Le poisson, dit la sagesse populaire, commence toujours à pourrir par la tête. Il en est de même dans le monde des journalistes reporters. Lorsqu’il y a des odeurs fétides aux échelons supérieurs d’une organisation médiatique, il y a fort à parier de la contamination de l’entité tout entière.
Tout comme personne ne souhaite s’empoisonner en mangeant du poisson purulent, personne non plus ne voudrait être victime d’un journalisme corrompu. Cependant, au Royaume-Uni, des milliers de personnes sont aujourd’hui victimes d’écoutes téléphoniques. La société britannique, dans son ensemble, est également victime indirecte du monde connexe des tabloïdes. Les récits se limitent à ce qui pourrait intéresser ou titiller l’esprit du public plutôt que de chercher à relever le degré d’humanité à travers des nouvelles indéniablement d’intérêt public.
Les pays africains ne connaissent toujours pas ce genre d’écoutes téléphoniques contraire à l’éthique journalistique. En fait, la vérité demeure encore vulnérable à un journalisme corrompu dans de nombreux coins à travers le continent ; et ce, plus particulièrement dans le secteur public qui a encore du chemin à parcourir pour passer d’un environnement unilatéral de caisses de résonnance gouvernementales à un environnement de radiodiffuseurs de service public indépendants.
Les problèmes d’éthique assombrissent également les entreprises médiatiques privées. De nombreuses stations de radio et journaux privés font preuve de légèreté dans la relation des fais, se livrent à des jeux politiques, et s’engagent dans des relations publiques commerciales à l’insu de leurs publics.
De manière générale, il est grand temps de pointer un doigt accusateur vers les véritables coupables du dévoiement du journalisme : par exemple, ceux qui sont aux commandes dans les entreprises.
L’essentiel est que les éditeurs, les gestionnaires et les propriétaires accomplissent leur devoir fondamental vis-à-vis de ce qui se passé dans leurs organisations médiatiques respective. Dans toute entreprise de presse, il faudrait un pacte entre ces trois forces—et un pacte qui respecte à la fois les normes de bonne gouvernance d’entreprise et les valeurs éthiques d’un service public honnête en direction de la société.
Un engagement explicite et significatif en faveur de ces normes élevées est d’importance capitale si les medias veulent gagner la confiance de leurs publics et s’ils veulent réellement contribuer à la démocratie et au développement.
Il serait plutôt exceptionnel de trouver un comportement étique exemplaire de la part des journalistes pris individuellement lorsque leurs supérieurs hiérarchiques donnent le mauvais exemple. Il est évident que les reporters ne devraient jamais demander des enveloppes brunes en échange de couvertures événementielles, tout simplement parce que certains éditeurs touchent des pots-de-vin. Cependant, la responsabilité est généralement tributaire du leadership. Cela veut dire que les dirigeants de médias devraient au moins encourager de manière proactive l’éthique plutôt que de contribuer à la pourriture interne ou de fermer les yeux là-dessus.
Dans ce contexte, la publication d’un nouveau document sur les principes devant régir l’orientation des dirigeants de médias est d’une grande pertinence. L’African Media Initiative (AMI), une organisation de la société civile qui œuvre en étroite collaboration avec les dirigeants de médias à travers le continent africain, est à l’origine de l’élaboration de ce produit. Son site Web est accessible à l’URL suivant : www.africanmediainitiative.org.
La programmation de la publication des Principes de l’AMI n’est nullement arbitraire. Cette publication coïncide délibérément avec la Journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai de chaque année. Le fait que plus cent (100) pays célèbrent cette journée du calendrier international découle d’une proposition faite il y a 21 ans pour un tel événement annuel. Il s’agit notamment de l’appel lancé par les journalistes africains lors d’une conférence de l’Unesco organisée à Windhoek, en Namibie, et qui a été finalement approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies.
En publiant “Leadership and Guiding Principles for African Media Owners and Managers” [Leadership et principes directeurs pour les propriétaires et gestionnaires de médias d’Afrique], AMI offre un autre cadeau africain au reste du monde. Ses principes découlent de consultations menées à travers l’Afrique, mais qui restent néanmoins valides partout ailleurs. Le milliardaire et magnat de la presse de la presse, Rupert Murdoch, dont les journalistes ont supervisé les écoutes téléphoniques au Royaume- Uni, pourraient certainement apprendre beaucoup de leçons du document de l’AMI.
