Ouestafnews – Depuis l’annonce du premier cas de coronavirus au Sénégal le 2 mars 2020, l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) occupe une place de choix dans le dispositif de riposte de l’Etat contre la pandémie au Sénégal. Mais très vite, il s’est retrouvé sous le feu des critiques à cause de son monopole (aux premiers mois), cassé par la suite, dans les opérations de tests Covid qui génèrent des centaines de milliards de francs CFA. Or, l’IPD traîne un péché originel : être une fondation sous l’égide d’une puissance étrangère quoi qu’en disent ses soutiens. Pendant plus d’un an, Ouestaf News a enquêté et tente ici de démêler l’imbroglio.
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Matinée ordinaire d’un jour ordinaire. Sauf qu’on est en pleine période de Covid-19. Le bâtiment annexe de l’Institut Pasteur de Dakar au centre-ville grouille de monde. Selon le dernier ticket au compteur, 300 personnes sont déjà à l’intérieur. Il n’est que 9 heures du matin. D’ici 17 heures (heure prévue de l’arrêt des tests Covid-19 qui rassemblent la foule qui s’est retrouvée ici) d’autres personnes viendront s’ajouter à la liste. Toutes doivent passer un test Covid-19. La plupart le font pour pouvoir voyager hors du pays dans les 48 heures.
Sous une tente dressée en parallèle au bâtiment, les candidats au test sont reçus à tour de rôle par des agents à qui ils fournissent des informations personnelles dont l’heure et la date de leur départ. Après avoir payé 40.000 FCFA dans un box de l’immeuble, ils passent au prélèvement. A ce prix, les 300 personnes déjà inscrites ont déjà rapporté à l’Institut 12 millions de FCFA en un peu moins de deux heures. De mars 2020 au 18 mai 2021 les tests ont coûté 40.000 FCFA par opération aux voyageurs partant de Dakar avant d’être portés à 25.000 FCFA, dans le cadre de l’application de la décision de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest africaine), harmonisant les tarifs de test Covid voyageur dans l’espace communautaire.
Que ce soit à 40.000 ou à 25.0000, le nombre total de tests effectués et la place prépondérante de l’IPD dans la réalisation des tests ont permis à l’Institut d’encaisser un pactole qui se chiffre à plusieurs dizaines de milliards (au moins) et qui ne laisse pas les Sénégalais indifférents sur la destination finale de ces fonds.
Des Sénégalais ont ainsi voulu en savoir plus sur cet Institut, hérité de la colonisation et qui porte le nom du chercheur français Louis Pasteur (1822-1895), présenté par son pays comme un « pionnier de la microbiologie ».
Ce n’est pas tant le nom de ce parrain « français » qui gêne les Sénégalais, leur pays étant parmi ceux qui, en Afrique, décolonisent à pas de caméléon, les noms de leurs rues, institutions et lieux publics. Ce qui gêne avec l’Institut Pasteur de Dakar et qui a fini par susciter le débat, c’est de savoir sa véritable nationalité. La vraie destination des fonds et des données qu’il emmagasine et que le Covid a fini par révéler au grand public. A qui appartient l’Institut Pasteur de Dakar ? Qui en contrôle la destinée ? Comment sont réutilisés les fonds générés par ses activités ? Etc.
S’il a toujours été là et fait partie du décor…sanitaire, il a fallu l’apparition du Covid-19 pour se rendre compte de tout le poids de cet institut dans le système sanitaire sénégalais et se poser toutes ces questions.
Au moment du bilan de la première année de présence de la maladie au Sénégal, l’IPD a révélé, par la voix de son administrateur général, le Dr Amadou Alpha Sall, avoir réalisé plus de 309.000 tests du 2 mars 2020 au 2 mars 2021.
Le Covid-19, le révélateur
En comparaison, l’Institut de Recherche en Santé de Surveillance Epidémiologique et de Formation (Iressef) fondé et dirigé par l’éminent chercheur sénégalais, le Pr Souleymane Mboup, arrivé plus tard sur le « marché » du Covid, n’a, quant à lui, effectué que 95.092 tests pour la même période, selon son directeur.
Ce quasi-monopole de l’IPD dans les opérations de tests Covid-19, a poussé à s’intéresser à son véritable statut, dans un pays, où se développe au sein des masses populaires, lentement, mais de manière très perceptible, un sentiment anti-français. Ce sentiment est relayé, parfois amplifié, par des mouvements « citoyens » ou des groupes proches des partis d’opposition.
Dans ce débat sur la « nationalité » de l’IPD, transparaît aussi en filigrane cet agacement causé par la forte présence française dans certains secteurs vitaux de la nation sénégalaise. Une présence de plus en plus mal ressentie, parfois combattue.
Dans certains cercles, on soupçonne la France en tant que « propriétaire de l’Institut » d’être la principale bénéficiaire des milliards FCFA générés par les tests Covid. En plus, l’IPD a récemment capté une aide d’un montant de plus de 14 milliards FCFA de l’UE (Union européenne) destinée « au Sénégal », sur des programmes en faveur de l’accès aux vaccins anti Covid-19, médicaments et technologie de la santé.
Jusqu’en 2010, l’Institut Pasteur de Dakar, était simplement une fondation française reconnue d’utilité publique, basé au Sénégal depuis 1924. En 2010, l’IPD et l’Etat du Sénégal ont « décidé » de constituer une fondation d’utilité publique dénommée « Fondation Institut Pasteur de Dakar », qui a en charge la gouvernance de l’Institut Pasteur de Dakar.
