Ouestafnews – Dans la première partie de l’entretien qu’elle a accordé à Ouestaf News, la militante togolaise Farida Bemba Nabourema, s’en était ouvertement prise à la France, accusée de soutenir une «dictature» au Togo. Dans cette deuxième partie de l’entretien avec notre rédaction, elle revient sur la mobilisation intérieure pour faire changer les choses ainsi que sur les multiples initiatives internationales pour obtenir des réformes et asseoir une démocratie apaisée et plus ouverte au Togo. Des efforts qui restent visiblement sans résultat. Au point de lasser les Togolais !
(Lire la première partie de l’interview)
Ouestafnews – Quel impact socio-économique, cette crise a-t-elle eu ?
F.B.N – Elle a eu un impact majeur, pas plus tard qu’en mars 2018, il y a eu une étude d’une institution qui a dit que les manifestations ont causé une perte de revenus de l’ordre de 40% à l’Etat togolais. D’août 2017 jusqu’à février 2018, les Togolais manifestaient presque toutes les deux semaines et cela durait trois à quatre jours, toutes les rues étaient bloquées et l’activité économique était au ralenti. Donc économiquement parlant il y a eu un impact (…).
Ouestafnews – Pensez-vous que la pression intérieure seule, soit suffisante pour venir à bout du régime ?
FBN – Je pense que la pression qu’il faut c’est aussi bien en interne qu’à l’international. Mais à l’extérieur, en tant que Togolaise je pense qu’on nous considère comme un peuple pacifique et ils se disent que nous avons une tolérance très avancée par rapport à la dictature et à la médiocrité. Ceci fait qu’on nous propose très souvent des solutions très insultantes à notre égard et quand les Togolais acceptent le minimum qu’ils proposent, le régime se permet de refuser de mettre en œuvre ses propres engagements.
Au Togo, le sentiment est qu’on ne peut pas compter sur les institutions internationales pour résoudre notre problème et de plus en plus les Togolais ne veulent plus entendre parler de médiation internationale ou de dialogue.
De 1990 à 2018, nous avons eu 27 « dialogues » au Togo, ce qui prouve que nous sommes un peuple pacifique. Mais à chaque fois qu’on signe des accords rien n’est respecté, aucune mise en œuvre, aucune application. Alors nous sommes maintenant à un stade où pour faire vraiment avancer les choses il faut une forte mobilisation intérieure. Les institutions internationales si elles se sentent obligées d’intervenir c’est par crainte que les choses ne dégénèrent. Il faut comprendre que les Togolais sont à bout, nous subissons ce régime depuis 51 ans, c’est la plus vieille dictature du continent africain.
Il n’y a rien qu’on n’ait pas essayé durant ces cinq décennies, nous avons eu au Togo neuf mois de grèves sèches. La seule chose qu’on n’a pas essayé c’est la rébellion. Mais c’est une solution que je ne suggère pas, car les rébellions ne sont pas souvent régulées, on peut avoir une rébellion et aboutir en l’espace de quelques mois ou années à un changement par la violence mais à long terme, cela va totalement déstabiliser le pays. Ce n’est pas l’idéal mais on ne peut pas constamment abuser d’un peuple et espérer qu’il ne se révolte pas un jour.
Ouestafnews – Rêvez-vous par exemple d’un scénario à la burkinabé ?
FBN – Le scénario burkinabé n’a pas été un scénario violent. Les Burkinabés ont fait une révolte populaire et dans ce genre de situation il peut y avoir des morts. Pour le Togo, je vois un scénario comme celui de la République démocratique du Congo.
J’ai fondé le mouvement « Faure must go », il y a huit ans et notre objectif a toujours été d’éveiller les populations de les pousser à la résistance civique et citoyenne. Ce que nous voulons c’est un changement démocratique par la force populaire. C’est vrai que nous avons en face de nous au Togo une armée extrêmement clanique, la plupart des militaires viennent même du village de la famille Gnassingbé. Et ce sont des gens qui pensent que sans le régime, ils ne peuvent pas survivre. Nous avons une armée très violente, sans pitié. Et c’est cela qui ralentit l’élan de l’opposition parce que si on met les gens dans les rues, ils vont se faire tuer.
Ouestafnews – Il y a eu des dialogues, des manifestations, des boycotts, des grèves en vain, manifestement le combat politique et citoyen n’a pas fait évoluer les choses.
FBN – Je pense qu’on peut arriver à un changement en employant des moyens citoyens. Au Togo, mon diagnostic est que seuls les partis politiques mobilisent les gens, on peut dire que nous n’avons pas de société civile.
La société civile togolaise est très élitiste, ce que je veux dire par là, c’est qu’elle est dans la production de l’information, elle fait des recherches, des enquêtes. C’est une société civile qui est dans le plaidoyer, elle ne mobilise pas, elle n’organise pas les communautés.
Ouestafnews – Qu’est-ce qui explique cette retenue ?
FBN – Les gens ont peur de se lancer dans ce processus, parce qu’ils se disent qu’une fois que tu mobilises les communautés contre le régime, ta vie est en danger, c’est cela qui ralentit les choses. Une fois qu’on aura une société civile qui mobilise les communautés, qui est ancrée sur le terrain, la donne va changer.
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