Ouestafnews – Astou Sané, Baba Sané et Mathilde Sagna sont trois personnes de religions, de localités et de tranches d’âge différentes qui pourtant partagent un mal commun : une maladie qui les coupe du monde extérieur.
Il n’a pas plu depuis des jours dans le village de Badiouré (10 km de la commune de Bignona (Sud du Sénégal). La chaleur est insupportable. Il est quasiment impossible de rester entre quatre murs. On y étoufferait vite. Pourtant, Astou Sané, 55 ans, ne sort pas profiter de l’ombre des arbres, dans la cour de sa maison.
Confinée dans sa chambre depuis des mois, elle préfère endurer la chaleur étouffante de la pièce, plutôt que de supporter les regards que sa sortie ne manquera pas d’attirer. «Tout le village est au courant de ce que j’ai», dit-elle à voix basse, sur un ton dépité.
Ce qu’elle a tant voulu cacher aux villageois, en vain, c’est la fistule obstétricale dont elle souffre depuis un an. Cette maladie se manifeste par l’écoulement continu de liquide urinaire ou de matière fécale, occasionné par l’apparition d’une lésion qui se développe entre la vessie et le vagin. Ou dans d’autres cas, entre le rectum et le conduit vaginal.
Un an de calvaire
La première chose que l’on remarque chez Astou Sané, c’est la maigreur de son buste qui contraste fortement avec ses jambes enflées. « A force de rester immobile, j’ai les jambes qui enflent», explique-t-elle.
Assise dans un petit lit posé à côté d’une porte qui donne sur une petite cour intérieure, elle s’empresse d’arranger des piles de pagnes autour d’elle. Mais l’odeur de l’encens qui flotte dans la chambre n’arrive à dominer celle de l’urine.
La maladie d’Astou a commencé, il y a un an. « L’année dernière en pareille période», précise-t-elle. Contrairement aux autres femmes qui contractent cette maladie suite à des complications d’un accouchement, le mal d’Astou s’est installé progressivement.
«Mes jambes ont commencé par s’alourdir. Et j’étais obligée de me déplacer avec une béquille », témoigne-t-elle. Elle raconte qu’un soir, elle a eu la désagréable sensation que les os de son bassin s’entrecroisaient brusquement dans son bas-ventre.
«Depuis ce jour, je n’arrive plus à retenir mes urines. Le pire est que je ne les sens même pas venir ». Elle s’est rendue trois fois à l’hôpital régional de Ziguinchor, mais « on ne me dit jamais ce que j’ai », se plaint-elle.
Selon elle, les médecins se contentent de lui donner des médicaments, et de lui fixer d’autres rendez-vous. Des rencontres qu’elle a tôt fait d’abandonner, faute de moyens. Pour la soulager un peu de son mal, le médecin-chef décide de lui mettre une sonde urinaire.
Séquestrée par sa belle famille
Le témoignage d’Astou Sané démontre qu’en dehors d’un accouchement compliqué, la fistule peut avoir d’autres causes. En effet, selon Ndeye Astou Sylla, coordonnatrice de la maison d’accueil de femmes atteintes de fistule obstétricale, située au centre Guindi de Dakar, le canal vaginal peut également être rompu suite à un viol avec violence.
Selon un document d’une réunion sur la fistule gynécologique traumatique, tenue à Addis-Abeba, en 2005, des milliers de femmes en République Démographique du Congo s’enquirent d’un traitement contre la « fistule traumatique » causée par les viols collectifs systématiques qui eurent lieu dans le pays en 2003.
« Même un choc violent peut également causer une fistule », complète la coordonnatrice du centre d’accueil pour femmes atteintes de Fistules.
Si Astou Sané s’est volontairement mise à l’écart, « à Touba, une femme qu’on a hébergée dans le centre a été séquestrée, durant des mois, par sa belle-famille », témoigne Ndeye Astou Sylla.
Sa belle-famille, qui voulait cacher sa maladie, l’avait maintenait enfermée et faisait passer sa nourriture sous la porte. Elle ne la laissait sortir que la nuit, raconte Mme Sylla.