Selon le décret N° 2010-614 du 27 mai 2010, la Fondation Institut Pasteur de Dakar « est créée par l’Institut Pasteur, fondation privée française reconnue d’utilité publique, dont le siège se situe 25/28 rue du Docteur Roux 75724 Paris cedex 15, France et l’Etat du Sénégal ».
La loi sénégalaise définit une fondation comme étant « une personne morale de droit privé qui possède une dénomination, un siège, une nationalité et un patrimoine d’affectation qui lui son propres (…) », selon la loi N° 95-11 du 7 avril 1995, instituant la fondation d’utilité publique au Sénégal.
Son but « ne doit pas être lucratif ; les bénéfices et excédants de ressources générées par les activités de la fondation doivent être exclusivement affectées à l’objet social de la fondation ».
Dans le giron de la France
A la lecture des textes il est très difficile de dire que la fondation est sénégalaise. Au mieux, elle serait une entité dans laquelle l’Etat sénégalais a des intérêts. Comme il aurait pu en avoir dans le capital de la filiale locale d’une entreprise multinationale.
Se pose alors une grande question, celle du contrôle effectif de l’activité et du pouvoir de décision au sein de l’IPD. Sur ce point, le silence des autorités sénégalaises, ajouté à celui du patron actuel de l’IPD Amadou Sall (sollicité en vain dans le cadre de cette enquête), n’aident pas à y voir plus clair. A cela viennent s’ajouter des clauses de confidentialité qui ne sont pas pour faciliter la transparence.
La réponse de Pierre-Marie Girard, Directeur international de l’Institut Pasteur contacté par Ouestaf News dans le cadre de cette enquête, ne donne pas plus d’éclairage sur cette question.
Selon lui, il existe un accord de collaboration confidentiel entre les Instituts Pasteur et le Réseau international des Instituts Pasteur (RIIP). « L’accord de collaboration est un document qui fixe les engagements à suivre les valeurs pasteuriennes. C’est un document contractuel bilatéral entre l’institut d’un pays et l’institut Pasteur. Il reste donc confidentiel », précise-t-il.
Cette clause de confidentialité, ce manque de transparence explique en grande partie toutes les suspicions. Les acteurs sénégalais de la santé souhaitent que le caractère « sénégalais » de l’IPD soit plus net, sans qu’on ait à se poser des questions.
Sans être catégorique, le secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs de la Santé et de l’action sociale (Sutsas), Mballo Dia Thiam, a des doutes sur la « sénégalité » de l’IPD.
« De par ses origines et ses accointances, nous ne pouvons pas dire que c’est un instrument national ou nationalisé », indique M. Thiam dans un entretien téléphonique avec Ouestaf News.
Ce que l’Etat sénégalais ne veut pas dire à ces citoyens, et que les responsables de l’IPD taisent, est en partie révélé par une lecture minutieuse des textes constitutifs. Des textes qui renforcent la suspicion sur la nationalité de l’Institut. Il en est ainsi du « Conseil de fondation » tel que décrit par les statuts de 2010 qui en font l’instance suprême de décision. Ce Conseil est composé de dix membres dont « trois désignés par l’Institut Pasteur », trois représentants de l’Etat du Sénégal, deux personnalités « qualifiées » désignées conjointement par l’Institut Pasteur et l’Etat du Sénégal et deux représentants du personnel.
Toutefois, la présidence de cette instance revient exclusivement à la partie française, tel que stipulé dans le décret cité plus haut : « le Conseil de fondation nomme parmi ses membres, sur proposition conjointe de l’Institut Pasteur et de l’Etat du Sénégal, un président en dehors des représentants de l’Etat sénégalais, pour une durée de quatre ans, renouvelable une fois ».
En matière de vote, chaque membre du Conseil de fondation dispose d’une voix. En cas de partage des voix, la voix du président est prépondérante.
Selon les statuts de la fondation, en matière de délibération extraordinaire, certaines décisions du Conseil de fondation sont adoptées à la majorité des deux tiers des membres présents ou représentés dont au moins un membre désigné par l’Institut Pasteur. Cela veut dire que le président du Conseil de fondation ne peut être nommé en l’absence d’un représentant de la France.
Idem pour décider de la révocation de l’administrateur général, de l’aliénation des biens immeubles de la Fondation, de décider des emprunts, garanties notamment bancaires, engagements financiers significatifs, engagements hors bilan, de la modification des statuts et du règlement intérieur et de la dissolution de la fondation, entre autres.
Enfin, l’Institut Pasteur de Paris, détient seul le pouvoir d’accorder (ou d’enlever) l’appellation « Pasteur » à l’institut basé à Dakar, si demain il y avait des bisbilles entre les deux parties.
Ces considérations statutaires ajoutées au silence des autorités laissent planer le flou sur la nationalité de l’IPD et poussent le syndicaliste Mballo Dia Thiam à plaider pour l’érection d’un « laboratoire de référence international mais aussi de nationalité purement sénégalaise » estimant que « c’est une question de souveraineté à tout point de vue ».
Ancien conseiller technique au ministère de la Santé et de l’Action sociale, Amadou Bâ, pense aussi qu’une « nationalisation (de l’IPD) permettrait d’être plus efficace et plus efficient pour répondre à sa mission de santé publique ».
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