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Le rapport « doing business » : enjeux idéologiques et politiques

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Ci-gît Doing Business ! Créé en 2002 par la Banque mondiale pour parfaire la qualité de la réglementation des affaires dans les économies mondiales, ce programme annuel à dix indicateurs vient d’être supprimé après le signalement d’« irrégularités (…) dans les données des éditions 2018 et 2020 », indique une déclaration publiée à cet effet par l’institution sur son site le 16 septembre 2021. Doing Business, considéré comme un baromètre « néolibéral » par ses méthodes et ses objectifs, paie sans doute une impertinence soulignée à plusieurs reprises par des voix autorisées comme celle du Dr Chérif Salif Sy dont Ouestaf News reproduit ici un article prémonitoire, publié en 2013, sur la vraie nature dudit programme.

Par Dr Chérif Salif Sy*

A lire la presse sénégalaise, à entendre la classe politique ainsi que la grande majorité des organisations dites de la « société civile », on a l’impression que, dans les différents rapports publiés par le PNUD, la Banque Mondiale et d’autres institutions internationales, il n’y a pas d’enjeux autres que le classement et que les processus sont totalement neutres.

1. Quand ce qui éblouit n’éclaire pas nécessairement

Rares sont ceux qui comme le statisticien Moubarack Lo vont à « l’intérieur » de ces rapports pour analyser les déterminants des variables retenues ainsi que les conditionnalités économiques et sociales « suggérées » pour « être compétitifs » et qui en tirent les enseignements les plus utiles.

Dans un excellent article relatif au Rapport sur le développement humain du PNUD, intitulé « le Sénégal et l’indice de développement humain » et publié dans Wal-fadjri daté du 21 février 2009, M. Lo écrit : « le Sénégal fait une fois encore partie des pays les moins performants concernant l’Indice de Développement Humain (IDH). Il se classe, comme pour l’année dernière, au peu glorieux 156 ème rang sur un total de 177 pays étudiés par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)… Au demeurant, l’analyse fine des données du PNUD fait ressortir deux principaux enseignements. D’abord, le Sénégal n’est pas mauvais dans toutes les composantes de l’indice synthétique qu’est l’IDH. Son espérance de vie (62,3 ans) s’est beaucoup améliorée. Elle est désormais presque équivalente à celle de l’Asie du Sud (63,8 ans) et représente 13 ans de plus que la moyenne africaine. Son score concernant la richesse nationale (produit intérieur brut) est également assez voisin de la moyenne continentale. En revanche, le Sénégal est particulièrement faible dans le domaine de l’alphabétisation des adultes, avec un taux de 39,3% (contre 60,3% en Afrique subsaharienne) et de l’éducation, avec un taux de scolarisation combiné pour le primaire, le secondaire et le supérieur de 39,6% (contre 50,6% en Afrique subsaharienne) … Le deuxième enseignement qu’on peut tirer de l’examen du rapport de l’IDH, c’est que le Sénégal, malgré tout, progresse, non pas dans son classement relatif, mais dans son score global. Entre 1975 et 2005, il est passé d’une note de 0,342 (sur 1) à une note de 0,499 ; soit, un gain de 0,157 points en trente ans et une hausse de son IDH de 46% sur la période. Ce qui fait que le Sénégal rattrape progressivement son retard par rapport à plusieurs pays africains qui étaient initialement situés largement devant lui (Ghana, Ouganda, Kenya, Congo, Afrique du Sud, Zimbabwe), tout en perdant, dans le même temps, du terrain par rapport à d’autres (Maurice, Tunisie, Cap vert, Egypte, Maroc) ».

Au surplus, on peut compléter M. Lo en faisant remarquer que dans l’Edition 2004 du rapport du PNUD sur le développement humain, par exemple, le Sénégal est classé 157e sur 177 pays et il est à la 30ème place parmi les pays africains. Mais, si on regarde bien l’évolution de l’Indice, de 2001 à 2004, il apparaît comme faisant partie des 25 pays en Afrique, qui progressent le plus. Le Sénégal est même classé 10ème pays ayant fait le plus d’effort, là où des pays comme la Tunisie, l’Ile Maurice, la Libye, les Seychelles sont classées entre les 26 et 35ème places. Ces pays qui, dans le classement en chiffres absolus, constituent le peloton de tête du classement africain. Ce sont ces efforts résultant d’un sursaut de l’ensemble des Sénégalais qui se poursuivent depuis et que rappelle Moubarack Lo. Il faut noter d’ailleurs, selon le PNUD, que notre pays était parmi les 16 dont le niveau de vie en 1996, était atteint au début des années 60.

Voilà, à mon avis une façon d’exploiter ce genre de document, qui permet de tirer des enseignements utiles ou même, d’apporter les correctifs nécessaires, le cas échéant. On citera également El Hadji Gorgui Wade NDOYE de ContinentPremier.Com pour la qualité des restitutions dont il nous gratifie concernant le Rapport économique de Davos.

2. « Doing business » et les droits des salariés

Le Doing Business mesure la réglementation des affaires dans 183 pays. Le classement qui part des meilleures aux moins bonnes notes n’informe pas suffisamment, il éblouit plus qu’il éclaire. Ces rapports étant souvent d’une grande utilité, il importe d’aller dans le contenu pour bien saisir ce qui est en jeu.

Partant du principe que l’activité économique doit reposer sur des règles solides, Doing Business considère qu’il faut « des règles pour définir clairement les droits de propriété et réduire les coûts de règlement des litiges commerciaux, pour améliorer la prévisibilité des relations économiques et pour offrir une protection essentielle aux partenaires contractuels contre les abus ». Cette réglementation doit être efficace, accessible à tous ceux qui en ont besoin et simple à appliquer. Deux types de données sont utilisés : d’une part, les textes législatifs et réglementaires, d’autre part, les indicateurs de temps et mouvements qui mesurent l’efficacité avec laquelle une réglementation est mise en œuvre.

