Ouestafnews- L’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo a été acquitté le 15 janvier 2019 des charges de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI). Une libération après huit ans d’incarcération qui remet sur le tapis les méthodes et la légitimité de la CPI.
«La Chambre par une décision majoritaire a décidé que l’accusation n’a pas fourni la preuve de la culpabilité des accusés. Elle accorde l’acquittement à M. Gbagbo et M. Blé Goudé», a déclaré le président de la Chambre de première instance de la CPI, Cuno Tarfusser. La Chambre a aussi ordonné la « libération immédiate » des deux accusés.
Pour les avocats de Gbagbo, cette libération sonne comme «une victoire de la CPI». «Les juges ont fait preuve de professionnalisme et d’indépendance. Les juges de la CPI ont aujourd’hui contribué à bâtir sa légitimité», a salué l’avocat principal de Laurent Gbagbo, Me Emmanuel Altit. Mais derrière cette sortie diplomatique, se cache un sérieux revers d’une Cour, qui en moins de deux ans, a dû libérer trois de ces «prisonniers» les plus emblématiques.
Le 08 juin 2018, le leader politique congolais Jean Pierre Bemba était lui aussi été acquitté par la CPI, après 10 ans de détention préventive. M. Bemba était accusé de «crimes contre l’humanité» et de «crimes de guerre», lors du conflit en Centrafrique.
Laurent Gbagbo et Jean Pierre Bemba ont connu cumulativement 18 ans de détention, avant d’être finalement acquitté, d’où les réserves que nourrissent certains observateurs sur les méthodes d’enquêtes de la Cour.
Pour Sadikh Niass, le secrétaire général de la Rencontre Africaine de Défense des Droits de l’Homme (Raddho), il faut reconnaître que la CPI notamment le bureau du procureur a péché au niveau des poursuites.
Concernant le dossier Gbagbo, «Il y a eu une faiblesse des enquêtes qui n’ont pas apporté des preuves irréfutables», a déclaré M. Niass, dans un entretien avec Ouestaf News.
Dans l’affaire Gbagbo, la défense a la possibilité de faire appel de la décision d’acquittement prononcée par la chambre de première instance de la CPI.
Coordonnateur de l’ONG Forum du Justiciable (basée à Dakar), Babacar Ba, pense qu’il est de la responsabilité de la défense de poursuivre l’affaire même s’il faut saluer au nom des «principes», le jugement rendu à l’encontre de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé. «Ce qui s’est passé lors de la crise ne doit pas rester impuni, il faut qu’il y ait un coupable», a plaidé M. Bâ. La crise post-électorale en Côte d’Ivoire a fait 3000 morts, selon un bilan officiel.
La CPI et l’Afrique
L’instar M. Bâ, d’autres observateurs, notamment des juristes parlent également de méthodes longues et coûteuses qui constituent une résultante de la faiblesse des systèmes judiciaires nationaux africains. Ce qui implique le recours à une juridiction complémentaire comme la CPI.
La libération de Gbagbo va encore exacerber les critiques contre la CPI. Sa légitimité et la neutralité de ses actions ont fait l’objet de nombreuses objections, notamment en ce qui concerne sa fixation sur le continent africain, son terrain de chasse favori comparé à d’autres parties du monde.
La CPI en prononçant l’acquittement de Laurent Gbagbo va sans doute attiser davantage les moqueries de ses détracteurs. L’issue de l’affaire Gbagbo et celle du Congolais Jean Pierre Bemba, en quelques mois d’intervalles ne plaident aucunement en faveur du «sérieux» du travail de cette institution.
Même s’il est d’avis qu’un «discrédit total» ne doit pas être jeté sur la CPI à cause des cas Gbagbo et Bemba, Sadikh Niass de la Raddho, pense que les Etats africains gagneraient aussi à renforcer leurs systèmes judiciaires pour avoir de moins en moins recours à la justice internationale.
La tentation du retrait
Les affaires courantes ou vidées à la CPI concernent essentiellement des africains. Depuis sa création en 1998 par le biais du Traité de Rome, cette juridiction a ouvert dix enquêtes dont neuf en Afrique.
Le mandat d’arrêt international émis en 2009 contre le président soudanais (dont le pays n’a pas signé le statut de Rome) Omar El Béchir, est toujours de rigueur. Le président El Béchir, suspecté par la CPI de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide lors de la guerre du Darfour.
L’actuel président kenyan, Uhuru Kenyatta, avait aussi été ciblé par la Cour après les violences post-électorales de 2007. Cette démarche de la CPI contre le chef de l’Etat en service, à un moment donné, a ulcéré les dirigeants de l’Union africaine. Finalement, les poursuites entamées contre le président kenyan ont été abandonnées.
Visé par une enquête sur de présupposés crimes contre l’humanité, le régime du président Pierre Nkurunziza au Burundi a annoncé en octobre 2016 son retrait de la CPI. Il s’agit du premier pays africain à quitter la CPI. En mars 2017, l’Afrique du Sud a elle aussi officiellement annoncé son retrait.
Ce que le président sud-africain, Cyril Ramaphosa avait justifié en ces termes : «L’intention de se retirer de la CPI doit donc plutôt être comprise comme une critique de la façon dont fonctionne cette institution et non pas un rejet de ses valeurs.»
Alors dirigé par l’autocrate Yahya Jammeh, la Gambie avait été le troisième pays a annoncé son départ, mais le nouveau président démocratiquement élu, Adama Barrow est revenu sur cette décision.
La CPI avait pour mandat de «responsabiliser les dirigeants politiques» en jugeant les individus ayant commis un génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes d’agressions. Cependant, des pays comme les Etats Unis, ne sont pas membres du Traité de Rome qui a institué cette juridiction internationale et refusent que leurs ressortissants y soient jugés. Ainsi qu’Israël, qui estime que la CPI, n’a pas «autorité sur la question palestinienne».
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