Par Adebayo Olukoshi, secrétaire exécutif, Codesria
Le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA) a appris avec une grande tristesse le décès, à Ouagadougou (Burkina Faso), le 4 décembre 2006, d’un des plus illustres intellectuels-citoyens d’Afrique, l’incomparable Joseph Ki-Zerbo.
Historien émérite, panafricain par instinct et par choix, infatigable combattant du changement et de la justice sociale, militant de l’autosuffisance collective, professeur d’au moins trois générations de chercheurs africains en sciences sociales, source intarissable d’inspiration de nombre de ceux qui ont eu la chance de le rencontrer, grand exemple de dévouement au service de la communauté, Grand fromager, Roi de la savane africaine, debout dans sa dignité et sa majesté.
C’était là l’essence de Joseph Ki-Zerbo qui, s’en est allé, après 84 années passées parmi nous, laissant son empreinte indélébile dans le sable du temps, de tous les temps, en nous exhortant, en honneur de sa mémoire, à reprendre le flambeau, avec courage et engagement, jusqu’à la libération effective de l’Afrique.
Né d’un père qui serait le premier converti au christianisme de ce qui n’était pas encore la
Haute-Volta, Joseph Ki-Zerbo s’est très tôt lancé sur une trajectoire d’historien engagé au service de l’Afrique avec un puissant intérêt pour deux préoccupations jumelles : la démocratie et le développement.
Jeune universitaire, il s’est investi dans l’étude de l’histoire de l’Afrique, aidant, à travers ses travaux originaux, à la fois à enrichir la méthode historique et à répondre aux mensonges de l’époque, dont, et pas des moindres, le discours raciste selon lequel l’Afrique était un continent sans histoire.
Avec d’autres historiens nationalistes de sa génération, il a produit une impressionnante littérature qui constitue la base de l’histoire africaine désormais considérée comme un domaine de connaissance complet avec ses méthodes et ses outils propres. Une part importante de cet effort s’est exprimée dans le cadre de la rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique publiée par l’UNESCO dont il fut un des éditeurs.
Son rôle de doyen des historiens africains a également consisté à consacrer une large partie de son temps à la mise en place des fondements institutionnels de la production et de la reproduction des connaissances historiques en Afrique et sur l’Afrique. Le rôle majeur qu’il a joué au sein de l’Association des Historiens Africains en est notamment un témoignage éloquent.
Pour Joseph Ki-Zerbo, collecter et documenter l’histoire de l’Afrique était une préoccupation essentielle à laquelle il s’est entièrement consacré tout au long de sa vie. Cependant, il n’était pas évident que cette histoire seule – avec ses points forts et ses petits moments – puisse servir de fondement à la création d’une base autonome à l’émancipation politique, économique, sociale et culturelle de l’Afrique et de ses peuples.
C’est pourquoi, avec cette préoccupation, il s’est plongé, en tant que militant et universitaire, dans les luttes pour la libération nationale, la démocratie, la justice sociale et le développement, sans s’excuser auprès de ceux qui auraient pu penser qu’il allait trop loin au-delà de sa vocation universitaire, en s’impliquant dans les contestations politiques locales et mondiales. Ce faisant, il a assumé simultanément différents rôles: enseignant, universitaire prolifique, militant infatigable de différents mouvements sociaux, dirigeant de parti politique – le plus souvent dans l’opposition – et enfin, conscience de la nation africaine.
Tel était l’infatigable Joseph Ki-Zerbo, un homme passionné par ses convictions et qui était prêt à en payer le prix lorsque cela était nécessaire. C’est ainsi qu’il quitta son poste en France pour se mettre au service de la Guinée de Sékou Touré qui avait réussi à arracher son indépendance en sachant mobiliser le peuple guinéen contre la Communauté française, le projet de Charles de Gaulle visant à créer une fédération entre la France et l’Afrique afin de maintenir le joug colonial sous une autre forme. De même, il sera contraint de s’exiler à Dakar dans les années 80.