Doing Business classe les économies en fonction de 10 indicateurs de réglementations commerciales : la création d’entreprise, l’octroi de permis de construire, l’embauche des travailleurs, le transfert de propriété, l’Obtention de prêts, la protection des investisseurs, le paiement des taxes et impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution des contrats, la fermeture d’entreprise.

Le classement ne tient pas compte des politiques macroéconomiques, de la sécurité, des compétences professionnelles de la population ni de la solidité du système financier ou des règlementations relatives aux marchés financiers.

Dans une note du 27 avril 2009, la Banque Mondiale affirmait que l’indicateur Doing Business concernant la flexibilité du marché du travail, (que d’aucuns pourraient considérer comme un encouragement à la réduction de la protection des travailleurs), « ne constitue pas une politique de la Banque mondiale et ne devrait pas être utilisé en tant que base pour les conseils politiques ou dans tout document afférent aux programmes de pays ». Elle prit l’engagement de supprimer l’indicateur en question du cadre des conditions de prêt de l’institution. C’est donc le constat du maintien de cet indicateur dans la nouvelle édition 2010 qui suscite notre réaction. Car la Banque Mondiale s’était engagée pour un renforcement des filets sociaux pour protéger les millions de travailleuses et travailleurs ayant perdu leur emploi sous l’effet de la crise économique mondiale. Pourquoi a-t-elle maintenu cet indicateur ?

En réalité, Doing business, pour aider à créer un bon environnement des affaires, a beaucoup de mal à se départir de sa vision néolibérale, reposant sur un capitalisme de marché qui vise à réduire les réglementations économiques stabilisatrices et les budgets sociaux ainsi que l’ouverture du pays au commerce et à l’investissement. Dans le rapport Doing Business 2010, il est recommandé aux pays de revoir à la baisse les indemnités de licenciement accordées aux salariés licenciés et de réduire ou supprimer tout bonnement les obligations relatives au préavis de licenciement. Au lieu d’inciter les pays à améliorer la protection sociale des travailleurs pour atténuer l’impact de la crise mondiale. En d’autres termes, les salariés constituent une charge dont il faut absolument réduire le coût au moment où relativement à la Crise, le risque systémique est évité.

Les fondements théoriques qui sous-tendent cette vision méritent d’être rappelés : selon la conception néolibérale, le marché, par définition, fonctionne parfaitement et la demande doit être égale à l’offre quel que soit le bien, le facteur ou les services en cause ; s’il y a des problèmes d’emploi de la main d’œuvre (le chômage), les marchés n’en sont pas responsables. Cela ne peut venir que des salaires exigés par des « syndicats cupides ».

La démonstration a été faite depuis longtemps de l’aberration de cette théorie-idéologie.

En parcourant le rapport de 2010, il apparaît que le Portugal est déclassé pour avoir rallongé de deux semaines la période de préavis de licenciement ; le Cambodge est cité parmi les pays qui « rendent difficile la pratique des affaires » par l’introduction d’une contribution de sécurité sociale ; le Honduras, est critiqué pour avoir augmenté les indemnités de licenciement et les obligations liées au préavis de départ en réponse à la crise économique.

Les pays qui suivent, pour avoir donné suffisamment de gages relativement au marché du travail, sont bien promus : le Rwanda, parce que « les employeurs ne sont plus tenus de procéder à des consultations préalables avec les représentants des salariés concernant les restructurations, ni d’en aviser l’inspection du travail. » ; la Macédoine, pour s’être débarrassée de mesures liées au recyclage des travailleuses et travailleurs sans emploi ; l’Ile Maurice, pour avoir abrogé l’indemnité de licenciement obligatoire ; la Géorgie citée comme un exemple, est mieux classée parce qu’elle a aboli la taxe sociale ; la Biélorussie par la mise en place de politiques facilitant les licenciements sommaires est promue par un score élevé. Manifestement, les pays sont découragés à adopter des programmes de protection sociale en qualifiant les gouvernements qui le font de « non compétitifs » sur le plan des affaires.

Ces aspects du rapport Doing Business méritent d’être connus, à un moment où, par la folie du Capitalisme, tellement de gens ont besoin de notre soutien, de notre solidarité et de notre compassion. Malheureusement, il sera toujours possible de réviser la protection sociale des travailleurs à la baisse tant que ces Institutions internationales occuperont la place centrale dans la détermination des politiques. Donc, il faudrait que nos pays négocient mieux, en associant leurs experts, particulièrement les économistes et les anthropologues, spécialistes notamment de l’anthropologie économique qui étudie les formes de production et de répartition des biens et l’anthropologie politique qui s’attache aux formes d’autorité et de pouvoir et spécialement à la formation de l’unité politique, voire à celle de l’Etat. Ils ont l’avantage de mieux connaître nos environnements, la politique, les mœurs, les réalités et la société dans laquelle ils vivent en permanence.

Conclusion : Dialogue possible ?

La Banque Mondiale est une institution publique qui appartient à tous les pays. Elle devra nous permettre de l’aider à aller vers encore plus de réformes courageuses, utiles, efficaces et soutenables pour les pays du Sud que ne le ferait le FMI, moins enclin à développer l’ouverture au dialogue. Celui-ci changera peut-être sous l’impulsion de son équipe actuelle conduite par le français Dominique Strauss-Kahn. CSS.

* Dr Chérif Salif Sy, Consultant international, secrétaire général de l’Association sénégalaise des économistes (ASE). Membre du Forum du Tiers Monde.

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