Comme partout ailleurs dans le monde, l’Afrique organise sa riposte contre les ravages de la pandémie du Covid-19. A la crise sanitaire, s’ajoutent d’autres crises qui compliquent la situation pour nombre de pays. Ouestaf News profite de cette occasion pour donner la parole aux Africains de tout bord, afin qu’ils apportent leur éclairage sur notre manière de faire face à l’épidémie. Au-delà de la seule riposte médicale, il s’agit aussi de saisir cette opportunité pour poser le débat sur l’Afrique, ses défis, son avenir, sa relation avec le reste du monde. Dans ce quatrième texte, Moussa Ndiaye, professeur de philosophie se veut optimiste. Il entrevoit une lumière et des changements positifs sur le continent, une fois l’épidémie vaincue, mais à une condition : que le « devoir » soit érigé en culte.
Par Moussa Ndiaye*
« Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer.». Gaston berger.
La pandémie du Covid-19, sur la base des chiffres disponibles, est en train de ravager l’Europe, l’Asie et les Etats Unis. Voilà un épineux problème de santé publique qui voit un « infiniment petit » massacrer un « infiniment grand ». Ce virus, subitement ou « intentionnellement » apparu en Chine en novembre-décembre 2019, est en train de montrer au monde entier qu’il vaut plus qu’une arme de destruction massive, plus que la bombe atomique.
En l’espace de cinq mois, avec les milliers de cas positifs et de décès enregistrés jusque-là, la pandémie devient de plus en plus inquiétante et plonge le monde entier dans le désarroi total.
L’Afrique, engagée depuis plusieurs décennies dans la lutte contre la malaria, saura-t-elle faire face au Covid-19 ? Comment l’Afrique, plongée depuis les indépendances dans une quête perpétuelle de son indépendance économique, dans une recherche incessante de solutions de sortie de crise en République démocratique du Congo, au Mali, au Darfour…, pourrait-elle faire face au coronavirus ? Par quels moyens, quels dispositifs l’Afrique arriverait-elle à s’échapper de ce fléau mondial ? Quel serait le nouveau visage de l’Afrique lorsque la pandémie sera entièrement vaincue ? Beaucoup d’interrogations qui méritent d’être examinées pour tenter d’analyser l’attitude du continent face à cette pandémie.
Le président sénégalais Macky Sall, dans le discours à la nation du 3 avril 2020, a sonné l’alarme : « l’heure est grave ! ». Si vraiment gravité il y a, c’est parce que les nations les plus touchées par la maladie sont aujourd’hui face à leur propre destin et semblent impuissantes. L’heure est donc grave. Il faut agir vite.
Avant le Covid-19, nous étions les témoins d’une Afrique malade de ses guerres, de son endettement, du terrorisme, de la mal gouvernance… Cette Afrique-là va-t-elle résister à une nouvelle catastrophe ? L’incertitude plane sur le continent. Toutefois, nous ne saurons baisser les bras et laisser cet « être vivant » microscopique et invisible nous anéantir.
Peu importe si les chiffres annoncés sont de loin inférieurs à ceux de l’Europe et des Etats Unis. C’est le moment de s’unir, de tourner le dos à l’indiscipline, à l’irresponsabilité. A l’heure actuelle, une des règles d’or devrait être « respect ». Respect des couvre-feux, respect du confinement, respect des directives venant des autorités administratives et sanitaires, ce que nous résumons par un autre concept, celui de « devoir ».
André Cresson défendait qu’aucune société ne pourrait être stable, durable si ses membres n’ont pas le « fétichisme du devoir », c’est-à-dire une croyance ferme à l’acquittement du devoir comme l’enseignent d’ailleurs les religions monothéistes et la morale universelle. Et c’est ce que nous attendons des Africains, ne serait-ce que pour infirmer les propos abominables, les préjugés racistes émis par les penseurs occidentaux des XVIIIe et XIXe siècles : les Africains furent, par exemple, accusés d’indiscipline, de barbarie par le philosophe allemand Hegel et du manque d’intelligence par le britannique David Hume.
C’est pourquoi, le devoir de discipline et de respect est un impératif catégorique pour sauver l’Afrique. En ce sens, le devoir n’est que l’intention et la volonté de bien faire, exigence purement désintéressée, simplement motivée par le respect de la loi. Ainsi perçu, le devoir conduit pour une bonne part à l’union et à la concorde nécessaires à l’éradication de n’importe quel fléau.
Qui plus est, des peuples, des nations, des sociétés, dans des moments très difficiles de leur parcours historique, se sont tirés d’affaire grâce à des armes solides : la discipline, le devoir, le respect. Le Japon, par exemple, n’avait-il pas capitulé au soir des bombardements des villes d’Hiroshima et de Nagazaki en août et septembre 1945 vers la fin de la seconde guerre mondiale ? Qu’est devenu le japon ? N’est-il pas compté parmi les nations les plus puissantes ? Ce qui lui a valu cette place mondiale, c’est sans doute sa haute « morale du devoir » : devoir du travail dur et bien fait, devoir de sacrifice pour la nation, devoir de respect de la loi, devoir d’assumer pleinement ses responsabilités, etc.
En perspective, et à supposer que la pandémie se trouve derrière nous, l’optimisme nous amène à croire que nous verrons une Afrique sortie de sa léthargie, une Afrique qui tirera les leçons du Covid-19, qui lui permettront d’anticiper l’avenir. Cela passe par un changement des mentalités et des comportements.
Les défis sont donc énormes en Afrique et appellent de façon urgente à prendre des mesures drastiques et à poser des actes sérieux pour y faire face. Mais le développement économique et social ne pourra être effectif si plusieurs batailles – dont celles de l’éducation, de la santé, de la justice – ne sont pas remportées.
Aucun développement n’est possible sans évidemment une éducation de qualité pour tous. A l’heure où nous parlons, le secteur de l’éducation est en crise dans certains pays africains comme le Sénégal : grèves périodiques et répétitives des enseignants, instabilité dans les universités, etc. Mais à l’ère du Covid-19, les défis sanitaires semblent plus pressants et préoccupants. La santé publique se retrouve au cœur des problèmes existentiels de l’homme.
Pour finir, nous ne pouvons pas manquer de le souligner : l’égyptologue Cheikh Anta DIOP jadis connu pour son dévouement à la cause du continent, montrait qu’« il n’y a qu’un seul salut, c’est la connaissance directe et aucune paresse ne pourra nous dispenser de cet effort (…) A formation égale, la vérité triomphe. Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel ». Conscient du passé douloureux du continent noir, le savant sénégalais, dans ces propos prononcés lors d’une conférence à l’Université de Niamey en mai 1984 portant sur l’apport de l’Afrique à la civilisation, montre fermement que l’avenir de l’Afrique dépend de la manière dont elle s’approprie la science universelle et ses valeurs fondamentales.
Notre « devoir » ici est donc d’ouvrir les yeux et de reconstruire le continent en repartant sur de nouvelles bases. Pour cela, il faut lire correctement le passé avec des yeux objectifs, s’armer de « devoir » pour parvenir à gagner tous les combats dont celui du Covid-19.
Ensemble, nous vaincrons !
(*)Moussa Ndiaye, est professeur de philosophie au lycée Ahmadou Ndack Seck de Thiès au Sénégal, Il est titulaire d’un Master en études africaines (philosophie africaine)
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