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Guinée : les libertés mises à rude épreuve

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Ouestafnews – Journalistes intimidés, médias restreints, leaders politiques exilés ou placés sous contrôle judiciaire, marches anti-junte réprimées dans le sang : la situation en Guinée inquiète depuis que la junte a pris le pouvoir en septembre 2021. Les médias exaspérés menacent de sortir dans la rue pour manifester.  Ouestaf News fait le point.

Restriction de l’Internet, brouillage des fréquences des radios, retrait des chaines de télévisions des bouquets des distributeurs : la presse en Guinée vit des moments sombres et la colère commence à gagner les promoteurs de médias privés. Chez les défenseurs des droits humains également, c’est l’inquiétude.

L’Etat a « retiré la possibilité aux citoyens de s’exprimer. La liberté d’expression est menacée, en tout cas, elle n’est plus garantie », regrette Souleymane Sow, directeur d’Amnesty International Guinée.

Selon ce défenseur des droits de l’Homme, la junte a violé les conventions et lois signées par la Guinée  de même que sa propre charte de la Transition en ses articles 8 et 23, qui consacrent l’exercice des libertés d’opinion, d’expression et de conscience.

Selon l’article 8 de la charte de la Transition, « les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens dans les conditions et les formes prévues par la loi ». Le même article précise qu’« aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ».  L’article 23 du même texte ajoute que « les libertés d’opinion, d’expression, de conscience et de culte sont garanties. Les conditions de leur exercice sont définies par la loi. »

Si la charte prévoit ces dispositions, il n’y a cependant pas de texte d’application, relève Dr Alhassane Makanera Kaké, enseignant chercheur à l’Université de Sonfonia/Conakry. L’article 8 stipule qu’on ne peut pas empêcher l’exercice des libertés. « Maintenant qu’on restreint cette liberté d’expression aux citoyens, que devra-t-on faire pour faire cesser cette violation ? », s’interroge l’enseignant chercheur. En réponse, il précise qu’ « aucune loi ne le dit. Il n’y a pas de texte d’application de la charte de la Transition ». Or, « une loi c’est trois choses : les principes, les procédures et les conditions sinon ça ne sert à rien », déplore Dr Kaké.

Même s’il reconnait les violations en matière de libertés d’expression, Dr Alhassane Makanera Kaké pense que ce sont les médias qui font plus l’objet de ces restrictions. « Les citoyens eux, sont plutôt libres à faire des critiques envers le gouvernement. Ce sont les restrictions infligées aux médias qui relaient les opinions qui sont inquiétantes », estime l’universitaire.

Dans le même ordre d’idée, Jacques Moundékéno, imprimeur à Conakry pense qu’empêcher un citoyen d’accéder librement aux médias c’est de lui enlever un droit élémentaire. « C’est à travers les médias que le citoyen exprime ses opinions, ce qui va ou ne va pas dans le pays », déclare-t-il.

 L’entrepreuneuse Fatoumata Donzo va plus loin en s’interrogeant sur le système de gouvernance même. « On dit qu’on est dans une démocratie, mais là on tend vers la dictature », caricature-t-elle.

« La parole n’est pas libre », reconnait lui aussi, Souleymane Bah. Le président du bureau exécutif de l’Organisation guinéenne de la ligue des droits de l’homme et du citoyen (OGDH) dénonce un musellement de toutes les voix discordantes.

A la section d’Amnesty International, on s’inquiète du sort réservé à la liberté de manifester « confisquée » depuis l’arrivée de la junte au pouvoir. Souleymane Sow, directeur d’Amnesty International Guinée invite les autorités à « lever » la  restriction.

Toutes les manifestations anti-junte sont « interdites et réprimées », regrette Souleymane Bah, de l’OGDH. Depuis la prise du pouvoir par la junte, 37 jeunes ont été tués par balles rien qu’à Conakry, selon le bilan établi par les familles des victimes en collaboration avec le Front national pour la défense de la constitution (FNDC).

Face à ces violations de la liberté d’expression, certains leaders politiques et d’opinion ont été contraints à l’exil. Cellou Dalein Diallo, principal leader de l’opposition et chef du Union des forces démocratiques de la Guinée (UFDG)  est en exil au Sénégal depuis juin 2022. Idem pour  Sidya Touré président de l’Union des forces républicaines (UFR) présentement en fuite en Côte d’Ivoire.  

