La révolution égyptienne qui a entraîné la chute de Hosni Moubarak a redonné la voix à la rue et fait revivre une vision plus juste de notre monde. La préservation des acquis sera une phase difficile, mais on peut comparer ce moment de pure réjouissance à la chute du Mur de Berlin ou à la libération de Nelson Mandela.
Quelles leçons pouvons-nous en tirer pour la Côte d’Ivoire et par extension pour le reste du continent africain ?
Premièrement : le désir de changement lorsqu’il se saisit d’un pays est une lame de fond difficile à contenir. Le peuple descend dans la rue et dit non.
Deuxièmement : la démocratie est peut-être ce qu’il y a de mieux à l’heure actuelle, mais ce mieux là doit changer car il ne répond plus aux aspirations d’un nombre croissant d’individus. Une démocratie de façade ou à plusieurs vitesses est une chose dangereuse. En ce qui concerne La Côte d’Ivoire, ce qui n’a peut-être pas été assez dit, c’est qu’au deuxième tour des élections présidentielles, les Ivoiriens se sont retrouvés devant un choix impossible : Laurent Gbagbo dont la mauvaise gestion du pays était flagrante depuis dix ans, ou Alassane Ouattara dont le passé politique et la personnalité étaient controversés dans la partie sud du pays. Par ailleurs, on peut se demander si les conditions étaient réunies pour la tenue d’élections libres et transparentes quand on sait que les séquelles de la rébellion de 2002 étaient encore si visibles ?
De toute évidence, non. Aujourd’hui, la cassure sociale n’a jamais été aussi profonde. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le système électoral mis en place sous l’arbitrage de L’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) a souffert d’un grave dysfonctionnement. Aujourd’hui, aucun des leaders en conflit – Alassane Ouattara ou Laurent
Gbagbo – ne peut se prévaloir d’être entièrement dans son droit étant donné qu’ils ont tous les deux été déclarés président de la République, l’un par le Conseil constitutionnel et l’autre, par la Commission électorale indépendante. On en vient à se demander si ces élections avaient une chance d’être démocratiques. En effet, le plus important pour Laurent Gbagbo, ce n’était pas d’avoir des élections justes et transparentes en Côte d’Ivoire, mais tout simplement de rester à son poste cinq années de plus. Quitte à mettre son peuple en danger. Depuis le début de la crise postélectorale, la montée de la violence et de la répression dans le pays en est la preuve.
Troisièmement : ce qui a manqué cruellement à Alassane Ouattara, c’est un mouvement de révolte collectif qui lui aurait donné une légitimité à l’Egyptienne. La force brutale exercée contre les deux marches organisées sur la télévision et la primature ne doit pas être sous-estimée, mais il n’en reste pas moins qu’elle n’explique pas tout. Il faut voir l’échec relatif de ces tentatives de soulèvement populaire ailleurs. Certes, il a fallu plusieurs décennies pour que les Tunisiens et les Egyptiens parviennent à ce stade de prise de conscience individuelle et collective, mais c’est tout de même une bonne leçon à retenir. Surtout parce que ce manque de soutien effectif met Alassane Ouattara et les membres de son entourage dans une situation très précaire. Retranchés à l’Hôtel du Golf, leur vie est entièrement entre les mains des forces internationales qui assurent leur protection.
Quatrièmement : on ne peut pas retourner les armes contre son propre peuple et espérer garder une légitimité. Soro Guillaume, le premier ministre du gouvernement d’Alassane Ouattara, prône une intervention militaire en Côte d’Ivoire afin de « déloger Gbagbo » par la force. Il est pourtant conscient, lui qui a été le chef de la rébellion, qu’un affrontement entre des troupes de l’Ecomog et l’armée régulière ivoirienne se solderait par d’énormes pertes en vies humaines et risquerait d’embraser toute la région. Quant à l’option de l’asphyxie financière, privilégiée par la communauté internationale, elle s’avère lente et très couteuse pour les économies nationale et régionale. Elle pourrait également mener à une guerre civile que tout le monde a voulu éviter.
Cinquièmement : désamorcer l’autodestruction. La situation en Côte d’Ivoire a pris la dimension d’une lutte à mort qui mène les deux protagonistes à la politique de la terre brûlée.
Sixièmement : retrouver le sens de l’abnégation, la reconnaissance d’un intérêt plus grand que l’accession au pouvoir.
Septièmement : rester optimiste. Face à ce qui semble insurmontable aujourd’hui, la confiance en l’avenir doit primée. C’est pourquoi, l’éventualité d’une présidence intérimaire devrait faire partie des solutions envisageables par l’Union Africaine. Après plusieurs tentatives de médiation sans succès, il
s’agira de soutenir un processus interne permettant d’identifier un Ivoirien ou une Ivoirienne au profil suffisamment neutre pour obtenir un consensus national. Tâche délicate mais pas inconcevable. A ce stade là, la participation de l’ONU et de la communauté internationale est plus que souhaitable car elle traduira la pleine reconnaissance des aspirations légitimes d’un peuple à la paix. Une présidence intérimaire permettra de stabiliser la situation dans le pays pendant que des solutions durables seront apportées aux problèmes structuraux qui minent la Côte d’Ivoire.
Huitièmement : l’armée a un rôle historique à jouer si elle sait se mettre au service de « l’intérêt supérieur de la nation » et assurer la protection des citoyens.
Neuvièmement : la jeunesse a montré qu’elle pouvait prendre son destin en main. Si en Afrique, elle est trop souvent manipulée par les pouvoirs en place comme en Côte d’Ivoire avec Les Jeunes Patriotes pro-Gbagbo, la Tunisie et l’Egypte nous ont démontré le contraire. N’oublions pas non plus qu’en 2008, plusieurs capitales africaines ont été secouées par des émeutes de la faim dénonçant la pauvreté endémique.
Dixièmement : tout est possible à ce qui ramène l’espoir.
*L’auteure, Véronique Tadjo est écrivaine et universitaire Ivoirienne)
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