Peu d’intellectuels de sa génération ont émergé pour devenir comme lui une encyclopédie vivante de l’histoire humaine, avec des souvenirs détaillés d’évènements importants de l’histoire africaine et du monde du 20ème siècle dont il avait été un témoin voire un acteur de premier plan. Joseph Ki-Zerbo a eu des rencontres officielles et informelles avec nombre des dirigeants du projet d’indépendance africaine, tels Kwame Nkrumah, Sékou Touré, Frantz Fanon, Modibo Keita, Amilcar Cabral, Jomo Kenyatta, Tom Mboya et Julius Nyéréré, pour n’en citer que quelques uns.
Il a participé à tous les grands débats sur le futur du panafricanisme quand vint l’indépendance, ainsi qu’aux réflexions sur les alternatives de développement du continent. Cependant, à travers toutes ces expériences, il n’a jamais compromis son intégrité intellectuelle ni son honnêteté personnelle, un fait qui lui a valu le privilège moral de reprocher -publiquement et en privé-à la première génération d’africanistes l’abandon des idéaux nationalistes au profit de projets individuels visant à maximiser leur pouvoir et leurs intérêts. De ce fait, sa voix était celle de l’autorité, et toute sa vie, alors que la première génération de dirigeants africains laissait la place à d’autres, il s’est réservé le droit, dans cette manière magistrale et unique, de conseiller, de rappeler, de critiquer et de condamner.
Les membres du CODESRIA ont été heureux d’avoir un aperçu de cette riche expérience personnifiée lorsque Joseph Ki-Zerbo prononça une des conférences magistrales marquant la célébration du 30ème anniversaire du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique en décembre 2003 à Dakar (Sénégal).
Ce fut également une occasion au cours de laquelle, en reconnaissance de sa contribution, il fut honoré par la communauté des chercheurs africains en sciences sociales qui lui décerna la qualité de membre à vie du CODESRIA, en même temps que Ngugi wa Thiong’o, Archie Mafeje et Ali Mazrui.
Aucun des 500 universitaires africains ayant écouté son discours en cette occasion n’a quitté la salle sans se sentir inspiré par tant de richesse et de clarté contenues dans le propos ainsi que par la cohérence et la lucidité avec laquelle, malgré ses presque 82 ans, il avait transmis ce message.
C’était là notre Joseph Ki-Zerbo, le Fromager sans âge qui, pour la communauté de la recherche en sciences sociales, était un mentor en toutes saisons. Au-delà même de l’Afrique, il a été célébré comme un don rare à l’Humanité ainsi que le montrent les nombreuses distinctions qu’il s’est vu décerner, notamment le Prix Nobel Alternatif, attribué par des associations sociales de bases à des personnalités de renommée internationale.
En tant qu’institution, le CODESRIA lui est particulièrement reconnaissant, ainsi qu’à son épouse, Jacqueline et à ses enfants, de lui avoir donné le privilège, peu de temps avant sa disparation, d’enregistrer des interviews consacrés à sa vie, son oeuvre et son temps. En faisant cela, Joseph Ki-Zerbo et sa famille ne pouvaient faire un cadeau plus somptueux à léguer aux membres du CODESRIA, à la grande communauté des chercheurs africains en sciences sociales et au monde. Ces matériaux d’une grande richesse, recueillis dans le cadre de l’initiative du Conseil visant à rassembler les contributions des grands chercheurs africains dans un format numérique, devraient devenir un formidable outil pédagogique pour les générations présentes et futures.
Au moment où nous exprimons notre tristesse et nos regrets à l’occasion de son départ, nous sentons également que nous devons célébrer sa vie et nous réjouir que pendant son existence, Joseph Ki-Zerbo, ait été parmi nous et que nous n’en avons été que plus heureux.