« Elle a réussi à s’enfuir avec l’aide d’une amie et a pu rejoindre le centre où elle est prise en charge. Maintenant, elle va bien, elle est même retournée dans son village », dit-elle.
Un mal bien mortel
Qualifiée de « complication non mortelle », la fistule obstétricale est pourtant une maladie mortelle. En effet, les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révèlent que 10 femmes sur 1.000 décédées des suites d’un accouchement, dans les pays en développement, succombent des suites d’une fistule obstétricale.
Le taux de fréquence de cette maladie est plus élevé dans les parties du pays où l’on pratique encore l’excision. Mais, « il y a une tendance qui fait que Touba est en train de devenir un des endroits où l’on rencontre le plus de femmes atteintes de fistule », affirme Ndeye Astou Sylla.
Même si elle n’arrive pas à donner les raisons de cette nouvelle tendance, elle confie que c’est durant les tournés effectuées par sa structure que cette situation lui a sauté aux yeux. « C’est peut-être dû au fait que des femmes quittent leurs localités d’origine pour rallier Touba et tenter de trouver du travail et payer un traitement » analyse-t-elle.
Une maladie qui reste à documenter
La fistule touche chaque année, dans le monde, 50.000 à 100.000 femmes, selon l’OMS. Même si, pour le Sénégal, le nombre de cas de personnes atteintes de fistule obstétricale est en baisse, « entre 400 et 500 personnes» sont touchées, selon le Dr Magaye Gaye, urologue à l’hôpital général de Grand Yoff de Dakar.
Toutefois, ces chiffres avancés par le Dr Gaye ne reflètent pas le nombre exact de femmes atteintes de cette maladie, révèle Ndeye Fatou Sylla.
Appelée dans certaines contrées « la maladie de l’ombre » ou « la maladie de la honte », la fistule obstétricale pousse certaines femmes, si elles ne sont pas déjà mises à l’écart par leur communauté, à s’écarter volontairement de la société. Par peur, pour le cas d’Astou Sané, «de gêner avec l’odeur».
Baba Sané, une vie entière avec la lèpre
Là où Astou Sané préfère se terrer dans sa chambre pour fuir les regards, Baba Sané, 85 ans, arbore fièrement les cicatrices laissées par sa maladie : la lèpre.
Cette assurance de Baba Sané est peut-être due au fait qu’il se trouve entouré de personnes ayant la même maladie que lui. Reclus dans le village de reclassement de Teubi, situé à quelques km de Ziguinchor, dans le sud-ouest du Sénégal, l’octogénaire dit ne plus craindre les regards.
De loin, assis sous un manguier devant sa maison, il renvoie l’image banale d’un vieillard dont le corps frêle s’est vouté sous le poids de l’âge. Mais, de plus près, l’on se rend compte que ce n’est pas que la vieillesse que son corps ne supporte pas. La maladie qu’il traine depuis son adolescence a aussi sa part de responsabilité.
En dehors de ses avant-bras parsemés de taches d’hyper pigmentations, la moitié de son visage est ravagée par les lésions cutanées. Ces dernières ont plus ou moins ménagé les yeux, comme pour mieux s’acharner sur le nez, n’épargnant qu’une narine.
Ses doigts sont déformés et figés, donnant ainsi à ses mains l’aspect d’une serre d’oiseaux. L’actuel chef de village de Teubi a passé presque toute sa vie avec cette maladie. Par moment, il lui arrive d’oublier sa condition, « jusqu’à ce qu’un regard insistant » vient le lui rappeler.
Mais ce qu’il a du mal à oublier, c’est le comportement de certaines personnes, lorsque le diagnostic a permis de mettre un nom sur le mal qui le rongeait, il y a de cela 74 ans. Les premières personnes à le rejeter étaient des membres de sa propre famille.
« Ils m’ont mis à l’écart, je mangeais seul, et les gens n’osaient plus toucher aux objets que j’utilisais. Certains ne s’approchaient pas de moi » dit-il. Mais, loin de ressentir de la rancœur, le chef de village se montre plutôt compréhensif : « que faire quand ce sont vos propres parents qui vous font subir ça ?». Et de poursuivre : « Avant les gens n’avaient pas cette connaissance aigue sur la maladie, donc c’était normal qu’ils me fuient ».
