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Indépendance de la justice au Niger : les textes et… la pratique

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Ouestafnews – Le magistrat nigérien jouit, en principe, d’une indépendance consacrée par la Constitution. Cependant dans la pratique, il est confronté aux contraintes du pouvoir politique d’un côté et aux attentes du peuple de l’autre.

Affaire « Sadat Illia », affaire dite des « bébés importés », affaire « Ministère de la Défense nationale ». Autant de cas qui dans l’histoire du Niger ont posé le débat sur la question de l’inféodation des juges au pouvoir politique.

Aujourd’hui encore le problème reste actuel avec le rapport 2021 de la Cour des comptes et l’interdiction de manifester dans la ville de Niamey. 

Retour en arrière. On est en 2018. L’acteur de la société civile, Sadat Illia a dû passer 19 mois en prison à Zinder (environ 900 km à l’est de Niamey) sur une simple plainte d’un partisan du pouvoir qui l’accusait de l’avoir injurié. Une plainte qui est requalifiée en « complot contre la sureté de l’Etat » et « appel à un mouvement insurrectionnel ». 

Faute de preuves contre lui, Sadat est  libéré mais le parquet fait appel et après plusieurs rebondissements entre le parquet et le juge d’instruction, il obtint un non-lieu. Il sera plus tard dédommagé à hauteur de cinq millions de FCFA par l’Etat du Niger suite au verdict de la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) condamnant les autorités nigériennes. 

Depuis, Illia répète à qui veut l’entendre.  « Je fais confiance à la justice nigérienne mais pas aux hommes qui l’animent ».

L’affaire dite des « bébés importés du Nigéria » : en 2013, à la suite d’une publication, dans un hebdomadaire de Niamey, d’un article faisant cas de trafic de bébés entre le Niger et le Nigéria, le procureur de la République s’est autosaisi et a mis aux arrêts une vingtaine de personnes dont l’épouse du président de l’Assemblé nationale d’alors, Hama Amadou. Lui aussi sera poursuivi pour complicité de « supposition de bébé » requalifié en « recel de bébés ». 

Les partisans de l’ancien président du Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN/FA Loumana, opposition) estiment que l’appareil judiciaire a été mis en œuvre pour empêcher leur leader d’être candidat à l’élection présidentielle de 2021. Selon la loi nigérienne, toute personne condamnée à un an et plus perd ses droits politiques.

Tout récemment l’Agence judiciaire de l’Etat a classé sans suite l’affaire « Uranium Gate », affaire dans laquelle le Niger a perdu plus de 200 milliards de FCFA. Une affaire portée devant le doyen des juges par les organisations de la société civile qui voulaient que la lumière soit faite sur cette affaire. 

Le doyen des juges a exigé une caution de 20 millions de FCFA avant l’ouverture du dossier. Somme que  la société civile  n’a pas pu mobiliser.    

Selon Maikoul Zodi,  un acteur de la société civile qui a passé plusieurs mois en prison pour avoir dénoncé la gestion de l’Etat, il y a un blocage pour l’accès à la justice au Niger.

« Nous allons continuer à nous battre pour montrer à la face du monde que notre justice a des sérieux problèmes, qu’elle est inféodée à l’exécutif », a-t-il martelé.   

Faute de trouver satisfaction avec la justice de leur pays, les Nigériens se tournent de plus en plus vers la Cour de justice de la Cedeao. Elle  est actuellement sollicitée par l’association « Tournons la page » pour se prononcer sur les différentes interdictions des appels à manifester, interdictions décidées par les autorités de la ville de Niamey.

Une confiance effritée

Selon une étude menée par la fondation néerlandaise Hill, entre juillet et août 2021, en cas de conflit, 34 % des Nigériens préfèrent recourir à un règlement au sein de la famille et seuls 12 % s’adressent aux tribunaux formels.

L’enquête a été conduite sur l’ensemble du territoire nigérien et a concerné 6002 personnes ayant une moyenne d’âge de 36 ans et dont 85 % sont issus du monde rural. Elle révèle que 8 % disent n’avoir « aucune confiance » en la justice contre 45 % qui nourrissent toujours une « grande confiance » pour cette même justice. De même, 33 % disent avoir très peu de confiance de leur justice.

Par ailleurs, 40 % des personnes interviewées pensent que le principe de  séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire n’est pas respecté contre 60 % qui y croient.

L’étude indique également que  21 % des personnes interviewées se disent certaines que les juges sont corrompus. Seuls 14 % estiment le contraire.

Des textes à réviser

La Constitution nigérienne prévoit, dans ses dispositions, une indépendance du pouvoir judiciaire, vis-à-vis des autres pouvoirs. Cependant, la même loi fondamentale indique que les magistrats du siège sont nommés par le président de la République à travers le Conseil supérieur de la magistrature.    

Ce conseil est composé des représentants des magistrats, du président de la République, du représentant du président de l’Assemblée nationale, du ministre de la justice. 

Depuis plusieurs années, les conclusions des réunions du Conseil supérieur de la magistrature sont sujettes à polémique. En septembre 2021, le Syndicat autonome des magistrats du Niger (Saman) a vivement protesté contre les différentes affectations de juges.

Sur les réseaux sociaux le cas du procureur de Zinder, Chaibou Moussa qui est promu procureur de la république près le Tribunal de grande instance hors classe de Niamey, a fait jaser.

« Le ministre de la Justice peut instruire le procureur pour faire quelque chose et il est obligé de s’exécuter. C’est ce qui explique l’attitude de certains magistrats », précise Doubou Yahaya, secrétaire général du Saman.

A cela, il faut ajouter le manque de juges. Selon  le secrétaire général du Saman, le Niger ne dispose que 448 magistrats en activité pour une population estimée à plus 22 millions d’habitants soit un ratio de l’ordre de 49.000 habitants pour un magistrat. Ce ratio place le Niger très loin de la norme des Nations Unies, qui est de un magistrat pour 10.000 habitants.  

Mais pour Doubou Yahaya et ses collègues, les réformes concernant le CSM, restent les plus préoccupantes. « Nous avons déposé sur la table du ministre de la Justice un projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature. C’est une des promesses du chef de l’Etat lors de notre rencontre de juillet 2021 », a rappelé Doubou Yahaya.   

BB/fd/md/ts

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