Les dirigeants de médias qui adopteront les Principes d’AMI feront montre d’un véritable engagement au sommet. Ils assureront ainsi le public que les médias voient que leur rôle principal est d’être au service du public et, comme l’indiquent les Principes : « même si nous sommes mus par des intérêts commerciaux ».
En adhérant à cette vision du leadership éthique, les personnes en charge d’organisations médiatiques s’engageront d’autre part à :
• Promouvoir la liberté d’expression, les autres droits humains et la durabilité environnementale ;
• Éviter des conflits d’intérêts tout en luttant contre la corruption en interne,
• Divulguer les propriétaires et les bailleurs des entreprises médiatiques signataires ; et à
• Rencontrer régulièrement les acteurs et partenaires à l’effet de discuter de questions éthiques.
Dans la pratique, les entreprises signataires devraient également œuvrer à l’instauration d’une culture interne d’indépendance éditoriale et de responsabilité en matière d’intérêt publique et d’éthique journalistique. Dans le cadre des Principes de l’AMI, les signataires devraient disposer d’une politique effective de réduction ou de suppression des possibilités d’ « offres de cadeaux » aux journalistes qui pourraient influer sur les prises de décisions au sein des salles de rédaction.
Sur la base des Principes de l’AMI, les responsables moraux pourraient refuser d’offrir, de payer ou d’accepter des pots-de-vin, et cela garantirait que leur personnel ne plagie d’autres contenus éditoriaux.
Cette année, l’Unesco a élaboré un instrument d’évaluation dénommé Gender Sensitive Indicators for Media. [Indicateurs sensibles à la dimension « genre » à l’usage des médias] (Voir : http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CI/CI/pdf/IPDC/ipdc28_gsmi_paper_rev.pdf ). C’est donc dans le sillage de cette organisation internationale que les Principes de l’AMI engagent les dirigeants de médias à prendre des mesures relatives aux inégalités sexospécifiques et au harcèlement sexuel.
Plus important encore, peut-être, les Principes de l’AMI invitent les dirigeants de medias à œuvrer ensemble à la promotion des réformes juridiques et politiques qui pourraient profiter au secteur dans son ensemble. Cela signifie, comme l’explique le document de l’AMI, la mise en place d’associations là où il n’y en a pas.
S’en s’arrêter là, les Principes invitent les dirigeants de medias à appuyer l’autorégulation et à mettre en place des canaux tells que les médiateurs pour traiter des revendications des publics. Les dirigeants devraient également s’engager à revoir régulièrement les objectifs, les cibles et les performances éthiques à l’aune des codes universe
ls. Parmi ces codes, il y en a un de très récent et pertinent, intitulé : “Media Transparency: New Sustainability Reporting Guidelines for Media Organizations” élaboré par Global Reporting Initiative, et dont le lancement est également prévu pour la Journée mondiale de la liberté de la presse (voir www.globalreporting.org ).
Que vont tirer les dirigeants des medias de l’occasion qui leur est offerte d’adopter les Principes de l’AMI ?
Tout d’abord, ils feront montre d’une position proactive indiquant Clairement les entreprises médiatiques qui en ont conscience et qui sont fières de l’affirmer ; deuxièmement, les dirigeants—et non des entités externes—vont décider des normes à l’aune desquelles évaluer leurs entreprises ; et troisièmement, ils contribueront à instaurer un secteur fort de médias animés des mêmes principes au plan international.
Le plus grand avantage selon les explications de l’AMI est que « la meilleure pratique de la part des propriétaires et dirigeants de medias serait la meilleure défense contre les entraves à la liberté de la presse et la base la plus sécurisée du développement des medias ».
Cette retombée des Principes de l’AMI serait plus qu’une valeur ajoutée pour les dirigeants de médias et leurs entreprises. Ce serait également dans l’intérêt de la société dans son ensemble. En somme, les Principes de l’AMI contribuent considérablement à notre droit collectif à la liberté d’expression, puisqu’ils mettent en exergue l’expression durable du fait de son fondement éthique.
Si nous ne voulons pas que les menus africains au banquet de l’information soient dominés par des mets à base de poisson pourri, il nous faudra impérativement inviter les entreprises médiatiques de tous les horizons à adhérer et à mettre en œuvre l’initiative de l’AMI.
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