La lèpre étant une maladie dont la période d’incubation est très longue (entre cinq et 20 ans), Baba Sané a mis du temps à se rendre compte qu’il en était atteint.
Il raconte que la maladie s’est manifestée par l’apparition de boutons sur son corps, il était à l’époque adolescent. Ces derniers devenaient par la suite de petites plaies. « En ce moment-là (1952), il n’y avait pas encore d’hôpitaux et je ne faisais pas de pansements », révèle-t-il. Alors pour soigner ses boutons qui devenaient envahissants, il entreprit d’aller voir des marabouts. « J’ai même été jusqu’en Gambie pour rencontrer des marabouts en vain », narre-t-il.
Las de voir son mal empirer, et surtout de voir sa famille le tenir à l’écart, il intègre, sur les conseils d’un ami, le village de reclassement de Teubi. « Je faisais partie de la deuxième génération de patients à rejoindre le village. Et depuis lors, je n’ai plus jamais quitté le village, je me suis marié et j’ai eu mes enfants ».
Recrudescence dans le nord du pays
Les chiffres recueillis dans 138 pays des six régions de l’OMS, montrent que plus de 176 000 malades étaient recensés en 2015, et que 211 973 nouveaux cas environ avaient été notifiés. Au Sénégal, la maladie a été déclarée « sous contrôle », depuis 1995. Mais, elle a fait son retour depuis l’année dernière.
En effet, en 2016, dans la ville de Touba, 51 nouveaux cas ont été détectés. 42 autres cas ont été recensés à Kaolack et 32 dans le village de Mbaling. En tout, 322 cas ont été signalés depuis l’année dernière dans le pays, selon les autorités sanitaires.
La particularité de cette recrudescence est que plus de 15% des personnes diagnostiquées sont des jeunes âgés de moins de 15 ans.
Un agent pathogène particulier
Le bacille de Hansen, l’agent pathogène responsable de la lèpre, est le dernier germe pathogène pour l’homme que l’on ne sache pas encore cultiver sur milieux artificiels.
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Mathilde Sagna : l’épilepsie l’arracha des bancs universitaires
A voir Mathilde Sagna deviser gaiement avec des membres de sa famille, on a du mal à s’imaginer que la jeune fille vit un drame. Depuis deux ans, elle se bat contre l’épilepsie, qui a fini par l’arracher des bancs de l’université Gaston Berger.
En effet, la gaité apparente de la jeune fille peut à tout moment faire place à une crise violente, qui, à chaque fois, fait craindre le pire à ses proches. « On ne la quitte pas des yeux », affirme Pascal Sagna, son oncle.
Et cela ne leur demande pas beaucoup d’efforts, car la jeune femme, ne quitte pratiquement plus la maison familiale. « Je ne veux pas avoir une crise n’importe où et de me donner en spectacle » justifie la jeune fille de 24 ans.
Cette peur se justifie, puisque qu’à plusieurs reprises, elle a eu crises violentes, lorsqu’elle était étudiante. « C’est à mon réveille qu’on me racontait ce qui s’est passé. Et à chaque fois, les récits me donnent envie de me suicider », raconte-t-elle.
Des personnes se trouvant dans le même cas que Mathilde sont nombreux, car l’épilepsie est un problème de santé publique au Sénégal. Dix personnes sur mille souffrent de cette maladie. Soit une prévalence de 10%.
Qu’à cela ne tienne, les personnes atteintes de ce mal continuent de taire leur situation, de peur d’être victimes de stigmatisation. Selon Amadou Gallo Diop, président de la Ligue sénégalaise contre l’épilepsie, ces malades font souvent recours à un traitement traditionnel « cher, parfois dangereux, mais qui est malheureusement plus accessible ».
Personnel de santé concentré à Dakar
Même si le personnel de santé a augmenté, selon l’ancien ministre de la Santé et de l’Action sociale, Awa Marie Coll Seck, il reste confiné à Dakar. Ce qui constitue un gap qu’il faut résorber.
En effet, il n’est aisé de quitter certaines localités pour effectuer un traitement à Dakar. « Surtout si ces malades sont des enfants ».
DD/MN/AD
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