Retraçant le « difficile » contexte socioéconomique de l’époque qui a conduit à la révolte, Bathily qui est également historien, souligne que le Sénégal souffrait du malaise paysan, du monopole de l’économie par le capitalisme français, de la colère des syndicats en plus de la répression politique qui s’abattait sur les militants hostiles au régime du président Léopold Sédar Senghor.
Cette version contraste avec l’opinion des autorités sénégalaises de l’époque, qui dans le contexte de guerre froide et de clivage idéologique considéraient cette révolte comme « téléguidée de l’extérieur » et une réplique du soulèvement des étudiants français à Paris.
Pour les grévistes de 1968, dont certains avaient atterri en prison et d’autres enrôlés de force dans l’armée sénégalaise, le succès est aujourd’hui évident et les enseignements multiples.
« Mai 68, est un des fondements majeurs de la dynamique de citoyenneté au Sénégal, c’est le point de départ du pluralisme syndical, politique », ajoute le professeur Bathily.
Déplorant au passage le faible niveau des enseignements qui affecte aujourd’hui le secteur universitaire, son camarade, le philosophe Moctar Diack, avance qu’il est important que les jeunes retiennent les quatre aspects qui ont fait le succès de leur mouvement, à savoir « l’unité, la responsabilité, l’indépendance et le leadership ».
Dans la même lancée, le Docteur Dialo Diop, estime que la clé du succès fut l’unité, matérialisée par la solidarité des travailleurs, des élèves et des étudiants non sénégalais qui étudiaient à Dakar. « Cette unité a permis d’infliger au Président Senghor sa première défaite politique », a-t-il ajouté.
Ce que confirme l’ancien magistrat, Ousmane Camara qui en mai 1968 occupait le poste sensible de Directeur de la Sureté nationale.
« Les étudiants avaient amené le pouvoir à genou, le président Senghor après s’être débarrassé de Mamadou Dia (ancien camarade de Senghor) et écarté des adversaires politiques comme Cheikh Anta Diop (grand intellectuel opposé à Senghor), s’est retrouvé face à un adversaire inattendu », explique-t-il.
Mai 68, a montré que « la stabilité d’un régime dépend du degré d’adhésion de la jeunesse et que la répression n’est pas la meilleure arme pour venir à bout de ses adversaires », analyse de son côté Mamadou Diop Decroix, ancien ministre du président Abdoulaye Wade, après avoir longtemps milité dans les mouvements de gauche.
Pour le professeur Iba Der Thiam, Mai 68, fut une « jonction organique » entre différentes forces soumises aux mêmes frustrations, au-delà de la satisfaction des revendications estudiantines, des acquis politiques majeurs sont issus de ce soulèvement.
La forte politisation de la jeunesse africaine de l’époque a aussi été soulignée par des intervenants qui ont rappelé que parmi les préludes de Mai 68 figure la marche de février 1966, vers les ambassades américaine et britannique à Dakar pour protester contre le coup d’Etat subi par le président ghanéen et chantre du panafricanisme Kwame Nkrumah.
D’aucuns ont d’ailleurs rappelé lors de ces retrouvailles de « soixante-huitards » que Mai 68 n’était pas uniquement sénégalais, souhaitant la tenue d’un colloque scientifique international sur cet événement auquel des étudiants francophones africains de l’époque seront associés.
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