Indépendance de la justice au Togo : les citoyens en doutent…

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Une indépendance de façade. Voilà comment des citoyens togolais décrivent leur justice qu’ils accusent d’être à la solde du pouvoir et des gens aisés./Photo-montage - Ouestaf News.

Ouestafnews – Quand le président de la cour suprême du Togo reconnaît le 26 août 2021, et devant la presse, le discrédit qui frappe la justice togolaise, il rejoint nombre de ses compatriotes qui se sentent déjà désabusés.

« Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif », et plus loin, « le président de la République est garant de l’indépendance de la magistrature. Il veille à l’impartialité, au professionnalisme, à l’intégrité et à la dignité de la magistrature. Il est assisté à cet effet par le Conseil supérieur de la magistrature ».

À travers ces deux dispositions, la constitution togolaise consacre l’indépendance de la justice (articles 113 et 115) et sa capacité entière à exercer ses prérogatives légales. Mais dans les rues de Lomé, ces belles professions de foi se heurtent au scepticisme des citoyens.

« Si notre justice est vraiment indépendante, les présumés voleurs ne seraient pas brûlés tous les jours. C’est parce que la justice ne dit pas le droit que les gens se font justice eux-mêmes », peste David Solim, infographiste au quartier A Déwui, faisant allusion à la vindicte populaire, un fait courant à Lomé, la capitale togolaise.

Cette pratique sociale qui consiste à brûler ou battre à mort des présumés auteurs d’une infraction, est généralement expliquée par le manque de confiance en la justice. Il faut toutefois admettre que la raison peut parfois être ailleurs : des règlements de compte par exemple.

Kafui Sedami, assistante juridique dans le secteur privé, se demande s’il n’y aurait pas des juges tout-puissants qui peuvent tout se permettre. « C’est vraiment mi-figue, mi-raisin. En tant que juriste, j’encourage toujours les gens à se référer à la justice plutôt que de se faire justice. Mais les réponses que nous recevons nous rendent perplexes ».

Les conclusions d’un sondage publiée en mai 2017 par le Centre de recherche et de sondage d’opinions (CROP) pour le compte du réseau panafricain « Afrobaromètre » montre bien le manque de confiance des Togolais vis-à-vis du système judiciaire de leur pays.   

Sur 12.000 adultes togolais interrogés entre 2014 et 2015, seulement 37 % font « partiellement » confiance aux tribunaux. La même étude révèle que 48 % pensent que la plupart des juges et magistrats ou tous sont corrompus.

Justice des puissants

Dans l’échantillon étudié, 22 % ne portent pas leurs affaires devant les tribunaux à cause des frais de justice pendant que 17 % soutiennent que la justice statue en faveur des riches et puissants.

Cette étude publiée en 2017 est la dernière sur le sujet, mais il n’est pas dit que cinq ans après, les choses aient significativement changé.

Abdoulaye Bawa Yaya, président de la Cour suprême semble rejoindre ses compatriotes désabusés en reconnaissant les tares de la justice togolaise.

« L’effroi, le doute et le discrédit », sont les trois éléments qui dépeignent la justice actuellement au Togo, affirmait-il lors d’une conférence de presse de présentation du dernier rapport sur l’état des lieux de la justice togolaise, le 26 août 2021.

« Le juge qui est gourmand et cupide n’a pas sa place dans la magistrature… Les juges font du business et rackettent les citoyens… S’il en est ainsi, le juge participe à l’insécurité judiciaire au Togo », dénonçait-il avant d’appeler le corps judiciaire à « une prise de conscience aigüe et de responsabilité dans la gestion des affaires ».

Le traitement de certains dossiers très médiatisés ne contribue pas à rassurer les citoyens. Il en est ainsi de l’affaire ayant impliqué fin 2021 deux journalistes qui se sont retrouvés derrière les barreaux.

Après avoir procédé au décryptage d’une décision du gouvernement d’imposer le pass vaccinal dans les lieux de culte, lors d’une émission sur Youtube à l’époque, Ferdinand Ayité, directeur de la publication du journal « Alternative », et Joël Egah, patron (aujourd’hui décédé) de l’hebdomadaire « Fraternité », sont arrêtés et emprisonnés pendant trois semaines. Sur la base du code pénal, ils avaient été accusés d’« outrage à l’autorité » et « propagation de propos mensongers sur les réseaux sociaux ».

Affaires médiatisées

A la même période, l’activiste politique Fovi Katakou, connu pour ses prises de positions publiques, avait été arrêté chez lui dans des conditions « inhumaines », selon ses proches. Le jour de son arrestation, il avait partagé sur les réseaux sociaux un texte titré : « Au Togo, il reste que Gnassingbé Faure nous distribue à nous tous le faire-part pour acter nos décès ».

Les indignations ayant suivi l’emprisonnement de ce Togolais en situation de handicap ont contraint le juge d’instruction à le remettre en liberté, neuf jours après son arrestation.

Selon Komi Akpanagan, Docteur en droit public et collaborateur dans un cabinet d’avocats, la justice togolaise est indépendante « du point de vue théorique », mais dans la pratique, cette liberté reste à conquérir. Ce qui est en fait, d’après lui, un véritable défi pour les magistrats, les avocats, huissiers de justice et autres acteurs du secteur.

« Notre justice a véritablement besoin d’améliorations profondes et qualitatives », plaide ce juriste interrogé par Ouestaf News. Puis, il ajoute : « l’indépendance de la justice, passe par des juges au-dessus de la mêlée, de l’influence de tout ordre politique et économique ».

Etudiant en 3e année de droit à l’université de Lomé, Albert Gbodui estime que l’indépendance de la justice requiert « des juges libres, à l’abri de toute forme de contrainte, de menace ou de harcèlement de la part des autorités comme des simples citoyens ».  

Cette aspiration des citoyens à une justice indépendante est-elle prise en compte par les magistrats dans l’exercice quotidien de leurs fonctions ?, Me Raphaël Kpandé-Adjaré, ancien président de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH), pense que non.

« Lorsqu’on parle de crimes économiques, des détournements de deniers publics à hauteur de milliards de FCFA, la justice togolaise est complètement inerte et silencieuse. Quand il s’agit d’assassinats et de crimes crapuleux, à la limite proches de la flagrance, elle parle de faits (..) criminels complexes », s’insurgeait Me Raphaël Kpandé-Adjaré sur son compte Facebook, à la suite de l’arrestation, le 29 novembre 2020,  de leaders de l’opposition. 

Mais quand il s’agit « de prétendues infractions d’atteinte à la sécurité de l’État, on interpelle et arrête des citoyens à la hâte et la justice intervient à posteriori pour justifier par des perquisitions afin de brandir de soi-disant documents compromettants », avait écrit l’ancien président de la Ligue togolaise des droits de l’homme (LTDH).

Pour tirer la justice togolaise de cette ornière, Dr Komi Akpanagan, propose d’avoir « plus de lois, plus de structures qui permettent d’assurer cette indépendance ». Il propose également de sévir sans parti-pris lorsqu’il y a des manquements anti-déontologiques et que les magistrats soient mieux payés pour qu’ils ne tombent pas dans la corruption. Mais à ses yeux, le plus important est ailleurs.

« Nous sommes dans une société qui ne respecte plus les valeurs comme l’honnêteté et le respect du serment », pense le juriste. Pour lui, il faut retourner à ces fondamentaux car tout doit partir de l’éducation pour fabriquer des citoyens qui respectueux des valeurs. « Chacun doit commencer chez lui et par lui », recommande le juriste. 

DA/fd/ts

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