En effet, les grands universitaires de son envergure sont particulièrement rares et au-delà de ces considérations, il était tout simplement une personne exceptionnelle.
Longue vie à Joseph Ki-Zerbo.
Historien émérite, panafricain par instinct et par choix, infatigable combattant du changement et de la justice sociale, militant de l’autosuffisance collective, professeur d’au moins trois générations de chercheurs africains en sciences sociales, source intarissable d’inspiration de nombre de ceux qui ont eu la chance de le rencontrer, grand exemple de dévouement au service de la communauté, Grand fromager, Roi de la savane africaine, debout dans sa dignité et sa majesté.
C’était là l’essence de Joseph Ki-Zerbo qui, s’en est allé, après 84 années passées parmi nous, laissant son empreinte indélébile dans le sable du temps, de tous les temps, en nous exhortant, en honneur de sa mémoire, à reprendre le flambeau, avec courage et engagement, jusqu’à la libération effective de l’Afrique.
Né d’un père qui serait le premier converti au christianisme de ce qui n’était pas encore la
Haute-Volta, Joseph Ki-Zerbo s’est très tôt lancé sur une trajectoire d’historien engagé au service de l’Afrique avec un puissant intérêt pour deux préoccupations jumelles : la démocratie et le développement.
Jeune universitaire, il s’est investi dans l’étude de l’histoire de l’Afrique, aidant, à travers ses travaux originaux, à la fois à enrichir la méthode historique et à répondre aux mensonges de l’époque, dont, et pas des moindres, le discours raciste selon lequel l’Afrique était un continent sans histoire.
Avec d’autres historiens nationalistes de sa génération, il a produit une impressionnante littérature qui constitue la base de l’histoire africaine désormais considérée comme un domaine de connaissance complet avec ses méthodes et ses outils propres. Une part importante de cet effort s’est exprimée dans le cadre de la rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique publiée par l’UNESCO dont il fut un des éditeurs.
Son rôle de doyen des historiens africains a également consisté à consacrer une large partie de son temps à la mise en place des fondements institutionnels de la production et de la reproduction des connaissances historiques en Afrique et sur l’Afrique. Le rôle majeur qu’il a joué au sein de l’Association des Historiens Africains en est notamment un témoignage éloquent.
Pour Joseph Ki-Zerbo, collecter et documenter l’histoire de l’Afrique était une préoccupation essentielle à laquelle il s’est entièrement consacré tout au long de sa vie. Cependant, il n’était pas évident que cette histoire seule – avec ses points forts et ses petits moments – puisse servir de fondement à la création d’une base autonome à l’émancipation politique, économique, sociale et culturelle de l’Afrique et de ses peuples.
C’est pourquoi, avec cette préoccupation, il s’est plongé, en tant que militant et universitaire, dans les luttes pour la libération nationale, la démocratie, la justice sociale et le développement, sans s’excuser auprès de ceux qui auraient pu penser qu’il allait trop loin au-delà de sa vocation universitaire, en s’impliquant dans les contestations politiques locales et mondiales. Ce faisant, il a assumé simultanément différents rôles: enseignant, universitaire prolifique, militant infatigable de différents mouvements sociaux, dirigeant de parti politique – le plus souvent dans l’opposition – et enfin, conscience de la nation africaine.
Tel était l’infatigable Joseph Ki-Zerbo, un homme passionné par ses convictions et qui était prêt à en payer le prix lorsque cela était nécessaire. C’est ainsi qu’il quitta son poste en France pour se mettre au service de la Guinée de Sékou Touré qui avait réussi à arracher son indépendance en sachant mobiliser le peuple guinéen contre la Communauté française, le projet de Charles de Gaulle visant à créer une fédération entre la France et l’Afrique afin de maintenir le joug colonial sous une autre forme. De même, il sera contraint de s’exiler à Dakar dans les années 80.
