 où une dame à la tête de la Cour constitutionnelle avait dit qu’aucune liste ne serait validée tant que les 30 % de représentation féminine ne sont pas pris en compte », rappelle Bintou Founé Samaké.
Les élections municipales de 2016 organisées après l’adoption de la loi sur la promotion du genre de 2015, ont permis une hausse du nombre de conseillères municipales. Elles sont passées de 927 sur 10.772 en 2009 à plus de 2.800 sur un total de 11.196 conseillers en 2016.
Cet épisode historique du scrutin de 2016, comme il y en a eu d’autres par le passé, fait vivre l’espoir chez les militantes de la cause des Maliennes, comme le rappelle Mme Sina Damba Maïga : une première bachelière en 1949, une députée à l’indépendance du pays, une femme Première ministre de 2011 à 2012, une présidente de la Cour constitutionnelle de 2015 à 2020. De bien maigres acquis mais qui inspirent les plus jeunes. Même si le chemin à parcourir reste long et rude.
MT/md/ts
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