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Guinée : la fin de l’impunité ?

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Ouestafnews – La justice guinéenne a finalement relevé le défi de tenir le procès des évènements du « 28 septembre », après 13 ans d’atermoiements. Au-delà des verdicts attendus, c’est sa capacité à éradiquer l’impunité en haut lieu qui est en jeu.

Mohamed Aly Conté a 33 ans quand, en septembre 2009, il trouve la mort au stade du 28 Septembre de Conakry. Des dizaines de milliers de personnes y sont rassemblés pour s’opposer au projet du chef de la junte militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, de se présenter à l’élection présidentielle programmée l’année suivante.

La répression des forces de sécurité contre la manifestation pacifique tourne à la boucherie : plus de 150 morts, des milliers de blessés, plus d’une centaine de femmes violées et de nombreuses autres personnes portées disparues, selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies.

Treize ans plus tard, le procès des 11 auteurs présumés du « septembre noir » de Conakry a commencé. Outre Moussa Dadis Camara, revenu volontairement de son exil burkinabè pour « laver son honneur », son ex-aide de camp Aboubacar Toumba Diakité, son ancien garde du corps Moussa Tiegboro Camara, son collaborateur Claude Pivi, entre autres, sont attraits à la barre.

Asma Diallo, mère de Mohamed Aly Conté, salue l’aboutissement d’une « lutte acharnée pour une justice de vérité » en Guinée. Présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa), elle y voit un pas de franchi contre l’impunité.

« La tenue de ce procès réclamé pendant plusieurs années est un moment de vérité que nous vivons et apprécions à sa juste valeur », affirme, le ton soulagé, Asma Diallo interrogée par Ouestaf News.

Du point de vue de la redevabilité, Kabinet Fofana, directeur de l’Association guinéenne de sciences politiques, retient « un procès d’espoir et d’espérance rendu possible par la forte volonté politique des autorités guinéennes ».

Car, pour une fois, c’est l’Etat lui-même qui traîne devant les tribunaux des personnalités civiles de haut rang et des officiers supérieurs de l’armée, fait remarquer cet analyste politique à Ouestaf News.

Selon Alassane Seck, président de la Ligue sénégalaise des droits humains (Lsdh) qui dispose d’une antenne en Guinée, « il est salutaire que les moments douloureux vécus par les victimes et leurs familles, septembre 2009, soient jugés devant un tribunal sous supervision de la communauté internationale et des ONGs locales et étrangères ».

Un pas contre l’impunité

C’est grâce à un protocole d’accord signé avec la Cour pénale internationale (CPI), comportant une assistance technique et des partages d’informations, que l’Etat guinéen a pu organiser le procès des évènements du 28 septembre. Les audiences auraient pu tout autant avoir lieu à la Haye, siège de la Cpi. Pour les acteurs guinéens, l’essentiel est que les personnes ayant pris part à la répression soient jugées.

« Ce procès est une avancée contre l’impunité. Il rappelle à ceux qui sont aux affaires qu’ils peuvent toujours être rattrapés par l’histoire », souligne Kabinet Fofana.

Pour la Guinée, la portée politique de cet événement inédit vient s’insérer dans une histoire post-indépendance émaillée de tragédies. Celles-ci sont en grande partie liées aux périodes de terreur des 26 ans de pouvoir de son premier président, Ahmed Sékou Touré (1958-1984).

Sous son règne, de nombreux opposants furent accusés de fomenter des complots contre le régime dans un contexte marqué par la rupture de toutes relations entre la Guinée et la France, ancienne puissance coloniale. Ils finiront, pour nombre d’entre eux, au camp Boiro, considéré comme le symbole de la répression du régime de Sékou Touré.

Les récits et témoignages collectés par des chercheurs guinéens, étrangers et des organisations de défense des droits humains livrent des statistiques effrayantes dont une de taille : 50.000 prisonniers auraient perdu la vie au Camp Boiro. Le camp a fermé ses portes en 1984 à la mort du président Sékou Touré.

Depuis plusieurs années, les victimes présumées de l’«Auschwitz» guinéen – dénommé ainsi par l’écrivain Tierno Monénembo – sont la première association constituée en Guinée pour exiger procès et justice contre le régime de Sékou Touré et ses figures encore en vie. Elles ont été suivies par celles du régime de Lansana Conté (1984-2008). Mais leurs histoires s’arrêtent là, du moins pour le moment.

A Conakry, le procès de Moussa Dadis Camara et Cie se déroule comme prévu, retransmis par les médias et bénéficiant d’un puissant engouement des Guinéens.

« La qualification de + crimes contre l’humanité + qui sonne bien aux oreilles de la communauté internationale et les récits sur les viols contre les femmes nous ont aidés à obtenir ce procès », reconnait Asma Diallo de l’ONG Avipa.

En même temps, ajoute Kabinet Fofana, les militaires du Comité national du Redressement pour le Développement (CNRD, actuellement au pouvoir), acculés par les ONG internationales qui dénoncent la répression et des contre-pouvoirs locaux comme le Front national pour la Défense de la Constitution (FNDC), avaient eux aussi besoin de redorer leur blason.

Cependant, la probabilité que les régimes de Sékou Touré et de Lansana Conté soient confrontés à leurs crimes présumés semble mince pour ne pas dire nulle. Kabinet Fofana, au-delà des campagnes des associations de victimes, compte sur un possible effet boule de neige qui réconcilierait davantage la Guinée avec son passé.

Entre prudence et optimisme

Aujourd’hui, la lutte contre l’impunité générale en Guinée peut capitaliser sur le procès contre Moussa Dadis Camara et son régime pour toucher à d’autres affaires. Un nouvel ordre international avec des dispositions élargies à différentes catégories de crimes pourrait en être le levier.

En tout cas, en dehors de la Guinée, certains y croient, en s’appuyant sur ce que d’aucuns considèrent comme des « avancées » dans la mise en œuvre d’une justice internationale.

« Le procès contre Hissein Habré s’est tenu à Dakar vingt ans après sa chute au Tchad » rappelle Alassane Seck de la Ligue sénégalaise des droits humains, tout en mettant en exergue qu’il y a « des crimes imprescriptibles qui ne mettent plus jamais leurs auteurs à l’abri d’un retour de bâton ».

A en croire Asma Diallo, la traduction de Dadis Camara et de ses hommes devant un tribunal guinéen « n’est qu’un commencement pour éradiquer petit à petit l’impunité qui a assez duré». Le but est de nettoyer l’appareil d’Etat et faire de sorte que les exactions contre les populations ne se répètent plus jamais, ajoute la présidente de l’Avipa.

Tous les acteurs du procès des évènements du 28 septembre saluent l’engagement personnel du lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya, le chef de la junte au pouvoir, dans la concrétisation d’une demande nationale ignorée par le régime d’Alpha Condé. Mais l’idée qu’il aille encore plus loin, en particulier avec les revendications des victimes du camp Boiro et du régime de Conté, n’est pas gagnée d’avance.

« Ce type de procès qui se réfère à des régimes politiques anciens est extrêmement sensible » admet Kabinet Fofana qui craint une « fracture mémorielle » qui aurait des répercussions sur le présent.

MD/fd/ts


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