Peu d’intellectuels de sa génération ont émergé pour devenir comme lui une encyclopédie vivante de l’histoire humaine, avec des souvenirs détaillés d’évènements importants de l’histoire africaine et du monde du 20ème siècle dont il avait été un témoin voire un acteur de premier plan. Joseph Ki-Zerbo a eu des rencontres officielles et informelles avec nombre des dirigeants du projet d’indépendance africaine, tels Kwame Nkrumah, Sékou Touré, Frantz Fanon, Modibo Keita, Amilcar Cabral, Jomo Kenyatta, Tom Mboya et Julius Nyéréré, pour n’en citer que quelques uns.
Il a participé à tous les grands débats sur le futur du panafricanisme quand vint l’indépendance, ainsi qu’aux réflexions sur les alternatives de développement du continent. Cependant, à travers toutes ces expériences, il n’a jamais compromis son intégrité intellectuelle ni son honnêteté personnelle, un fait qui lui a valu le privilège moral de reprocher -publiquement et en privé-à la première génération d’africanistes l’abandon des idéaux nationalistes au profit de projets individuels visant à maximiser leur pouvoir et leurs intérêts. De ce fait, sa voix était celle de l’autorité, et toute sa vie, alors que la première génération de dirigeants africains laissait la place à d’autres, il s’est réservé le droit, dans cette manière magistrale et unique, de conseiller, de rappeler, de critiquer et de condamner.
Les membres du CODESRIA ont été heureux d’avoir un aperçu de cette riche expérience personnifiée lorsque Joseph Ki-Zerbo prononça une des conférences magistrales marquant la célébration du 30ème anniversaire du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique en décembre 2003 à Dakar (Sénégal).
Ce fut également une occasion au cours de laquelle, en reconnaissance de sa contribution, il fut honoré par la communauté des chercheurs africains en sciences sociales qui lui décerna la qualité de membre à vie du CODESRIA, en même temps que Ngugi wa Thiong’o, Archie Mafeje et Ali Mazrui.
Aucun des 500 universitaires africains ayant écouté son discours en cette occasion n’a quitté la salle sans se sentir inspiré par tant de richesse et de clarté contenues dans le propos ainsi que par la cohérence et la lucidité avec laquelle, malgré ses presque 82 ans, il avait transmis ce message.
C’était là notre Joseph Ki-Zerbo, le Fromager sans âge qui, pour la communauté de la recherche en sciences sociales, était un mentor en toutes saisons. Au-delà même de l’Afrique, il a été célébré comme un don rare à l’Humanité ainsi que le montrent les nombreuses distinctions qu’il s’est vu décerner, notamment le Prix Nobel Alternatif, attribué par des associations sociales de bases à des personnalités de renommée internationale.
En tant qu’institution, le CODESRIA lui est particulièrement reconnaissant, ainsi qu’à son épouse, Jacqueline et à ses enfants, de lui avoir donné le privilège, peu de temps avant sa disparation, d’enregistrer des interviews consacrés à sa vie, son oeuvre et son temps. En faisant cela, Joseph Ki-Zerbo et sa famille ne pouvaient faire un cadeau plus somptueux à léguer aux membres du CODESRIA, à la grande communauté des chercheurs africains en sciences sociales et au monde. Ces matériaux d’une grande richesse, recueillis dans le cadre de l’initiative du Conseil visant à rassembler les contributions des grands chercheurs africains dans un format numérique, devraient devenir un formidable outil pédagogique pour les générations présentes et futures.
Au moment où nous exprimons notre tristesse et nos regrets à l’occasion de son départ, nous sentons également que nous devons célébrer sa vie et nous réjouir que pendant son existence, Joseph Ki-Zerbo, ait été parmi nous et que nous n’en avons été que plus heureux.
En effet, les grands universitaires de son envergure sont particulièrement rares et au-delà de ces considérations, il était tout simplement une personne exceptionnelle.
Longue vie à Joseph Ki-Zerbo.
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