Ouestafnews – Jadis cantonnée dans le septentrion, l’insécurité a lentement gagné le centre du Mali avec la présence de groupes armés de divers ordres. A un mois de l’élection présidentielle, une nouvelle étape semble avoir été franchie avec la reconnaissance par le gouvernement de l’existence de fosses communes et l’implication d’une partie des forces armées dans cette partie du pays.
Les alertes sur la survenue d’exactions contre des civils dans le centre du Mali, remonte à septembre 2017, quand l’Ong Human Rights Watch (HRW) publiait un rapport dont le contenu avait été contesté par le gouvernement malien.
L’Ong américaine déclarait avoir documenté l’existence de trois fosses communes dans le centre du pays qui «auraient contenu les cadavres d’au moins 14 hommes exécutés après avoir été détenus depuis décembre par des militaires maliens».
A la suite de HRW, Amnesty international a aussi produit un rapport dénonçant des faits similaire, en avril 2018.
Mais depuis, le gouvernement malien a totalement changé d’attitude. A l’issue d’une mission de vérification dépêchée sur le terrain, le ministère malien de la Défense a dans un communiqué, publié le 19 juin 2018, confirmait «l’existence de fosses communes impliquant certains personnels Fama (Forces armées maliennes) dans des violations graves ayant occasionné mort d’hommes à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti».
Le ministre malien de la Défense a aussi annoncé l’ouverture d’une enquête mais a également évoqué e l’implication de «certains personnels» de l’armée.
Joint par Ouestaf News, le président de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), Moctar Mariko, qualifie la sortie du ministère de la Défense de « première ».
«S’il y a des exactions et qu’aucune enquête n’est ouverte, c’est comme si on fermait les yeux sur quelque chose», estime-t-il.
Faire toute la lumière
Le changement de posture du gouvernement, est selon M. Mariko, une « aubaine » pour les défenseurs des droits de l’Homme. «C’est pas la première fois qu’on parle de charniers dans le centre du Mali. Nous saisissons cette occasion pour dire aux autorités d’enquêter sur tous les cas de présomptions d’exactions extra-judiciaires et d’édifier tout le monde sur ce qui se passe dans le centre», a indiqué à Ouestaf News, le président de l’AMDH.
Au-delà des organisations de défense des droits de l’Homme, la nouvelle posture du gouvernement, a ouvert la voie à la Mission es Nations unies au Mali (Minusa). Cette mission onusienne dont le mandat vient d’être renouvelé, a dans un rapport publié le 26 juin, fait état de l’exécution de 12 civils à Boulikessi (centre) par des soldats maliens.
Dans un entretien avec Radio France International, le Premier ministre malien a appelé au calme et invité tout le monde à attendre les résultats de l’enquête, confiée à un procureur militaire.
Le 22 juin 2018, à l’issue d’un Conseil supérieur de la Défense, tenu à Bamako, le président Ibrahim Boubacar Keita qui va briguer un second mandat en juillet prochain, a appelé à un renforcement de la justice militaire.
Sur ce point, Fatim Kiné Diop, chargé de campagne, sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International est d’avis que la justice militaire doit se limiter à juger les soldats impliqués et ne doit pas inclure dans ses poursuites des civils.
«La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, a régulièrement conclu que les procès de civils devant des tribunaux militaires violaient le droit à un procès équitable », a-t-elle soutenu dans un échange de courriels avec Ouestaf News.
Lors de son passage à l’Examen périodique universel (processus qui consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme) en janvier 2018, le Mali avait accepté un nombre important de recommandations des pays pairs notamment l’ouverture d’enquêtes sur les allégations de violations des droits humains commises par toutes les parties, y compris les forces de sécurité et de défense maliennes.
Lors de leur mission de vérification, les autorités maliennes ont parlé de 25 corps découverts dans la région de Mopti. A cela s’ajoutent les 12 corps relevés dans le rapport de la Minusma.
Jusqu’ici le gouvernement malien avait toujours démenti la présence de charniers et les exactions contre des civils dans le centre, une partie du territoire où la violence et l’insécurité se sont installées au cours de ces dernières années.
Dans cette partie du pays, les soldats maliens font face à divers groupes armés dont des certains dits « djihadistes » et aussi des organisations d’auto-défense. En plus des fréquents conflits communautaires.
C’est dans ce contexte fait de défis sécuritaires multiples que le pays s’apprête à tenir le 29 juillet 2018, le premier tour de l’élection présidentielle.
Quelle sécurité pour le 29 juillet ?
Cette élection suscite beaucoup d’appréhensions chez certains analystes.
«Les récentes découvertes de charniers confirment également que la situation reste toujours critique à l’approche des élections et des civils continuent à en payer un lourd prix», a affirmé Kiné Fatim Diop d’Amnesty International.
Idrissa Maïga, chercheur à l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS), estime pour sa part que ce qui se passe dans le centre, «amplifie les doutes et les incertitudes sur la tenue de l’élection présidentielle dans cette région du Mali dont une partie de la population avait été privée de son droit de vote lors des communales en 2016».
«Il semble y avoir un sentiment de résignation au sein de la classe politique malienne mais plus largement au sein de la population sur le caractère +imparfait + du scrutin…», a-t-il estimé dans un entretien avec Ouestaf News.
Le scrutin de juillet 2018, est aussi confronté à plusieurs défis liés à l’organisation matérielle, avec la grève des préfets et des sous-préfets qui ralentit la distribution des cartes d’électeurs.
Tout ceci alors que, la violence est loin de faiblir comme le montre l’attentat suicide subi par le quartier général du G5Sahel (force multinationale qui regroupe le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Mauritanie et le Tchad dans la luette contre le terrorisme), basé dans la ville de Sévaré (encore le centre du Mali). Revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), cette attaque a fait trois morts
Le 01 juillet 2018 à Gao (centre-nord), une autre attaque suicide qui visait des éléments de la force militaire française Barkhane a, selon le ministère malien de la Sécurité, fait quatre morts, des civils, et d’une vingtaine de blessés. En outre quatre militaires de l’opération française Barkhane ont été sérieusement blessés, selon un bilan encore provisoire du ministère malien de la Sécurité.
MN/ts
Voulez-vous réagir à cet article ou nous signaler une erreur ? Envoyez-nous un message à info(at)ouestaf.com.