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Guinée : la justice, un corps malade en quête de crédibilité

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OuestafnewsDe Sékou Touré à Mamadi Doumbouya, la justice guinéenne souffre d’un profond manque de crédibilité. Confrontée à la corruption, à l’arbitraire, aux lenteurs et mal dotée en infrastructures, elle est aussi soupçonnée d’être aux ordres des politiques. Les réformes entamées sous Alpha Condé étaient jugées prometteuses. Jusqu’à son départ en septembre 2021 et bien après, peu de progrès. Radioscopie d’une justice mal en point avec Ouestaf News.

« Quand je reçois des instructions, je parle avec le juge, c’est mon habitude. On m’a dit : faites-en sorte qu’il reste en prison jusqu’après les élections ». Ces propos sont tenus en octobre 2021 par l’ancien procureur près le tribunal de Dixinn, Sidy Souleymane Ndiaye parlant de Foniké Mengué, coordinateur national du FNDC (Front national pour la défense de la constitution) et, à l’époque, bête noire du pouvoir d’Alpha Condé. L’actuel ministre de la Justice, Charles Wright qui était alors le juge en charge du dossier avait enregistré les dits propos et l’audio a « fuité » dans les médias.

Alpha Condé, arrivé au pouvoir par les urnes en 2010 et 2015, a été destitué par un putsch militaire le 5 septembre 2021, après avoir été réélu pour un 3è mandat controversé et contesté en octobre 2020.

Que ce soit sous le magistère d’Alpha Condé ou du colonel putschiste, Mamadi Doumbouya, les Guinéens, notamment des acteurs de la société civile, font les frais des dysfonctionnements de la justice. En prison depuis le 30 juillet 2022, Foniké Mengué et Ibrahima Diallo ont été libérés le 10 mai 2023, suite à une médiation des chefs religieux auprès des autorités et les forces vives qui réunissent l’opposition et la société civile. Toutefois, le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo a dit que leur libération ne met pas fin aux poursuites.

Le Front national pour la défense de la constitution (FNDC), dissout par le gouvernement en août 2022, les considérait jusque-là comme des « prisonniers personnels » du colonel Mamadi Doubouya.

En mars 2019, les habitants des quartiers Kaporo Rails, Kipé 2 et Dimesse (en banlieue de Conakry) ont été déguerpis et leurs maisons démolies par le gouvernement. Or, ces « victimes » dont certaines détenaient des titres de propriété délivrés par les services de l’habitat, avaient également obtenu une décision de justice suspendant  les opérations de déguerpissement.

« Il y a eu de la pression sur la justice », dénonce  Samba Sow, porte-parole du collectif des victimes. M. Sow ne comprend pas que la justice qui leur avait donné raison en suspendant les opérations de déguerpissement se ravisse aujourd’hui pour les chasser de leurs toits et les condamner, en plus, à une amende de 500 millions GNF (35 535 128 CFA).

Certains acteurs politiques aussi ont été frappés par les décisions controversées de la justice guinéenne. En  février 2022, pour récupérer des terrains dits du domaine de l’Etat, le pouvoir de transition  a sommé  l’opposant Cellou Dalein Diallo de libérer la maison qu’il occupe. Celui-ci avait saisi la justice avec « toute les preuves de propriété ». Alors que la procédure de vérification est engagée, l’Etat a démoli son domicile et construit une école sur les ruines.

Aux yeux de nombreux Guinéens, les histoires rapportées ci-dessus montrent que les suspicions sur la justice guinéenne et son fonctionnement sont légitimes, au vu des traitements judiciaires qui leur sont appliqués.

Après le coup d’Etat militaire de septembre 2021, le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya avait rencontré les magistrats. Ceux-ci lui dirent ouvertement que « l’exécutif s’immisçait dans les affaires judiciaires de façon continue » et demandèrent que cessent ces pratiques, rapporte Néné Hawa Diallo, porte-parole de la délégation de magistrats. Mme Diallo avait également plaidé, auprès du Colonel, pour la dotation des juridictions en crédit de fonctionnement, la formation continue des magistrats et la garantie de l’indépendance de la justice.

En réponse, le chef de l’Etat s’était engagé à faire de telle sorte que la justice soit la boussole de la transition. A-t-il tenu parole ?

Selon Souleymane Bah, président de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), le pouvoir militaire viole la charte qu’elle a elle-même rédigée en « interdisant » les manifestations. Une « atteinte grave » aux droits de l’homme, estime-t-il. Des citoyens continuent d’être détenus sans procès, « ce qui est inacceptable » dans un pays où les textes en vigueur suffisent pour protéger tout le monde, souligne le président de l’OGDH.

Pour Me Hamidou Barry, avocat et enseignant-chercheur à l’université de Sonfonia à Conakry, tout n’est pas noir cependant. Même s’il reconnait  que « l’application des textes fait défaut », Me Barry  estime que « la Guinée est en train de construire sa justice ». Pour l’enseignant-chercheur, le gros du problème reste l’indépendance d’une justice sous influence de l’Exécutif et du pouvoir financier, mais aussi des pressions sociales et familiales que subissent les magistrats.

Mohamed Diawara, président de l’Association des magistrats de Guinée à l’occasion du nouvel an 2023, a invité  ses confrères « à s’inscrire dans la dynamique d’une justice plus juste, … respectueuse des valeurs, de dignité, d’éthique et de la déontologie du métier ».

Justice corrompue et mal dotée

Soudoyer  des magistrats en échange de faveurs judiciaires est une réalité connue de beaucoup de Guinéens. En juin 2020, un sondage d’Afrobaromètre (une étude périodique sur les sujets économiques, politiques et sociaux en Afrique) révèle que 56 % des Guinéens pensent que les magistrats sont corrompus. Un facteur qui expliquerait que la plupart des conflits entre citoyens se résolvent chez les chefs coutumiers.

