Last Updated on 23/08/2016 by Ouestafnews
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Trois questions à Biram Dah Abeid
Dans le pays, le sujet reste sensible et quiconque y touche, qui ‘il soir ressortissant ou étranger, devient de facto l’ennemi du régime en place.
Le 18 août 2016, la Cour criminelle de Mauritanie, 13 militants d’Ira en ont fait les frais, en étant condamnés à des peines allant de 3 à 15 ans de prison ferme suite à des accusations de « rébellion, usage de la violence, attaque contre les pouvoirs publics, attroupement armé », entres autres. Une peine jugée « lourde » et « injuste » par les observateurs et les défenseurs des droits humains.
Les condamnés sont accusés par la justice de leur pays d’avoir pris part le 29 juin 2016 à la violente manifestation des habitants de Ksar, un bidonville de Nouakchott où les occupants s’opposaient à leur « déguerpissement » forcé, décidé par les autorités.
La justice mauritanienne, contrôlée depuis l’indépendance par le pouvoir des Maures « blancs », a profité de ces accusations pour jouer la carte de la fermeté contre les trouble-fêtes de l’Ira. Pourtant, la « participation » même des condamnés à la dite manifestation est réfutée par les défenseurs de droits humains sur le continent.
Pour Alioune Tine, président d’Amnesty International pour l’Afrique de l’ouest et du Centre, le verdict en question est basé sur de fausses accusations. « Aucun des militants n’a participé à cette manifestation. Ce sont des prisonniers d’opinion » dénonçait-il dans la presse, après l’annonce du verdict.
Dans un communiqué conjoint le Réseau Ouest des Défenseurs des Droits Humains (ROADDH) et la Coalition Ivoirienne des Défenseurs des Droits Humains (CIDDH) ont dénoncé un « simulacre de procès ».
« Depuis la fin du mois de juin 2016, 13 membres dirigeants d’Ira-Mauritanie, d’abord interpellés par des policiers déguisés en habits civils ont été gardés sans motif, et font l’objet d’acte de torture, de traitement cruel inhumain ou dégradant de façon récurrente, suivi de procès ‘chicanes’ », dénoncent ces organisations, dans un texte dont copie est parvenue à Ouestafnews.
L’IRA, nouvelle bête noire des autorités
Fondée en 2008, IRA-Mauritanie s’est fixé comme objectifs, la « lutte contre l’esclavage et ses séquelles, la dénonciation des esclavagistes et la complicité de l’Etat mauritanien ». Désormais aux avant-postes du combat anti-esclavagiste, l’ONG est donc logiquement dans la ligne de mire des autorités.
« L’opposition politique a été réduite au silence en Mauritanie. Aujourd’hui, le gouvernement veut décapiter l’Ira, l’organisation la plus structurée de la société civile», estime Alioune Tine.
L’ONG n’en est pas à sa première avec la justice mauritanienne. Depuis 2010, les militants notamment le président et le fondateur de l’organisation, Biram Dah Abeid multiplient les condamnations et les séjours carcéraux. Le 17 mai 2016, il avait été libéré après 18 mois de prison.
Arrêté fin 2014 en compagnie de deux autres militants, lors d’une marche à Rosso dans le sud du pays, M. Abeid, avait été condamné à deux ans de prison, officiellement pour « appartenance à une organisation non reconnue ». Un motif d’inculpation constamment utilisé contre les membres de Ira-Mauritanie qui ne ratent pas une seule occasion pour mettre sur la place publique la question de l’esclavage, pratique qui selon eux, et contrairement aux discours officiels, reste soutenue par le pouvoir aux mains des Beydane, l’autre appellation des Maures à peau blanche).
Officiellement « abolie », toujours en cours
L’esclavage en Mauritanie concerne principalement la population « Haratine » (maures à peau noire) qui représente environ 4% de la population. Dans ce pays l’histoire de l’esclavage (accoudée à un fort substrat culturel, à telle enseigne que des sociologues parlent de pratique héréditaire) et de son abolition ressemblent plutôt à une saga.
Le 9 novembre 1981, l’esclavage est officiellement aboli par le Comité militaire de salut national présidé entre 1980 et 1984 par Mohamed Khouna Ould Haidalla.
Trente cinq ans après, l’esclavage reste un sujet sensible et plus les textes sont votés, plus la polémique enfle. En aout 2015, une loi votée par l’Assemblée nationale, fait de l’esclavage « un crime contre l’humanité » en durcissant les peines encourues, une volonté des autorités d’améliorer la loi de 2007 qui faisait de l’esclavage un « crime ».
Cet effort au plan législatif, salué par la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les formes contemporaines de l’esclavage Urmila Bhoola, ne convainc pas les militants anti-esclavagistes sur le terrain, notamment ceux de Ira-Mauritanie. Dans un précédent entretien avec Ouestafnews, Biram Dah Abeid, alors candidat à la présidentielle de 2014 qualifiait de « leurre » la loi de 2007, une loi dont l’application a d’ailleurs était entravée par le coup d’Etat militaire de 2008.
De l’esclavage à l’apartheid
Si au niveau du pouvoir on parle de « séquelles », les organisations comme SOS esclaves et Ira-Mauritanie, dénoncent sans cesse, une pratique encore présente à « grande échelle », qui persiste du fait que les dirigeants proviennent de classes sociales qui tirent profit de cette pratique.
Dans une étude sur l’esclavage en Mauritanie, publiée en 2013, Amnesty international déplorait une « inertie politique » notant qu’en dépit des lois adoptées qu’ « aucune campagne de sensibilisation contre l’esclavage n’a été menée auprès du public et les gouvernements successifs ont persisté à nier l’existence de cette pratique ».
Selon l’organisation de défense des droits de l’Homme, une abolition effective passe par « une enquête indépendante et impartiale sur l’esclavage et les pratiques apparentées » ainsi que la « reconnaissance officielle des organisations anti-esclavagistes ».
Outre la question de l’esclavage, le régime de Nouakchott est aussi confronté à une autre forme de discrimination : une marginalisation et une ségrégation des communautés négro-africaine du pays.
La pratique, assimilée à l’apartheid sud-africain des années passées, s’est accentuée après les évènements dits « sénégalo-mauritaniens » de 1989, lorsque environ 160.000 Mauritaniens ont dû quitter leur pays, suite à des exactions meurtrières contre les communautés négro-africaines. Sans compter près de 70.000 Sénégalais rapatriés chez eux.
Le régime des Maures avait profité du conflit avec le Sénégal, pour lancer une chasse aux sorcières contre tous les Mauritaniens « noirs », les assimilant à des Sénégalais et les spoliant de tous leurs biens. A ce jour certains de ces « réfugiés » ne sont pas encore rentrés dans leur pays d’origine, en dépit de plusieurs « opérations » de retour.
A l’intérieur du pays, un système éducatif discriminatoire et une politique de recrutement ségrégationniste dans les grandes écoles, l’armée et la fonction publique principalement est en cours depuis des années pour maintenir la domination des élites maures dans le pays.
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