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Médias et secteur privé : compagnonnage suspect

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Le constat est ressorti d’un panel réuni début juin à Dakar à l’occasion du 5ème anniversaire du magazine « Réussir », qui se veut justement un magazine spécialisé dans le traitement de l’information économique et du monde de l’entreprise. A quelques rares exceptions près, journalistes, juristes, patrons de presse, chefs d’entreprises, se sont ainsi montré « méfiants» quant à la prise de contrôle de plus en plus marquée des organes de presse par les secteur privé local.

« L’intrusion des acteurs du privé dans la presse, non pas pour des raisons économiques, mais (pour faire) du commerce d’influence pose problème », a regretté l’avocat Mame Adama Guèye. « Dans ce cas là on ne peut plus mettre en avant le postulat selon lequel la presse est un pilier de la démocratie, cette presse -là devient même un facteur de perturbation du jeu démocratique », a défendu Me Gueye, un avocat d’affaires basé à Dakar.

« Si on regarde l’économie des entreprises de presse, tous les chefs d’entreprises sont d’accord pour vous dire que ce n’est pas rentable, mais alors pourquoi restent-t-il sur le marché ? », s’interroge l’avocat avant de suspecter « qu’au-delà de l’apparence de l’activité économique, il y a peut être un autre commerce que les hommes d’affaires qui investissent dans la presse ont compris, et cet autre commerce, c’est le commerce d’influence ».

Selon cet ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Sénégal, et ancien patron du Forum civil (section locale de Transparency internationale), les relations entre les deux entités ne doivent pas aller au-delà d’un « partenariat » sous-tendu par le besoin de visibilité de l’entreprise et le média qui monnaye son support.

« Pour moi ce partenariat est simple, c’est un jeu d’intérêt, l’entreprise à besoin de la presse comme support de marketing, ici il n’y a pas de problème c’est un partenariat naturel ».

Pour Abdoulaye Rokhaya Wane, journaliste et président de Leadership Afrique, initiative nouvellement lancé à Dakar, « l’appartenance de la presse au monde de l’entreprise » est un fait admis. Toutefois, vu le rôle fondamental qu’elle joue aussi dans la construction de la démocratie, la presse « ne doit pas être laissée aux seules forces du marché ».

De son coté, le Pr Abdoulaye Sakho, enseignant à la faculté de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) a dénoncé les « effets pervers » qui s’imposent à l’entreprise de presse à l’heure de « la marchandisation de l’information ». La presse, n’étant plus une entreprise « à part », devient de ce fait « dirigé et administré par des acteurs de ce marché parmi lesquels ont trouve le secteur privé ». Tout ceci n’est pas sans entraîner un certain nombre de contraintes à la profession, en raison du fait que comme n’importe quel produit du marché, l’information devient alors soumise aux « exigences de rentabilité ».

« Cela entraine un ensemble de contraintes structurelles et une dépendance des médias à l’égard des propriétaires, des annonceurs et des sources de l’information », a poursuivi le juriste avant d’ajouter qu’une telle situation va « limiter les possibilités d’investigation des journalistes, entraîner la disparition du contradictoire au profit du sensationnel et favoriser l’apparition d’une conception étriquée de la liberté d’expression ».

Dans l’absolu, l’idée de partenariat entre les deux parties n’a pas droit de cité, selon le Madiambal Diagne, patron du groupe de presse Avenir communication et par ailleurs président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (CDEPS). « De prime abord, il n’y a pas de forme de partenariat possible entre les médias et les entreprises privés, les médias sont dans leur rôle d’information pour éclairer l’opinion et les décideurs ».

«L’idée de partenariat signifie la conjonction de deux intérêts », affirme le patron du CDEPS avant de s’interroger : « est-ce que les intérêts des médias peuvent être concordants à ceux des entreprises privées ? ». La réponse selon M. Diagne est que « les médias qui sont dans une logique de développer des synergies avec des entreprises privées puissent avoir les coudées franches pour dénoncer ces dernières quand elles agissent à l’encontre des consommateurs, par exemple ».

Seul à défendre l’idée d’un possible partenariat sans grand dommage pour la presse, Mansour Cama, président du Conseil national des employeurs du Sénégal, (CNES), une des organisations patronales du pays, selon qui la participation des milieux d’affaires ne signifie pas forcément « l’embrigadement » de l’entreprise de presse.

« L’ actionnaire ne dicte pas toujours au chef d’entreprise ce qu’il doit faire, il y a des organes comme le conseil d’administration qui permettent de discuter de la ligne à adopter si on applique le même principe aux journaux, je pense que nous évoluerons peut-être vers une modernisation de la presse écrite », a-t-il souligné, invitant au passage les entreprises de presse à adhérer aux organisations patronales car « la presse a aussi besoin de corporatisme pour défendre ses intérêts ».

Pour le ministre sénégalais de la Communication, Moustapha Guirassy, le nouveau code de la presse (dont l’adoption par l’Assemblée nationale est attendue) prend en compte l’environnement juridique, économique et social des entreprises de presse au Sénégal.

« Beaucoup d’entreprises de presse vivent dans d’énormes difficultés », reconnaît le ministre, avant de préciser que dans l’élaboration du nouveau code de la presse l’Etat, en accord avec les parties prenantes, est allé au-delà du concept d’organe de presse « en consacrant le terme d’entreprise de presse », une approche globale qui permet d’appréhender l’ensemble des problèmes du secteur, selon le ministre.


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