Aux environs de 9h00 (GMT et heure locale) ce lundi 20 juillet 2015, la salle n°4 du palais de justice de Dakar, faisait progressivement le plein dans un silence relatif, les bruits de pas des derniers arrivants se mêlant aux chuchotements des centaines des journalistes, dont une bonne partie venue de l’étranger.
En face du siège réservé aux magistrats du parquet, Hissène Habré emmitouflé dans une tenue immaculée, agrémentée d’un turban. Il arborait un calme olympien.
A quelques minutes du démarrage de la cérémonie protocolaire l’ambiance change de ton et place à une poussée d’adrénaline de quelques partisans de l’accusé, jusque là tranquillement nichés sur leurs sièges.
« Il s’agit d’une mascarade, vive Habré », « procès de la honte pour l’Afrique », déclamaient-ils dans un tohu-bohu indescriptible. Une harangue à laquelle a répondu Hissène Habré faisant un bond en direction de ses partisans avant d’être immédiatement encerclé par les services de sécurité qui le suivent hors de la salle d’audience.
Les chahuteurs maitrisés et conduits hors des lieux par les forces de l’ordre, le public retrouve la sérénité et la cérémonie peut démarrer, marquée par l’absence notoire de la défense, aucun avocat de M. Habré n’était présent.
Du coté de la partie civile, le pool d’avocats conduit par la Tchadienne Me Jacqueline Moudeina, compte une dizaine de robes noires, un casting bigarré où l’on retrouve un Français, un Suisse et un Belge. Dans ses observations préliminaires, Me Moudeina a fait part à l’audience de son « émotion » de porter devant Cour, « la voix des victimes ».
Stratégie du silence et crédibilité du procès
Dans ses observations l’avocat général Mbacké Fall, assimile l’événement à « l’aboutissement d’un long processus », dans une salle mal sonorisée, où les micros qui grincent participent aux chahuts de l’audience. M. Fall a tenu à écarter toute « idée d’acharnement contre la personne de Hissène Habrè ».
Ce procès, déjà jugé « historique » sera tout de même fortement entaché par le refus de M. Habré de comparaître.
« Ce refus de comparaître n’enlève en rien à la crédibilité du procès », a pourtant estimé le procureur des CAE. Logé dans une pièce attenante au box des accusés, Hissène Habré, a par la suite refusé l’invitation faite par le juge, de venir se présenter à l’audience. Ce qui a occasionné une suspension de séance, le temps de procéder au constat de l’huissier.
« Votre silence, ne pourra pas être interprétée par l’histoire comme une stratégie de défense mais malheureusement comme un acquiescement de conscience aux graves accusations portées contre vous », lance le procureur à l’endroit de l’accusé. Des mots accompagnés par un murmure approbateur dans une partie du public.
« Quelque soit la stratégie de défense qu’elle a adopté, vous devez garantir à l’accusé un procès équitable …», a pour sa part exhorté, le bâtonnier de l’ordre des avocats du Sénégal, Me Mbaye Gueye, s’adressant à la Cour.
Hissène Habré (72 ans) est accusé de « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture » commis entre 1982 et 1990, période où il était à la tête du Tchad. Selon un bilan fait par des organisations de défense des droits de l’Homme, quelque 40.000 personnes ont été tuées durant son régime.
Pour les avocats de la défense qui ont choisi de boycotter le procès, les CAE constitution une Cour viciée dont ils rejettent la légalité. Dans une déclaration transmise à Ouestafnews, ils dénoncent une « violation du principe de légalité dans la création de cette juridiction, de son statut comme de ses règles de fonctionnement, incompatibles avec les standards internationaux ».
Créée en 2012, les CAE mis en place grâce essentiellement à des fonds étrangers, sont chargées de juger Hissène Habré. La plupart des partisans de cette juridiction ad-hoc espère la voir être érigée en une Cour Pénal Africaine (CPA) par l’Union africaine (U.A)
L’ombre de Déby
« Devant cette juridiction illégale, une seule personne, pointée du doigt depuis le début, sera présentée, et par conséquent, cette personne sera condamnée », arguent les avocats de l’ancien président dans leur déclaration.
Sur les 7 personnes inculpées par les CAE, seul Hissène Habré est aujourd’hui à la disposition des CAE pour un procès dont on estime officiellement la durée minimum à trois mois.
L’ombre de l’actuel président du Tchad Idriss Déby a plané dans la salle d’audience moyennement remplie. Pour quelques analystes et surtout pour les partisans de Habré, le procès Habré pour être crédible devait aussi faire comparaître l’actuel président du Tchad, Idriss Déby, en tant que lieutenant de Hissène Habré à l’époque des faits. Il s’agit là d’une vielle doléance de l’entourage de M. Habré.
Idriss Déby a été commandant en chef des Forces armées du nord (FAN), conseiller pour la défense et la sécurité et patron de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), une police dite politique jugée responsable de la mort de milliers de citoyens.
D’ailleurs, et en dépit de ses félicitations adressées aux CAE, le bâtonnier sénégalais Me Gueye a durant la cérémonie regretté cette absence de comparution de M. Déby, par ailleurs un des bailleurs de la CAE avec des occidentaux comme les Etats-Unis ou encore la France.
En décembre 1990, à la tête d’une rébellion armée et aidé par la France, M. Déby avait réussi à chasser son ex-compagnon du pouvoir
« Tous les autres inculpés ont échappé à la justice par le seul fait d’une personne (…) qui elle-même devrait se retrouver ici pour avoir été le chef d’une féroce police politique (…) nous nourrissons l’espoir que la justice rattrapera un jour tous les responsables de la mort de milliers de frères et sœurs du Tchad », a déclaré Me Gueye durant la cérémonie durant laquelle la plupart des officiels annoncés, notamment les diplomates et les ministres étaient absents.