 Pour tuer toutes possibilités ou velléités de coordination de mouvements de contestation dans le pays, le régime militaire en place a très vite dissout le Front national pour la défense de la constitution (FNDC).  Plusieurs dirigeants de cette organisation se sont exilés. Ceux qui sont restés en Guinée, notamment le coordinateur national Oumar Sylla alias Foniké Mengué, sont contraints à la discrétion pour maintenir la flamme de la contestation. Mais leur force de mobilisation est devenue très marginale.

Liberté de presse bafouée 

Depuis septembre 2023, le gouvernement a également bloqué des sites Internet, brouillés les ondes des principales radios privées et fait retirer trois chaines de télévisions privées guinéennes (Espace, Djoma et Evasion) des bouquets des distributeurs d’images.  Motif de ces suspensions : « la sécurité nationale ».

Face à de telles restrictions contre la presse, les journalistes menacent de manifester le 18 janvier 2024 pour faire pression sur le gouvernement afin de libérer Internet et arrêter la censure des médias.

Cette situation exaspère également les représentations diplomatiques accréditées à Conakry.  Quinze représentations dont celles des Etats-Unis, de l’Union européenne, de la France et de la Chine ont rencontré le ministre guinéen des Affaires étrangères, le 11 janvier 2023, pour se plaindre de la restriction d’Internet qui, selon elles, les « empêche d’exercer leur fonction de diplomate ».  En réponse, le ministre évoque un « problème sécuritaire », pour justifier la restriction.

Evoquant toutes ces restrictions, Dr Alassane Makanéra Kaké, enseignant chercheur à l’Université de Sonfonia/Conakry dit que cela aurait dû être fait sur une base légale. Mais comme ce n’est pas le cas, l’universitaire invite les victimes à porter plainte contre les distributeurs avec lesquels ils ont des contrats, ceux-ci vont justifier leurs actes au risque de se voir « condamner ».

Si la junte s’est voulue respectueuse des libertés avec la libération des prisonniers politiques et d’opinion à la prise du pouvoir, octroyé un siège aux journalistes à Conakry, elle est de plus en plus contestée par les journalistes. Ces derniers collent désormais l’étiquette d’« ennemi de la presse » à Ousmane Gaoual Diallo, ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique, par ailleurs porte-parole du gouvernement. Quatre autres personnalités dont le Premier ministre sont également désignées  par le même qualificatif.

Ouestaf News a contacté le ministre Gaoual par téléphone et sur WhatsApp pour évoquer ces sujets, mais il n’a pas réagi, prétextant le manque de « temps ».

Accès à Internet limitée, réseaux sociaux bloqués 

 Depuis plus d’un mois en Guinée, il est impossible d’accéder à Internet sansVPN (Réseau virtuel privé), permettant d’anonymiser la localisation d’un internaute et contourner la restriction). Restriction qui importune nombre de professionnels dans différents secteurs d’activités.

L’imprimeur  Jacques Moundékéno déplore une restriction qui le met à mal avec ses partenaires. Par manque d’Internet « nous n’arrivons pas à honorer nos engagements ».

Mamadou Safayiou Diallo, économiste à Conakry dit avoir des difficultés à effectuer ses travaux de « recherche, lire les articles sur des sujets économiques importants ou travailler à distance ».

Lors d’une rencontre avec les auxiliaires de justice, jeudi 5 janvier 2024, le ministre de la Justice et des droits de l’Homme, Alphonse Charles Wright a été interpellé par le bâtonnier de l’ordre des avocats qui a rappelé que la restriction de l’Internet est une violation de la charte de la Transition. Le ministre a répondu que le gouvernement est en « plein droit de restreindre » les réseaux sociaux où régulièrement des officiels « sont diffamés » et qu’il est impossibles de « les réprimer ».

L’association des blogueurs de Guinée (Ablogui) a alors lancé le hashtag #DroitAL’Internet pour la levée des restrictions que l’association considère comme une violation des libertés publiques. D’autres alertent sur les risques graves de fuites de données avec l’utilisation des VPN, d’autant plus que même les agents de l’Etat en sont réduits à les utiliser.

OTD/fd/ts

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