Une étude publiée par la Commission provisoire de réflexion sur la réconciliation nationale datant de juin 2016 révélait que 80,76 % des personnes interrogées estiment que la justice guinéenne est corrompue.

Mohamed Ali Thiam, magistrat à la retraite, reconnait qu’on lui a proposé de l’argent à plusieurs reprises, mais tente de se justifier : « plusieurs personnes le font parce qu’elles pensent que vous manquez de fournitures de bureau. Est-ce de la corruption ou de la concussion, c’est une question d’interprétation ».

M. Thiam refuse toutefois de mettre tous les magistrats dans le panier. « Sur mille affaires jugées, il y en a peut-être cent sur lesquelles il y a du bruit. C’est comme à l’hôpital, il y a beaucoup de guéris, mais dès qu’il y a un mort, on dit que les médecins sont incompétents ».

Selon lui, le juge ne dit pas la vérité, il dit le « droit » car la vérité « c’est Dieu et les parties qui la connaissent », ajoute-t-il. C’est pourquoi nous disons toujours : « pour la manifestation de la vérité ».

La faiblesse de la rémunération des magistrats  était pendant des années utilisée comme prétexte pour justifier ou expliquer la corruption. Selon Human Rights Watch, le salaire moyen d’un juge était de 76 dollars US (environ 38.000 FCFA) par mois avant 2010. Mais cette situation s’est sensiblement améliorée avec la réforme de la justice en 2014 qui a revu les salaires à au moins 637.000 FCFA.

Malgré cette hausse exponentielle des salaires, les Guinéens n’ont pas réellement senti de différence, la justice se fait toujours désirer. Ce n’est pas une question de salaire, mais d’indépendance et d’intégrité, estime l’avocat, Me Thierno Souleymane Barry. Pour lui, les magistrats sont de loin les mieux payés des fonctionnaires. Il ne manque pas de souligner à ce sujet qu’un professeur d’université gagne « à peine 210 000 FCFA », soit le tiers du salaire d’un magistrat.

Manque de personnel

A côté de la corruption, le manque de personnel constitue un sérieux handicap pour le bon fonctionnement de la justice, même si la situation évolue. En 2021, le pays comptait environ 350 magistrats pour plus de 14 millions d’habitants. Un ratio d’un magistrat pour 40.000 habitant alors que la norme internationale se situe autour d’un magistrat pour 10.000 habitants.

Selon Me Djibril Kouyaté, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, en 2022, la Guinée ne compte que 380 avocats dont 41 inscrits au barreau et majoritairement installés à Conakry, la capitale. Le reste du pays se partage à peine 10 avocats. Cela donne un ratio d’un avocat pour 36.842 habitants.

Quant à l’administration pénitentiaire, elle ne disposait en 2019 que de 495 agents dont 101 femmes sur l’ensemble du territoire national, un ratio d’un agent pour 8 prisonniers, selon un document d’Avocats sans frontières France.  

Au manque de personnel, s’ajoute l’accès difficile des justiciables, et d’une insuffisance criarde d’infrastructures. Malgré la nouvelle carte judiciaire issue de la politique sectorielle (2014- 2024) en vigueur, la distance moyenne parcourue pour un justiciable est de 50 km, une distance importante pour qui connaît le réseau routier guinéen.

S’agissant des femmes, quelle que soit la nature des préjudices subis, elles s’adressent peu à la justice. Analphabètes, elles ignorent souvent leurs droits et le fonctionnement des cours et tribunaux. Et les coûts pour une action en justice, la crainte d’une stigmatisation sociale (notamment dans le cas de violences sexuelles) ne leur facilitent pas la tâche.

Réformes prometteuses…

C’est ce contexte qui avait d’ailleurs justifié les « états généraux » de 2011 qui ont permis d’élaborer un plan de réforme 2014-2024. Pour un meilleur accès à la justice, les cours d’assises ont été supprimées et les compétences des tribunaux de première instance étendues aux affaires criminelles, une aide juridictionnelle mise en place en attendant les textes d’application.

C’est la même réforme qui avait permis la hausse des salaires et une accélération dans le recrutement des magistrats, ce qui a permis de recruter 342 magistrats au total dont 62 femmes entre 2015 et 2021.

L’impact de ces réformes est réel, souligne le magistrat à la retraite, Mohamed Aly Thiam.  « Il y a eu plus de magistrats sanctionnés en quatre ans en Guinée que dans la sous-région en dix ans », dit-il. Pour compléter les réformes, depuis 2019 un Code de déontologie des magistrats et un statut de la magistrature avec des sanctions très sévères contre les magistrats véreux est entré en vigueur.

M. Yaya Boiro, Secrétaire exécutif du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui se réfugie derrière le devoir de réserve pour ne pas fournir de détails,  signale quand même que 42 dossiers impliquant de magistrats  dans des faits entravant les règles étaient sur la table du CSM. D’après lui, il y a eu des sanctions.

Ironie de l’histoire et signe de la persistance de l’immixtion de l’exécutif dans les affaires du pouvoir judiciaire d’un gouvernement à l’autre : le 29 mars 2022, l’actuel ministre de la justice, Charles Wright, alors procureur général a été suspendu par le ministre de l’époque pour « faute disciplinaire », après avoir menacé de poursuivre le haut commandant de la gendarmerie. Devenu ministre à son tour, le même Charles Wright décide de suspendre le président du Tribunal pour enfants et président de l’Association des magistrats de Guinée, Mohamed Diawara pour manquement à son devoir. Le Conseil supérieur de la magistrature finira par donner raison à M. Diawara.

OTD/md/fd/ts


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